Tout conjugue le verbe aimer

Je sais, on n’est pas encore tout à fait le 1er mai. Pourtant, j’avais envie de partager ce poème de Victor Hugo, qui parle du réveil de la nature à l’amour au printemps. Parce que c’est beau, et que ce qui est beau fait du bien à l’âme.

Premier mai

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d’autres choses.
Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en cœur ;
L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,
Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
A chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime !
Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l’ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait
Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.

Victor Hugo, Les Contemplations. 

Bloc Notes

Semaine de la langue française et de la Francophonie

affiche-slff-standard-hdÀ l’initiative du ministère de la Culture et de la Communication, la Semaine de la langue française et de la Francophonie invite chaque année les amoureux des mots à célébrer la richesse de notre langue. Organisée autour du 20 mars, date de la Journée internationale de la Francophonie, la 22e édition de la Semaine s’est ouverte hier  et durera jusqu’au 26 mars. Elle nous plongera dans le monde virtuel,  puisque c’est le numérique qui est à l’honneur cette année. Une exploration pleine de surprises, à la découverte d’un français moderne et agile à nommer les mots du numérique, avec pour parrain  Bernard Pivot, « gazouilleur » chevronné sur Twitter, comme il se définit lui-même. Des centaines de manifestations sont prévues un peu partout, sans doute près de chez vous !

11e Journées Européennes des Métiers d’Art

Journées européennes des métiers d'artLes Journées Européennes des Métiers d’Art sont aujourd’hui la plus grande manifestation internationale dédiée aux métiers d’art. Elles se tiennent tous les ans, le premier week-end d’avril, partout en France et dans 18 pays européens, sur le modèle des Journées européennes du patrimoine, à l’initiative de l’Institut national des métiers d’art et sous la tutelle du ministère de l’Économie et du ministère de la Culture. En 2017, elle mobilisera à nouveau tout le secteur, du 31 mars au 2 avril, avec pour thème « Savoir(-)Faire du lien ». Au total plus de 8 500 événements auront lieu : visites d’ateliers, de manufactures, de musées, de centres de formation, expositions, découverte de lieux inédits, rencontres et parcours mettront à l’honneur les nombreux savoir-faire présents sur le territoire. Il y a forcément quelque chose près de chez vous !

Récits du monde

Récits du mondeRécits du monde est une nouvelle revue littéraire et artistique sur le voyage dont la particularité est d’être conçue comme un carnet de voyage numérique. Les récits de voyages proposés se présentent comme des cartes postales multimédias, où se mêlent joyeusement écrits, dessins, photos, vidéos et sons. Le but est de proposer des expériences qui sortent des sentiers battus, sur le fond comme sur la forme, d’une réelle qualité littéraire et artistique, qui permettent à l’internaute de voyager depuis son canapé. Au programme du n°2 : la vision poétique du Guatemala de Jacky Essirard, l’univers de la nuit à Ouaga de la photographe Sonia Yassa, l’Utah d’Annelise Morel, les aurores boréales d’Hermine Meliat, ou encore un trajet quotidien en chansons par Sandrin Rasefleuve. Ce n’est pas gratuit, mais c’est un très beau projet qui mérite d’être soutenu !

Hauteville House needs you

Vous connaissez mon attachement pour les maisons d’artistes et d’écrivains en général, et pour la maison de Victor Hugo place des Vosges en particulier. Un de mes rêves, c’est de visiter l’autre maison de notre Totor national, Hauteville House à Guernesey. C’est dans cette maison surplombant la mer et qu’il a décorée avec soin qu’il a écrit quelques-uns de ses chefs-d’œuvre : La Légende des Siècles, Les Misérables, Les Travailleurs de la mer. Labellisée Maison des Illustres, Hauteville House n’est pas qu’une simple maison d’écrivain. C’est une œuvre d’art à part entière où le poète a mis en espace sa pensée, conférant à ce lieu une atmosphère unique. Mais en dépit de l’entretien régulier du bâtiment et des campagnes de travaux successives, Hauteville House est aujourd’hui un patrimoine menacé. Un vaste programme de restauration sera lancé en octobre 2017 pour assurer une meilleure conservation des œuvres et des décors, et pour cela, la Fondation du patrimoine lance une souscription à laquelle vous pouvez participer ici (votre don sera en partie défiscalisé), afin de rendre un peu à notre écrivain national ce qu’il nous a donné !

