Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits de Salman Rushdie

Imaginons la race humaine comme s’il s’agissait d’un seul individu, proposa Ibn Rushd, l’enfant ne comprend rien et se cramponne à la foi parce qu’il ne dispose pas du savoir. La lutte entre la raison et la superstition peut être considérée comme la longue adolescence de l’humanité et le triomphe de la raison sera sa maturité. Ce n’est pas que Dieu n’existe pas mais c’est que comme tout parent fier de sa progéniture il attend le jour où son enfant peut tenir debout sur ses deux pieds, faire son propre chemin dans le monde et se libérer de toute dépendance à son égard.

Un des romans de la rentrée littéraire que j’attendais avec le plus de curiosité, et qui sera, je pense, ma dernière lecture de la saison. En plus, Rushdie le dédie « à Caroline », pas moi évidemment mais j’ai trouvé la coïncidence amusante !

800 ans après que Dunia, princesse des jinns lumineux, se soit unie au philosophe Ibn Rushd alias Averroès et lui ait donné une très nombreuse descendance, les Duniazad, qui ont essaimé à travers le monde, les sceaux qui séparent le monde d’en-haut, le Péristan, royaume des jinns, et le monde d’en-bas, notre monde, se brisent à nouveau.

Déferle alors sur terre une horde de jinns obscurs, menée par les quatre grands Ifrits, bien décidés à semer le chaos. C’est l’ère des incohérences, qui va durer deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, soit donc mille et une nuits, et qui débouchera sur la guerre des mondes, opposant le Mal et le Bien, incarné par Dunia et sa descendance…

Prodigieux, ce roman se lit comme un conte philosophique à la Voltaire, auquel il est d’ailleurs fait référence plusieurs fois, marqué par une vertigineuse réflexion théologique et philosophique, laquelle m’a d’ailleurs permis de me rendre compte que, sans l’avoir lu, j’étais moi-même parfaitement en phase avec Averroès.

Si Rushdie nous décrit un monde peuplé de Péris (les fées dans le monde arabo-musulman) de Jinns et de magie, tout cela est éminemment symbolique : le monde qu’il nous décrit, celui dans lequel les grands Ifrits sèment le chaos et, suite à une promesse faite à Ghazali, l’ennemi d’Averroès, par l’un d’eux, cherchent à terrifier les hommes pour les ramener vers Dieu, c’est le nôtre.

Et la guerre des mondes, c’est la guerre à laquelle nous assistons actuellement : Averroès vs Ghazali, la raison vs l’intégrisme religieux, l’amour vs la haine. Le féminin vs le masculin. Le Bien vs le Mal. Et de ce chaos, de cette guerre, finit par naître une civilisation nouvelle. Finalement Rushdie prophétise la victoire de la raison et de la paix. Le Bien finit par sortir victorieux du chaos. Puisse-t-il dire vrai…

Un roman lumineux, passionnant, profond, prophétique je l’espère. Un coup de cœur !

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits
Salman RUSHDIE
Traduit de l’anglais par Gérard Meudal
Actes Sud, 2016

12 commentaires

  1. Une lecture bien trop sérieuse pour moi ces temps-ci… J’ai sacrément besoin de légèreté!
    (Bien que cela semble très intéressant.)

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    1. Ah mais c’est très drôle hein !

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  2. Patrice Saucier dit :

    Toujours un immense plaisir de vous lire

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  3. kathel2 dit :

    ça fait plaisir de voir un avis sur un livre un peu moins facile de la rentrée ! Il m’intrigue, mais je n’ai jamais encore lu l’auteur.

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    1. Je ne l’ai pas trouvé si difficile, moins que les versets sataniques sur lesquels j’avais peiné (et qu’il faudrait que je relise car il ne m’en reste rien)

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  4. Fleur dit :

    Ton billet m’a convaincue ! Je n’ai encore jamais lu Salman Rushdie (honte sur moi) et ce roman pourrait être une bonne façon de le découvrir.

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  5. Oui, puisse-t-il dire vrai. Cependant, ce roman me semble un peu trop érudit par rapport à mes besoins de lecture actuels.

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    1. c’est pas si érudit, en fait !

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  6. Tout aussi emballée par cette lecture ! J’ai eu un peu de mal au début mais ensuite quel plaisir de le lire, c’est drôle et passionnant !

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    1. Oui, franchement c’est une réussite

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