Le Testament du bonheur, de Robert Colonna d’Istria

Un grand livre est à la fois agréable et profond, léger et dense. Ce n’est sans doute pas le cas de ce curieux Fond de frigo. Drôle, tendre, fantastique, émouvant, le dernier livre de Cristiano Lobtandore ne mérite aucun de ces qualificatifs. Il brille par ce qui lui manque. Ce qui ne signifie pas qu’il soit totalement sans mérite. Au-delà de ce qui sert de prétexte à cet imparfait ramassis, Cristiano Lobtandore, probablement malgré lui, offre une promenade à travers ses lubies et ses obsessions, au milieu de ses manies, de ses hantises, et de quelques unes de ses lectures. Vaille que vaille on y trouve sa petite musique, monotone — au sens propre, qui joue toujours sur les mêmes tons —, comme un solo mélancolique, désuet et vaillant, qui parfois tourne sur lui-même…

S’il existait un prix littéraire du roman le plus original et déconcertant, nul doute que Robert Colonna d’Istria, avec Le Testament du bonheur, figurerait parmi les favoris.

De quoi est-il question ?

De cinquante-deux comptes-rendus d’ouvrages, romans, essais, recueils de nouvelles, soit la production d’une année d’un critique littéraire publiant dans un hebdomadaire. Rien de bien original jusque-là. Oui, mais voilà : les œuvres chroniquées n’existent pas. Le critique les a, purement et simplement, inventées.

Fantaisiste, virevoltant, ingénieux voire vertigineux, ce texte peut sembler a priori un pur exercice de style dans lequel l’auteur s’amuse avec les noms (les auteurs des livres dont il parle ont des noms invraisemblables qui ne sont autres que des anagrammes de Robert Colonna d’Istria), crée des échos d’une chronique à l’autre, les unes faisant référence aux autres ou évoquant des mêmes éléments (la Chryséenne, la rue Ferou) et toutes mentionnant un mystérieux Bessaguet dont on ne saura jamais rien, certaines sont des mises en abyme du texte que nous lisons (un livre où un auteur compile toutes les idées non abouties qu’il a eues, un autre constitué de critiques de restaurants n’existant pas).

Mais ce n’est pas un pur exercice de style : brouillant la référentialité, l’auteur met sur le même plan les éléments du réel et d’autres qui ne le sont pas, ceux des mondes possibles de la littérature, dont il interroge l’essence même : à partir de quel moment peut-on dire qu’un livre existe ?

Car, finalement, en les imaginant, il donne réellement vie à toutes ces œuvres, et le lecteur n’a qu’une envie parfois : se précipiter dans la prochaine librairie pour se les procurer. Sauf que s’il va réclamer Fric-Frac au royaume de Dieu d’Osborne Carlton-Arditi à son libraire, celui-ci va lui demander s’il a bien pris ses petites pilules.

En tout cas, pour le moment, car l’auteur et l’éditeur proposent au lecteur de voter pour le livre qui les a le plus séduits, et celui qui aura obtenu le plus de suffrages sera écrit et publié. De virtuelle, potentielle, l’œuvre deviendra réelle.

Résolument postmoderne, éclectique, bouillonnant, ce livre est un vrai régal, dont le hasard a fait qu’il a été percuté par la réalité avec l’invention par le ministère de la culture d’un roman surnuméraire dans la bibliographie de Butor — roman virtuel, mais après tout, ne naît-il pas à l’existence à partir du moment où on le nomme ?

Le Testament du bonheur (lien affilié)
Robert COLONNA D’ISTRIA
Editions du Rocher, 2016

5 commentaires

  1. Sandrine dit :

    Tu as voté ? Moi pas encore, mais je choisirais bien la vie d’Adam et Eve au paradis en 300 pages sans verbe, histoire qu’il relève le défi 🙂

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    1. Non, je n’ai pas encore choisi, j’hésite….

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  2. Patrice dit :

    Brillante idée !

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