Jetlags : voyager sans quitter Paris

Jetlags Paris

Créer le dialogue entre Européens grâce à des courses faites de temps forts et de rencontres incroyables, pour une communauté de femmes curieuses et ouvertes d’esprit : c’est de cette volonté qu’est née la start-up Pop In Events en 2012 sous l’impulsion, de 3 jeunes femmes, Marie, Sophie et Clémentine, passionnées de tourisme et d’aventure. Au programmes, des raids urbains, Pop In the City qui permettent de découvrir une ville autrement et pousser à l’échange culturel entre les Européens. Composés d’une trentaine de challenges tenus secrets jusqu’au jour de l’événement, les raids permettent aux participantes de sortir du tourisme standard et de se dépasser à travers des activités d’ordinaire irréalisables : se prendre pour un peintre carreleur portugais en réalisant une fresque en azulejos sur un immense mur, combattre des gladiateurs dans les arènes de Nice, descendre en rappel la tête en bas ou déguster des criadillas à 9h du matin, retaper un foyer de filles-mères, cuisiner des tortellini avec des italiennes dans une maison de retraite. Mais Pop In Events, c’est aussi l’occasion de voyager à travers le monde sans quitter Paris, avec les JetLags  dont le but est de faire découvrir un Paris cosmopolite aux mille facettes, à travers les traditions et la culture de villes étrangères : Rio, Dakar, Jaïpur, Shangaï, Saint-Petersbourg. Chaque édition est composée d’une course d’orientation avec 5 points de passage, suivie d’une expérience créée sur-mesure. La prochaine édition aura lieu le 22 avril, plus d’infos ici !

La Belle-soeur de Victor H., de Caroline Fabre-Rousseau

la belle-soeur de Victor HDans la bataille des romantiques, la frontière entre le monde des artistes peintres et celui des hommes de lettres était floue. Les tableaux des Laurens, des Signol n’illustraient-ils pas les tragédies si prisées de Shakespeare et les romans historiques de Walter Scott ? Et dans les ateliers, il y avait autant de tableaux que de livres. Les peintres lisaient comme ils peignaient, puisant leur inspiration dans les journaux et les romans. Elle-même s’était mise à voir la peinture comme une occupation suspecte, inférieure à l’écriture ; cela datait de son retour d’Italie. A quoi bon tant d’efforts et de travail, pourquoi s’isoler dans un atelier et peindre des images, alors que le monde était agité de soubresauts, de révoltes et de combats, commentés, éclairés par la plume des journalistes et des écrivains ? Mais elle avait eu une médaille, des commandes, il fallait bien vivre

Je ne sais pas pourquoi (magie de la synchronicité ? Mais alors dans quel but ?) je suis très XIXe en ce moment, et très Victor Hugo… L’autre jour, lorsque je suis allée visiter l’exposition sur les artistes de la famille, j’ai noté le talent évident de Julie Duvidal, et c’est comme ça que j’ai fini par me retrouver à lire cette biographie que lui consacre Caroline Fabre-Rousseau.

Julie Duvidal de Montferrier, peintre d’histoire et portraitiste, est surtout connue pour avoir été la belle-soeur de Victor Hugo, dont elle a épousé le frère aîné Abel. Mais elle était surtout une peintre de talent, que l’on a un peu oubliée, mais qui mérite d’être découverte, et cette biographie se propose donc de nous y aider.

Exercice difficile que celui de la biographie, et Caroline Fabre-Rousseau s’en sort avec les honneurs, nous brossant le portrait d’une femme toute en nuances. Indépendante pendant longtemps, elle vit de son art, expose aux Salons, répond aux commandes, et parvient ainsi à subvenir aux besoins de sa famille. C’est qu’elle a eu la chance d’avoir un père intelligent et assez progressiste, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, à commencer par notre Totor national qui, dans sa prime jeunesse, a sur le sujet des idées idiotes : une femme artiste, selon lui (et beaucoup) n’est qu’une prostituée, et il la méprise pour ça — plus tard, il essaie de la mettre dans son lit, avant qu’elle n’épouse Abel. De fait, Victor Hugo n’apparaît pas toujours à son avantage dans ce texte, inconstant, égoïste et ombrageux. Au contraire, on découvre avec plaisir Abel, que l’histoire a laissé dans l’oubli, et qui mérite d’être connu.

