Celle que vous croyez, de Camille Laurens

Je suppose que tu vas me trouver folle, mais souvent j’ai fait l’amour pour pouvoir écrire, enfin je faisais l’amour pour faire l’amour, mais il n’y a jamais eu de grande différence pour moi entre le désir et le désir d’écrire — c’est le même élan vital, le même besoin d’éprouver la matérialité de la vie.

J’avais été diversement convaincue par ce que j’avais lu jusqu’à présent de Camille Laurens. Mais ce roman là, je voulais absolument le lire — essentiellement, je l’avoue, pour le petit passage que j’ai mis en exergue et qu’on a cité un peu partout, et qui fait profondément écho en moi tant je le trouve d’une grande justesse.

Dans un hôpital psychiatrique, une femme se confie à son psychiatre. Elle s’appelle Claire, elle a 48 ans et est maître de conférence en littérature comparée. Pour surveiller son amant Jo, elle s’est liée sur Facebook avec un de ses amis, Chris, à l’aide d’un faux profil, celui d’une jeune femme de 24 ans, photo à l’appui. Mais, très vite, Claire est tombée amoureuse de Chris et réciproquement, et s’est posée alors la question de son mensonge...

Avec beaucoup d’acuité et un certain humour désabusé, Camille Laurens interroge dans ce roman la place de la femme de 50 ans sur le marché de la séduction et du désir, sous la forme d’une sorte de flux verbal qui peut passer pour bizarrement écrit mais qui, au final, parvient très bien à disséquer les liens à travers les réseaux sociaux, les identités virtuelles, la construction de soi et les moi multiples.

Finalement, ce que l’on construit, c’est une sorte de personnage de roman malléable selon nos désirs, à la fois nous et autre.

L’humour est souvent cynique et cruel, et d’autant plus ironique (et presque tragique) que ce qu’elle dit sur cette espèce de date de péremption des femmes est malheureusement très vrai.

C’est passionnant voire brillant, et pourtant ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : très vite, de petits indices viennent semer le trouble, le doute, et le lecteur attentif comprend qu’on est un peu en train de se jouer de lui.

Car ce qui est véritablement en jeu dans ce texte, c’est l’écriture, la création littéraire, les liens entre le réel et la fiction (problématique qui hante le roman contemporain) et l’écriture et le désir. La langue se fait charnelle, habitée par ce désir qui circule, et Camille Laurens nous offre de sublimes pages sur cette pulsion de vie qui est à la fois celle de l’eros et de l’écriture.

Lumineux !

Celle que vous croyez (lien affilié)
Camille LAURENS
Gallimard, 2016

28 commentaires

  1. jostein59 dit :

    Il le semble ne jamais avoir lu cette auteure. Si je le fais, ce sera donc avec ce titre. Je suis moins coquine que toi mais peut-être plus concernée par la place de la femme de cinquante ans.😊

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    1. C’est intéressant sur ce plan !

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  2. Patrice dit :

    J’en ai terminé la lecture et je partage ton avis. Les réflexions dans la 1ère partie sur la femme de plus de 50 ans sont formidables. Et la confusion qui s’installe ensuite déstabilise complètement le lecteur. Un très bon moment de lecture !

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  3. Pr. Platypus dit :

    Je ne l’avais jamais lue et j’avais certains a priori mais je dois admettre que j’ai été plutôt convaincu. Surtout pour le discours sur le désir et la négation de celui-ci pour les femmes qui ont, comme tu dis, passé cette « date de péremption » ; un peu moins pour la question des rapports réalité/fiction, sujet bien traité aussi , par le biais de cette construction en poupées russes très maline, mais plus banal…

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    1. Disons que c’est un sujet qui obsède beaucoup les écrivains actuellement, et que du coup c’est moins original, mais intéressant tout de même !

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  4. Violette dit :

    toi aussi tu as été subjuguée, rahhh il me le faut !

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  5. Folavril dit :

    Joli billet! Encore un avis enthousiaste sur ce roman, il devient de plus en plus tentant 🙂

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  6. Leiloona dit :

    Rah, bon, je l’avais noté, tu te doutes, tu ne fais qu’enfoncer le clou, vilaine ! 😀

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      1. Leiloona dit :

        C’est moche, la vengeance ! 😛

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  7. Superbe chronique. Cela me donne de plus en plus envie de m’y plonger !

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  8. Lapiere dit :

    Billet implacable, je vais le lire !

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  9. Je le rajoute dans ma whishlist !

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  10. Cécile dit :

    Un roman pour lequel j’ai également eu un gros coup de coeur : troublée par les mélanges entre fiction et réalité que ce soit dans le roman ou la vie de Camille Laurens, par les réflexions sur l’écriture, l’Amour et encore le « sort » réservé au femmes de 50 ans même si je n’ai pas envie d’y croire ;).

    http://mille-et-une-femmes.com/?p=235

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    1. On peut s’en sortir 😉

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  11. lorouge dit :

    Je tourne autour depuis des semaines (j’aime beaucoup Camille Laurens pour l’avoir beaucoup lue) mais pour celui ci j’hésite, cette histoire d’amour via internet c’est un peu ce qui me retiens (ce qui ne me convainc pas, dirais je)

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    1. Oui, mais c’est plus compliqué que ce résumé 😉

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  12. Mais je ne sais pas du tout pourquoi je n’ai encore jamais rien lu de Camille Laurens…. Pourtant, à chaque fois que j’entends parler d’un de ses livres, je suis très tentée.
    Merci pour votre article. Et bon dimanche !

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