L’Affaire Julie Hugo, de Caroline Fabre-Rousseau

L'Affaire Julie Hugo, de Caroline Fabre-Rousseau

Ce que je vous reproche, ce qui est inacceptable, c’est que vous avez donné une mauvaise version des faits. Vous avez cherché à défendre votre héroïne, cette fameuse Julie Duvidal, épouse Hugo, en nous faisant croire qu’il était juste et souhaitable qu’elle arrête de peindre après son mariage. Vous avez donc mal fini votre livre. Je vous demande à présent de le finir correctement. Ce livre m’appartient, puisque je l’ai lu. Je suis en droit de vous demander d’écrire une fin différente.

L’an dernier, Caroline Fabre-Rousseau avait consacré une biographie à Julie Duvidal de Montferrier, peintre de talent et épouse d’Abel Hugo, qui a finalement préféré abandonner son art pour se consacrer à sa vie de famille. Choix qui, je l’avoue, m’avait un peu agacée, et je ne suis pas la seule : suite au mail d’un de ses lecteurs lui aussi mécontent de cette fin, Caroline Fabre-Rousseau a donc imaginé une « suite », sous forme de pièce de théâtre.

Un lecteur, mécontent de la fin de La Belle-soeur de Victor H., séquestre l’auteure pour qu’elle en écrive une autre, plus féministement correcte. Son procès est l’occasion de débattre sur la place de la femme dans la société, de la femme artiste, mais aussi de l’écriture et du lecteur.

Si le point de départ n’est pas sans rappeler Miseryle traitement et le ton sont bien différents : résolument réjouissante, cette suite met le doigt sur ce qui peut gêner le lecteur moderne dans la vie de Julie Duvidal, à savoir son renoncement à ses dons au profit de sa vie de famille, en partie par choix personnel, mais aussi sans doute par abdication devant la pression sociale et l’idée qu’une femme ne peut pas rêver d’un destin plus grand que celui d’être épouse et mère (inutile que je dise ce que j’en pense).

C’est là tout l’objet du débat, qui se prête particulièrement bien au choix du genre théâtral, d’autant que la bonne idée est ici de faire intervenir des artistes comme témoins et jurés — Baudelaire, Flaubert, Elisabeth Vigée-Lebrun, Berthe Morisot, Delacroix, Constance Meyer, mais aussi Adèle Hugo (par contre, pas Totor) ; l’autre bonne idée est d’en faire une pièce interactive, avec le tirage au sort de 2 spectateurs qui prennent place dans le jury, votent la culpabilité ou non du lecteur kidnappeur, et partant influent sur la fin de la pièce, qui est dotée de deux fins possibles.

C’est léger et souvent drôle, mais la réflexion est profonde : par-delà la question de la légitimité du choix de Julie Hugo, remis en cause par un lecteur féministe engagé, se pose aussi celle de l’écriture et du réel (peut-on changer la biographie d’un personnage parce que ses choix de vie ne nous conviennent pas ?) et du rôle du lecteur (l’œuvre lui appartient-elle ?).

C’est passionnant, très bien fait, et je vous le conseille vivement. J’espère une mise en scène prochaine !

L’Affaire Julie Hugo (lien affilié)
Caroline FABRE-ROUSSEAU
Chèvre-feuille étoilée, 2017

4 commentaires

  1. Personnellement, il ne me serait pas venu à l’idée de contester la fin d’un ouvrage, d’autant plus si le personnage phare de celui-ci a réellement existé. Sans doute les choix de Julie Hugo seraient pour beaucoup d’entre nous assez curieux aujourd’hui. Mais à l’époque où elle a vécu, ces choix s’entendent. Une œuvre n’appartient qu’en partie au lecteur, a lui aussi de remettre en perspective les événements. Du moins, c’est mon point de vue.

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    1. C’est tout l’objet de la pièce 😉

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  2. Amusant et intéressant comme concept ! Si en plus les thèmes évoqués sont tout aussi intéressants, pourquoi pas ?! Mais faudrait que je lise le premier bouquin d’abord !

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    1. Ce n’est pas forcément indispensable en fait !

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