Au-delà des personnages, Caroline Fabre-Rousseau redonne vie à une époque ; de très belles pages sont consacrées à la peinture, au Salon, on croise un Delacroix encore jeune, et des ponts s’établissent entre la littérature et la peinture. A travers le personnage de Julie, elle interroge également le statut des femmes artistes. On l’a vu, malgré une conduite irréprochable (selon les idées de l’époque), elle est considérée comme une « femme publique », même si son talent est reconnu, qu’elle expose au Salon et y est primée, qu’on lui commande des tableaux ; en outre, elle est prise dans une espèce de contradiction : si la peinture lui permet, à certains moments de sa vie, de subvenir aux besoins de son entourage, cela ne lui plaît pas ; en fait, elle aurait toujours voulu peindre en amateur. Elle ne se donne pas entièrement à son art, finalement, et dès qu’elle en a l’occasion, elle laisse de côté ses pinceaux pour assumer « ses devoirs d’épouse et de mère ».

Une biographie fort instructive donc, sur un personnage qui mérite d’être plus connu. A quand une rétrospective Julie Duvidal dans un grand musée parisien ?

La belle-soeur de Victor H
Caroline FABRE-ROUSSEAU
Chèvre-feuille étoilée, 2016

Victor Hugo amoureux, de Christine Clerc

Victor Hugo amoureuxLe 26 février 1802, je suis né à la vie, le 17 février 1833, je suis né au bonheur dans tes bras. La première date, ce n’est que la vie, la seconde, c’est l’amour. Aimer, c’est plus que vivre. (Lettre à Juliette Drouet, février 1835)

La récente exposition Eros Hugo nous a appris (si on ne le savait pas déjà) que si l’oeuvre de Victor Hugo est plutôt sage, sa vie est marquée par une grande vitalité amoureuse. C’est ce sujet que nous permet de creuser ce petit ouvrage de Christine Clerc, qui s’interroge sur le rôle des femmes dans la vie de Hugo.

Il ne s’agit donc pas d’une énième biographie de ce cher Totor : si les grandes périodes et les événements marquants de sa vie sont évidemment racontés, ils le sont sous l’angle des femmes et de l’amour : son épouse Adèle, ses maîtresses officielles Juliette Drouet et Léonie Biard, mais aussi sa fille Léopoldine. Quatre femmes, quatre inspiratrices, quatre muses du poète.

Et c’est bien sûr passionnant de découvrir Victor Hugo sous cet angle : on a souvent de lui cette image du grand-père à la barbe blanche, ses petits enfants sur les genoux ; mais l’autre Hugo, c’est un vrai Don Juan, pour qui le monde ne suffit pas pour assouvir son désir, cet élan vital où la pulsion de vie est à la fois celle d’aimer et celle d’écrire, et où les femmes qui l’entourent lui donnent l’impulsion d’écrire ses plus grands textes ; on peut d’ailleurs se faire la réflexion qu’il est dommage qu’Hugo n’ait pas travaillé sur ce mythe : quel drame romantique cela aurait donné, un Don Juan hugolien ! En tout cas, le portrait du grand homme est ici contrasté, et il apparaît quand même assez lâche dans certaines circonstances !

Un très joli livre, richement illustré et solidement documenté, qui nous offre un portrait fascinant d’un homme qu’on croit souvent connaître mais dont on a souvent une image tronquée. A lire absolument !

Victor Hugo amoureux
Christine CLERC
Editions Rabelais, 2016

Les Hugo, une famille d’artistes à la maison de Victor Hugo

hugoDans la famille Hugo, je demande… tout le monde. Et oui : le propos de cette exposition est de montrer comment la créativité artistique a pu animer toute une famille, et lui rendre hommage à travers un parcours qui occupe toute la maison de notre cher Totor, place des Vosges, et nous permet de voyager dans la famille, de génération en génération, jusqu’à aujourd’hui.

