Ce qui reste de la nuit, d’Ersi Sotiropoulos

Ce qui reste de la nuit

La question est : qui peut écrire la meilleure poésie, songea-t-il, lui-même ou l’autre ? Lui-même, à la vie rangée, penché sur son bureau, timoré, l’esprit bombardé de désirs et des plus ardents fantasmes, fantasmes qu’il n’assouvira jamais et il le sait bien ? Ou l’autre qui se rue sur la vie sans aucune limite, qui provoque la vie en duel comme un gladiateur fou, sans crainte pour son existence, jouant à pile ou face jusqu’à sa propre perte ? Lequel des deux deviendra-t-il le meilleur poète ?

Constantin Cavafy a très brièvement fait partie de mon corpus de thèse, mais pour diverses raisons il a fini par en être expulsé ; néanmoins, j’avais aimé découvrir ses poèmes, et j’étais donc très curieuse de lire cette exofiction qui le met en scène dans sa jeunesse, à un moment charnière. D’autant plus curieuse que cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas intéressée à la littérature grecque.

Après un mois et demi passé en Europe, Constantin Cavafy et son frère passent leurs trois derniers jours à Paris. Tous deux sont poètes, mais c’est Constantin qui s’interroge le plus sur la création, mais aussi sur lui. Ces trois jours, marqués par des rencontres et des expériences fondatrices, seront le catalyseur de toute son œuvre à venir, laissant naître le Poète qui était encore caché au fond de lui.

Sur un mode fantasmatique et hallucinatoire, Ce qui reste de la nuit interroge la création poétique. Cavafy n’est pas si jeune, mais c’est pourtant bien à un roman initiatique que nous avons affaire — initiatique au sens sacré et mystique : une mystérieuse société secrète, des guides, des récits dont on ne sait pas bien quelle est la part de vérité, des scènes d’une sensualité débordante.

Paris apparaît ici comme une sorte d’avatar de l’Enfer de Dante, dans lequel on circule, se perd, apprend. A moins que ce ne soit une réminiscence des Enfers grecs et des Mystères d’Eleusis.

Mais c’est aux Mystères poétiques que Cavafy est initié, et les différents moments du roman constitueront autant d’épreuves sur son chemin, la plus dure étant celle de se trouver soi — et de s’accepter : écrasé par les figures des grands poètes et par les mots lapidaires de l’un d’eux (Moreas, présent partout, visible nulle part) sur son travail, il doit chercher sa voixil doit aussi apprendre à composer avec sa mélancolie baudelairienne, son désir d’idéal à la fois charnel et littéraire, son sentiment d’être un albatros exilé sur terre, lui qui est déjà un Grec d’Alexandrie exilé de Constantinople ; enfin, il doit apprendre à accepter son désir pour les hommes, pour leur corps, pour leur peau…

Sensuel, charnel et profond, ce roman parvient par moments à rendre par son rythme la scansion du vers grec, pour mieux nous entraîner dans les errances d’un des plus grands poètes de l’histoire de la littérature mondiale ! A ne pas manquer !

Ce qui reste de la nuit (lien affilié)
Ersi SOTIROPOULOS
Traduit du grec par Gilles Decorvet (avec la participation de l’auteur)
Stock, la Cosmopolite, 2016

5 commentaires

  1. Noukette dit :

    Intéressant ce que tu en dis mais j’ai peur de complètement passer à côté…!

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  2. je retiens cette référence

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