La vie est-elle un genre littéraire ?

Instantané : des vases en forme de livre

Je suis retombée récemment sur cette citation de Romain Gary, dans La Promesse de l’aube :

Je croyais fermement qu’on pouvait, en littérature comme dans la vie, plier le monde à son inspiration et le restituer à sa vocation véritable, qui est celle d’un ouvrage bien fait et bien pensé. Je croyais à la beauté et donc à la justice. Le talent de ma mère me poussait à vouloir lui offrir le chef-d’œuvre d’art et de vie auquel elle avait tant rêvé pour moi, auquel elle avait si passionnément cru et travaillé. Que ce juste accomplissement lui fût refusé me paraissait impossible, parce qu’il me semblait exclu que la vie pût manquer à ce point d’art. Sa naïveté et son imagination, cette croyance au merveilleux qui lui faisaient voir dans un enfant perdu dans une province de la Pologne orientale, un futur grand écrivain français et un ambassadeur de France, continuaient à vivre en moi avec toute la force des belles histoires bien racontées. Je prenais encore la vie pour un genre littéraire.

Cela m’a fait sourire, car j’ai aussi cette croyance, qui a trait à la pensée magique, que dans la vie comme en littérature, rien n’arrive par hasard, et que la vie elle aussi doit être soumise à ce principe dramaturgique (mais que l’on peut étendre à tous les genres narratifs) qu’on appelle « le fusil de Tchékhov » : si, dans le premier acte, il y a un fusil, alors ce fusil doit servir à un moment donné, sinon ce n’était pas la peine de le mettre là.

Je ne sais pas si je suis écrivain parce que j’ai cette croyance profonde, et que pour moi écrire revient finalement à donner à la vie cette cohérence, ou plutôt à la mettre en évidence, la souligner, ou bien s’il s’agit d’une déformation professionnelle. J’imagine que cela fonctionne dans les deux sens.

J’imagine surtout que c’est un travers fort répandu, et que c’est ça, aussi, Habiter poétiquement le monde : refuser que la vie n’est pas de sens, et vouloir lui en donner un, quitte parfois à tordre un peu le réel. Et je crois, de plus en plus, que ce n’est pas grave, au fond, de ne pas trop tenir compte du réel.

Toujours plongée dans les Journaux d’Anaïs Nin, je me rends compte que sa vie à elle a bien cette direction, entièrement orientée vers ce qui est son sujet, et qui est aussi le mien :

Je ne veux écrire sur rien d’autre. D’une certaine façon, je sens que c’est un sujet digne de mériter tout mon intérêt, mon adoration, mon entière dévotion. Je suis même fière d’être portée par lui, à tel point que tout le reste me paraît sans importance. C’est vrai, j’ai souvent écrit que le jour où je serais appelée à jouer un rôle dans la Vie, je devrais avant tout me montrer Femme. Et aujourd’hui j’écris, je travaille, mais avant tout je suis une femme et mon cœur et mon âme sont perdus dans les merveilles de l’amour, car c’est de l’amour que je parle, bien sûr.

C’est tout le sujet du Truc, également. Et je l’ai écrit au jour le jour, suivant un principe organisateur qui m’est apparu dès le début. Mais sans en connaître la fin. Puis j’ai continué, dans le Truc2, et je continue, même si la fin tarde à se manifester, et que si je l’arrête maintenant, ce texte ne respectera pas le principe du fusil.

2 commentaires

  1. cora85 dit :

    Je ressens la même chose, mais je me dis souvent que la vie a plus d’imagination que moi.
    Belle fin de semaine !

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    1. Ah oui, ça, elle ne manque pas d’imagination ^^

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