La femme au miroir, d’Eric-Emmanuel Schmitt

La femme au miroir, d'Eric-Emmanuel Schmitt

Trois destins de femmes

– Je me sens différente, murmura-t-elle.
Personne ne prêtait attention à ses mots. Tandis que les matrones s’agitaient autour d’elle, celle-ci arrangeant un voile, celle-là une tresse, cette autre un ruban, alors que la mercière raccourcissait son jupon et que la veuve de l’arpenteur lui enfilait des chaussons brodés, la jeune fille immobile avait l’impression de devenir un objet, un objet passionnant certes, assez affriolant pour mobiliser la vigilance des voisines, un simple objet cependant.

Lorsque j’ai vu ce roman en rayon, il a immédiatement attiré mon attention par sa couverture, son titre et surtout le choix d’un magnifique tableau de Tamara de Lempicka, que j’adore, pour l’illustrer. Ensuite, j’ai vu le nom de l’auteur, Eric-Emmanuel Schmitt, et je me suis dit que ça devait être plutôt bien. Enfin, j’ai lu la quatrième de couverture, et j’ai été séduite par l’histoire et le thème abordé.

Avec autant de bonnes raisons, non seulement je l’ai acheté, mais en plus il a grillé tous les autres romans en souffrance dans la longue file d’attente que constitue ma PAL.

Trois femmes.

A Bruges, durant la Renaissance, Anne se prépare pour épouser Philippe. Alors qu’elle devrait être heureuse d’avoir trouvé un homme qui l’aime à l’égale d’une déesse à une époque où beaucoup de femmes restent seules faute d’un nombre de mâles suffisant pour les satisfaire toutes, elle ne trouve aucun intérêt à tout cela.

En 1904, Hanna, viennoise, est en lune de miel avec Franz, sur les bords du lac Majeur. Son mari l’idolâtre, mais elle ne trouve pas dans le mariage la plénitude qu’elle espérait. Elle a tout pour être heureuse, le sait, mais ne l’est pourtant pas.

De nos jour, Anny, star montante du cinéma, droguée et alcoolique, s’étourdit dans une sexualité débridée mais finalement peu satisfaisante.

Ces trois femmes, qui se sentent en décalage, différentes des autres, vont chacune façonner leur destin à part, de manière différente, et finiront par se rejoindre.

Résoudre le décalage

Alors je vais avoir beaucoup de mal à parler de ce roman tant il est riche et foisonnant, mais pour être brève et synthétique : j’ai énormément aimé. Le plus dur va être d’expliquer pourquoi, car c’est assez confus.

Déjà, la thématique m’a interpelée : celle de la différence, du décalage ; or, s’il y a une chose que je ressens souvent, c’est bien celle de ne pas être dans le tempo commun.

Je me suis beaucoup intéressée à la manière dont les héroïnes vivaient ce fait, qui pour elles tient à leur refus du rôle traditionnel attribué aux femmes, en tout cas pour les deux premières : mariage et maternité, mais aussi à une difficulté extrême à se poser face au désir des hommes.

Chacune choisit une voie différente : celle de l’amour absolu et du mysticisme pour Anne (c’est celle en qui je me suis le moins reconnue, car sa soif d’amour s’étanche dans la nature et dans le divin et non dans l’amour humain), celle de la psychanalyse balbutiante pour Hanna, celle de la drogue et du cinéma pour Anny.

Ce qui est particulièrement percutant, c’est qu’avec un tel point de départ on pourrait s’attendre à une histoire de réincarnation comme il en existe d’autre (et comme le suggère d’ailleurs la quatrième de couverture), or ce lien n’est que suggéré, les trois femmes sont vraiment différentes, et cela se sent dans l’écriture.

D’ailleurs, la question du langage est prégnante dans le roman, car se pose toujours le problème de la distance entre ce que l’on ressent et ce que l’on peut exprimer par les mots.

Bref, lisez-le, c’est vraiment très beau !

La Femme au miroir (lien affilié)
Eric-Emmanuel SCHMITT
Albin Michel, 2011

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