L’Indolente, le mystère Marthe Bonnard de Françoise Cloarec

Comme un peintre, comme un amant, Pierre ne se lasse jamais de regarder le corps ferme et menu, équilibré, hautement désirable de Marthe. Elle devient sa muse, sa reine, sa déesse peut-être. Jeune, sensuelle et lumineuse, elle représente l’image de la femme. Elle s’offre à lui, gracieuse et téméraire. Avec elle il apprend l’amour, la sexualité. Grâce à elle il sort de la rigidité, grâce à lui, elle trouve un équilibre.

Je n’ai pas eu le temps d’aller voir l’exposition Bonnard l’an dernier à Orsay, et j’en suis fort marrie, car c’est un peintre que j’affectionne, le trouvant d’une sensualité débordante. Par contre, j’avoue, je ne m’étais jamais plus que ça intéressée à sa vie et au modèle de ses tableaux, sa femme Marthe, et encore moins au scandale de sa succession. Françoise Cloarec, avec cette exofiction, m’a permis de pallier ces lacunes.

C’est en 1893 que Pierre Bonnard rencontre Marthe. Elle a 16 ans et est orpheline, il en a 26, elle s’occupe de fleurs artificielle, lui se consacre déjà entièrement à la peinture. C’est un coup de foudre, et il ne se quitteront plus, Marthe devenant sa compagne, sa muse et son unique modèle jusqu’à sa mort. Mais voilà : cette histoire d’amour se construit sur un mensonge. Marthe s’appelle en réalité Maria, elle n’a pas 16 ans, et surtout, elle a encore une famille.

Ce roman est tout d’abord une magnifique histoire d’amour, entre deux êtres qui finalement s’accordent parfaitement et dont l’affection ne sera jamais démentie ; c’est aussi un superbe portrait de femme, très sensuelle et libre, mais surtout énigmatique et plus mystérieuse qu’indolente finalement, marquée par la maladie et le secret.

Un secret qui aurait pu n’avoir guère d’importance, n’était ce qui constitue le roman dans le roman, l’affaire de la succession Bonnard, les « héritiers » de Marthe se manifestant après la mort du peintre pour réclamer leur part sur son œuvre. Je vous passe les détails juridiques de l’histoire autour du droit moral de l’artiste sur son œuvre, l’affaire Bonnard faisant d’ailleurs jurisprudence : c’est très bien expliqué, et c’est passionnant.

Nonobstant, je n’ai pu m’empêcher de trouver cette affaire immorale (et pourtant, ce n’est pas un adjectif que j’utilise souvent) : pour des raisons non éclaircies, Marthe a voulu effacer cette famille, et j’avoue que ces héritiers inconnus du peintre qui se pointent comme ça pour récupérer une partie des tableaux au détriment des neveux de Bonnard avec qui il avait toujours eu des relations étroites (sans parler du fait que c’est lui qui a quand même peint les dits tableaux), ça me laisse perplexe.

Mais bon, je sais, la justice a ses raisons et la morale n’en fait pas partie. Et je sais d’ailleurs que d’autres trouveront au contraire normal que la succession ait été partagée des deux côtés. Néanmoins cela m’a plongée dans des abîmes de perplexité pour mon cas personnel, et j’en ai tiré cette leçon : si vous êtes un artiste (ou riche) sans enfants, a fortiori sans conjoint, faites un testament, surtout s’il y a des gens dont vous ne voulez pas comme héritiers. J’y songerai le moment venu.

Cela dit, ce manque d’anticipation est aussi très révélateur du couple Bonnard : tout à leur amour, ils n’ont pas réfléchi à ce genre de problèmes bassement matériels. Et c’est, finalement, très beau !

Bref, un très beau roman, lumineux et captivant, qui ressuscite un pan de l’histoire de la peinture et tente, par le biais romanesque, de percer le secret d’une femme extrêmement touchante dans sa fragilité !

L’Indolente, le Mystère Marthe Bonnard
Françoise CLOAREC
Stock, 2016

9 commentaires

  1. Mind The Gap dit :

    Pour ton testament, pense à tes fidèles lecteurs…:D
    Hé bien je note ce livre tout de suite, il me plait, mais confirme-moi que c’est bien la relation entre le peintre et sa muse/femme qui est centrale, et non la question de la succession ?

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    1. Il y a une alternance en fait, mais c’est tout de même l’histoire de Pierre et Marthe qui domine !

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      1. Mind The Gap dit :

        Ok, alors c’est noté, ce genre de sujet me fascine ne général, les muses des peintres… ceci dit rien définitivement ne dit que tu n’auras ni conjoint ni descendance…pour tn testament 😀 😀

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        1. Pour la descendance, c’est certain : j’approche des 40 ans, et je n’en ai toujours aucune envie !

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  2. Noukette dit :

    Je ne suis pas étonnée que ce roman t’ait touchée !

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  3. Asphodèle dit :

    Je le note car il complètera certainement très bien celui de Guy Goffette « Elle par bonheur et toujours nue » (qui avait été un coup de coeur), sur cette superbe histoire d’amour (mais sans la succession)… Un couple unique ! Fais attention à Mindounet, c’est le roi des testaments !!! 😆 P.S. : et si tu ne veux pas d’enfants, ne te force pas ! 😉

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    1. Ah non mais je n’ai aucune intention de me forcer 😉

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