Trois versions de la vie, de Yasmina Reza

Trois versions de la vie, de Yasmina RezaC’est justement ça qui est excitant. L’intimité ordinaire. On ne peut pas toujours tenir son esprit dans les régions hautes.

Je cherchais une pièce contemporaine écrite par une femme, et assez logiquement j’ai abouti à Yasmina Reza. Au départ, j’ai jeté mon dévolu sur Le Dieu du Carnageet puis je suis tombée sur celle-ci, qui correspondait totalement à mes manies, puisqu’il y est question de chemins qui bifurquent et d’intellectuels parisiens qui se font une dînette arrosée d’un peu trop de Chablis…

Deux couples : Henri et Sonia, qui reçoivent, Hubert et Ines. Une soirée, trois versions possibles.

La configuration de départ est exactement la même que dans Le Dieu du Carnage  : deux couples (qui ici se connaissent même s’ils ne sont pas à proprement parler amis), un huis-clos, un gamin imbuvable à la différence de certaines choses alcoolisées qui coulent à flots. Et le résultat est le même : le vernis social craque et les conflits montent, au sein de chaque couple et entre les couples. La différence ici est que Yasmina Reza propose 3 versions de cette soirée, en changeant à chaque fois la dynamique des conflits, et le spectateur se retrouve à jouer au jeu des différences entre les scènes de ces différentes réalités alternatives. Et pourtant, même en prenant d’autres chemins, la soirée finit par aboutir au même résultat : le conflit.

C’est assez fascinant, et j’avoue que j’aimerais beaucoup voir cette pièce sur scène (dans l’idéal avec la distribution de départ : Richard Berry/Catherine Frot – Stephane Freiss/Yasmina Reza, mais ne rêvons pas). C’est drôle, mordant, dynamique, moins violent que Le Dieu du Carnage/Carnage, mais tout aussi parlant sur le jeu des apparences !

Trois versions de la vie
Yasmina REZA
Albin Michel, 2000 (Magnard, 2013)

Carnage, de Roman Polanski

Carnage de Roman PolanskiI believe in the god of carnage. The god whose rule’s been unchallenged since time immemorial.

J’avais lu il y a un certain temps la pièce de Yasmina Reza, Le Dieu du carnage, mais l’autre jour, à l’occasion d’une discussion, une de mes collègues a parlé du film (je ne sais plus du tout sur quoi portait la conversation, d’ailleurs) et je l’ai aussitôt noté, me demandant bien pourquoi j’étais passée à côté.

Brooklyn. Deux enfants se disputent, se battent, et l’un d’eux est blessé. Les parents décident d’essayer de régler ça à l’amiable. Essayer.

Huis-clos tout aussi drôle qu’effrayant, le film, qui repose essentiellement sur la performance phénoménale des quatre acteurs, interroge la notion même de civilisation. Deux couples, a priori plutôt civilisés. Mais, très vite, le vernis des apparences se fissure, la violence émerge, sauvage, instinctive, violence entre les deux couples, au sein de chaque couple, entre les femmes et les hommes, entre les femmes, entre les hommes — chacun, tour à tour, contre chaque autre. Tel un entomologiste, le spectateur observe les désastres causés par ce dieu du carnage qui semble tout contrôler : si la violence est d’abord le fait des enfants, qui n’ont pas encore intégré la Loi de la vie en communauté, on pourrait s’attendre à ce que les adultes parviennent à maîtriser leurs pulsions. Mais le dieu reprend toujours ses droits. Et si c’est drôle de les regarder totalement imbibés d’alcool se hurler dessus, c’est aussi profondément terrifiant, car éminemment pessimiste — mais peut-être pas faux !

Un film d’une grande intelligence, qui nous oblige à réfléchir sur ce que nous appelons la culture et la civilisation, et qui n’est peut-être qu’une apparence !

Carnage
Roman POLANSKI
D’après la pièce Le Dieu du carnage de Yasmina REZA
2011