Evidemment, à tout seigneur tout honneur, un large espace est consacré au Maître lui-même, mais pas l’écrivain : ici, c’est le dessinateur et le décorateur qui sont mis en valeur, avec notamment la reconstitution des lieux qu’il a voulu à son image : Hauteville House à Guernesey, le salon chinois de la maison de Juliette Drouet à Guernesey. Meubles, textiles, faïences, panneaux peints, mais aussi dessins (la série des souvenirs). L’ensemble est complété par des photographies des lieux tels qu’ils étaient à l’époque, ce qui donne une curieuse impression de mise en abyme. C’est extrêmement chargé, presque baroque, et partant assez impressionnant !

Faisons désormais connaissance avec le reste de la famille, qui s’est également adonnée à l’art : Julie Duvidal de Montferrier (belle-soeur de Victor Hugo dont elle a épousé le frère Abel), peintre d’histoire et portraitiste ; Adèle Foucher-Hugo, l’épouse, qui a appris le dessin avec Julie Duvidal ; François-Victor, le fils, journaliste et traducteur de Shakespeare, qui dessine également ; Charles, le fils aîné, journaliste et photographe ; Adèle, la fille cadette, musicienne ; Léopold, le neveu (fils d’Abel et de Julie Duvidal de Montferrier), scientifique mais aussi sculpteur, peintre, dessinateur et graveur ; Georges, le petit-fils, peintre et dessinateur ; Jean, arrière petit-fils, peintre, décorateur et illustrateur ; Jean-Baptiste, arrière-arrière petit-fils, photographe, et Marie, arrière-arrière petite-fille, peintre : ces deux derniers sont encore vivants et travaillent sur la mémoire de Hauteville House.

Alors, le génie se transmet-il par le sang ? Oui et non. Certains Hugo ont clairement un talent fou, d’autres ne doivent leur succès qu’à leur nom probablement, ce qui donne une exposition parfois inégale, mais dans l’ensemble assez sympathique parce que, malgré tout, c’est amusant de constater que si le talent ne tombe pas du ciel, il est probable que le contexte familial aide à trouver la voie de la création.

Les Hugo, une famille d’artistes
Maison de Victor Hugo
Place des Vosges
Jusqu’au 18 septembre 2016

Éros Hugo – Entre pudeur et excès, à la maison de Victor Hugo

Eros HugoCe qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie — Victor Hugo

En ce moment, tous les musées semblent s’encanailler, et proposent des expositions, plus ou moins sulfureuses, qui parlent de désir, d’érotisme et de sensualité. Il faut dire que ce genre de thématiques attire le public (je plaide coupable !). C’est au tour de la maison de Victor Hugo de s’intéresser à cette question, et j’ai trouvé que c’était une bonne idée de vous en parler pour bien commencer l’année 2016 !

Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films
Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films

Pourtant, si la tradition littéraire française semble vouer un culte au genre érotique, le cas de Victor Hugo est paradoxal : d’un côté son oeuvre, qui reste toujours sage, sensuelle éventuellement mais jamais érotique et encore moins pornographique, et de l’autre sa vie, marquée par une grande vitalité sexuelle. C’est cette double face que se propose d’explorer la présente exposition, en montrant l’étroite correspondance entre la vie et l’oeuvre de Victor Hugo, en le replaçant parmi ses contemporains, et en émettant l’hypothèse que si les écrits restent pudiques, c’est pour tenter de canaliser les excès du désir, un désir qui déborde de la dimension purement sexuelle pour en réalité tout gouverner et nourrir la création, et notamment la création poétique.

Le parcours s’organise de manière chronologique, en trois périodes : une première, qui va de 1820 à 1832, nous montre un Hugo assez chaste dans la première période de son mariage avec Adèle, les deux étant arrivés vierges devant l’autel ; il y a quelque chose de mystique dans sa conception de l’amour, dans ses œuvres il est passion, mais l’avidité charnelle est contenue. Le deuxième Hugo, celui de 1829 à 1851, s’affranchit des carcans tant sur le plan esthétique (avec notamment Hernani) que sur le plan moral : il rencontre Juliette Drouet, mais ne s’interdit pas de batifoler avec nombre d’autres, y compris lorsque cette autre est déjà la maîtresse de son fils : si son oeuvre tait tous les excès (les textes les plus explicites ne seront révélés qu’à titre posthume), sa vie les rend évidents.

Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films
Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films
Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films
Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films

Enfin, la dernière période qui va de 1852 à 1870 nous montre un Hugo accordant une place centrale à la femme, dans sa vie comme dans son oeuvre. Elle est à la fois l’Ève et la bacchante, la reine et l’esclave, la pudeur et la tentation, l’esprit et la chair. Mais son destin est de finalement céder à la flamme qu’elle a allumée dans le corps de l’homme. Enfin, une dernière section, non chronologique, intitulée « Eros », s’intéresse à cette question du désir comme moteur essentiel du monde. Le grand Pan, cosmique et redoutable, ivre d’amour et de poésie.

Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films
Eros Hugo copyright Benoit Fougeirol Terra Luna Films

Voilà une très belle exposition, d’une grande richesse, qui interroge notre monde autour de l’hypothèse de cette toute-puissance du désir, à laquelle je souscris totalement. L’approche est résolument originale, et si elle met les sens en éveil, ce n’est pas du racolage et l’intellect est tout autant sollicité voire plus. Beaucoup d’œuvres contemporaines de Hugo sont à admirer : des sculptures de Pradier, de Rodin, des peintures de Böcklin, Cabanel, Chassériau, Corot, Courbet, des dessins et gravures de Boulanger, Ingres, Delacroix, Devéria, Gavarni, Guys, Rops, des photos de Félix Moulin, de Vallou de Villeneuve. Quelques œuvres réellement érotiques, qui permettent de saisir le contraste avec les écrits hugoliens, très sages. Dans chaque salle, on peut aussi écouter des lectures de textes et saisir les nuances d’une époque à une autre.

Eros Hugo – Entre pudeur et excès
Maison de Victor Hugo
6, place des Vosges-75004 Paris
Jusqu’au 21 février 2016

Exposition vue par Leiloona

Dictionnaire Victor Hugo, de Jean-Pierre Langellier

Dictionnaire Victor HugoCe dictionnaire tente de refléter cette étourdissante ubiquité mise au service d’un projet total, où Hugo assouvit sa passion de l’impossible : tout dire, pour tous et par tous les moyens, puiser sans cesse dans la réalité, jusqu’à vouloir l’épuiser, puisque « tout à droit de cité en poésie » et que le vers dit le divers. Hugo nous prévient : son oeuvre est « un tout indivisible […], une Bible humaine, un livre multiple résumant un siècle », « un ensemble à prendre ou à laisser ». Il fustige au passage « les imbéciles » qui tronqueraient cette oeuvre, sous prétexte de « morceaux choisis ». Bref, Hugo récuse d’avance le principe même de notre ouvrage.

Victor Hugo, c’est le mythe des lettres françaises. Il a tout fait, et admirablement : poète, dramaturge, romancier, mais aussi homme politique, orateur, journaliste engagé. Sur tous les sujets, il y a Hugo. Et de fait, chacun a son Hugo : le mien, c’est le poète (et sachant que la poésie est un genre que j’apprécie peu en général, c’est notable), ses vers me bouleversent et la préface des Contemplations me donne l’impression d’avoir tout dit. Et puis il y a aussi ses lettres d’amour, et ses journaux intimes. Hugo, un monde enfermé dans un homme, comme il le disait du poète en général.

Mais comment s’y retrouver dans une oeuvre aussi riche, aussi foisonnante, aussi… impressionnante ?

C’est ce que propose Jean-Pierre Langellier avec ce dictionnaire anthologique, tout en ayant à l’esprit que Hugo lui-même aurait sans doute peu goûté le concept. Et pourtant. De « Abîme » à « zéro » (noms communs) et de « Académie des jeux floraux » à « Waterloo » (noms propres), l’auteur nous propose une promenade enrichissante à travers les termes-clés de l’oeuvre hugolienne.

C’est, évidemment, absolument passionnant. Les oeuvres et les citations se répondent les unes aux autres autour d’un mot ; on redécouvre avec plaisir certains vers, certaines lignes que l’on connaît de puis toujours, quelques fois on ne s’en souvenait plus et cela crée comme un souvenir involontaire à la mode de Proust ; on découvre d’autres oeuvres, d’autres phrases, d’autres idées, qui marquent.

Assurément, un livre à avoir dans sa bibliothèque : il ne se lit pas comme un roman, il se prête plutôt au grappillage, au feuilletage à la recherche précise sur telle ou telle idée. Un livre de table basse, mais aussi un livre cadeau de noël !

Dictionnaire Victor Hugo
Jean-Pierre LANGELLIER
Perrin, 2014