Trilogie new-yorkaise – 1 : Cité de verre, de Paul Auster

cité de verre

C’est un faux numéro qui a tout déclenché, le téléphone sonnant trois fois au cœur de la nuit et la voix à l’autre bout demandant quelqu’un qu’il n’était pas. Bien plus tard, lorsqu’il pourrait réfléchir à ce qui lui était arrivé, il en conclurait que rien n’est réel sauf le hasard. Mais ce serait bien plus tard. Au début, il y a simplement eu l’événement et ses conséquences. Quant à savoir si l’affaire aurait pu tourner autrement ou si elle avait été entièrement prédéterminée par le premier mot qui sortit de la bouche de l’étranger, ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est l’histoire même, et ce n’est pas à elle de dire si elle a un sens ou pas.

Je ne me lasse décidément pas de Paul Auster, dont toutes les œuvres semblent se répondre les unes aux autres, formant un ensemble à la fois cohérent et fascinant. Celui-ci n’échappe pas à la règle : premier volet de la Trilogie new-yorkaise, une des œuvres phares de l’écrivain américain, Cité de verre nous propose une énigme insoluble.

Daniel Quinn est écrivain, mais il n’existe pour ainsi dire pas, car il a peu à peu laissé son pseudonyme d’auteur de romans policiers, William Wilson, prendre toute la place. Et encore : personne ne connaît William Wilson, il n’apparaît pas dans les médias et son seul lien avec le monde semble être sa boîte postale. Une nuit, son téléphone sonne, et on demande à parler à un détective privé nommé Paul Auster. Après avoir tenté de détromper son interlocuteur, Quinn finit par accepter de voir de quoi il retourne.

Vertigineux, ce roman l’est à bien des égards. Vertige identitaire et référentiel, d’abord, puisque le réel est toujours mis à distance par le jeu constant avec les noms : Quinn est William Wilson et devient Paul Auster, mais Paul Auster existe et n’est pas seulement le nom de l’auteur sur la couverture ; il est également présent dans le livre, mais n’est pas détective privé, il est écrivain et Quinn le rencontre à son domicile avec sa femme Siri et son fils Daniel (Sophie n’était pas encore née).

De plus, Auster (celui du réel) prête à Quinn certains faits biographiques (l’écriture de romans policiers, des œuvres antérieures de traduction et de poésie) mais on retrouve aussi des échos avec d’autres personnages : comme David Zimmer dans Le livre des illusions (plus tardif : c’est un écho a posteriori) Quinn a perdu sa femme et son fils.

Vertige herméneutique ensuite : tissé de réseaux symboliques denses, le roman présente le monde comme un livre, qui demande à la fois à être écrit (ce que fait Quinn dans son cahier rouge) et à être déchiffré ; les mots deviennent choses, et en cela on peut sentir l’influence de la tradition kabbalistique. Mais aussi l’influence de Borges, avec ces chemins qui bifurquent, les doubles, et toujours le caractère problématique du réel.

New-York devient livre et labyrinthe, et à son image le roman, on s’y perd, on sait qu’il nous emmène quelque part mais on ne peut deviner où, et au final, une fois qu’on l’a refermé, on n’en sait guère plus.

Mystère dont on n’aura pas la clé, ce roman est absolument fascinant !

Trilogie new-yorkaise. 1 Cité de verre (lien affilié)
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Pierre Furlan
Actes Sud, 1987 (Livre de poche, 2004)

21 commentaires

  1. J’adore les romans de Paul Auster mais je ne connais pas celui-là.
    Je sens qu’après votre article cette lacune sera vite comblée 🙂
    Votre commentaire donne très envie !

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  2. Catherine dit :

    Celui la aussi est dans ma PAL, j’ai hate de le lire. Mais ca ne sera pas pour tout de suite meme si ton avis donne tres envie!

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    1. Il n’est pas très long pourtant 😉

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  3. keisha41 dit :

    J’ai lu cette Trilogie. Paul Auster me fascine, je mélange tout, il n’y avait pas déjà une histoire de carnet dans un de ses autres romans?

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    1. Dans la nuit de l’Oracle oui, et d’ailleurs j’y ai pensé car il y a comme un écho, mais il y en a tellement !

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  4. Camille dit :

    Quelle découverte ! Ta critique me donne très envie de le lire et de plonger dans l’univers dans cet auteur encore inconnu. Merci 🙂

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    1. C’est vraiment un excellent auteur

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  5. Forcément, après Siri, votre « jeu de piste borgésien » doit me mener vers Paul. 🙂
    PS: Les coquilles, je me démène toujours avec. Mais là, vous en avez laissé échapper une qui m’a interpellé presto: « Poésir ». J’adore, je l’adopte comme néologisme de l’inadvertance inspirée: « Poésir », la poésie du désir.

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  6. AtmosFeel dit :

    Court et bel amuse-bouche pour ce roman de l’ambiguïté… C’est, en effet, souvent un plaisir de se perdre avec Paul Auster.
    Et les 2 autres tomes ne manquent pas non plus d’inspiration !

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    1. Oh, je n’en doute pas, ils sont prévus au programme !

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  7. Mokamilla dit :

    Comme j’ai déjà pu le dire, Paul Auster et moi ne sommes pas en bons termes.

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  8. J’ai lu la trilogie new-yorkaise il y a quelques années mais je ne me souviens pas de l’histoire. Ca m’avait semblé assez mystérieux. Il faudrait peut-être que je la relise…

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    1. C’est assez mystérieux, en tout cas ce premier volet, c’est un fait !

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  9. elea1688 dit :

    Très joli billet .. je vais bientôt me lance et découvrir Paul Auster avec 2 romans empruntés à la biblio. J’espère être aussi enthousiasmée que toi.

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    1. Rhhhaaaa, ce que j’aime cet auteur

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      1. elea1688 dit :

        Je vais bientôt le découvrir et j’espère aimer autant que toi.

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