C’est un long trait de béton, tendu à sept mètres au-dessus de la Beauce, entre les communes de Saran, Cercottes, Chevilly et Ruan. Tout entortillé d’arbres et de pylônes, il déroule ses arches au-dessus des champs, avant de disparaître sous les futaies. Etirée sur dix-huit kilomètres, la structure échappe largement au regard : on n’en voit que des tronçons, morcelés par la topographie.
Ceux qui prennent le train entre Paris et Orléans ont sans doute remarqué, juste avant/après (selon le sens) la gare de Fleury-les-Aubrais, une longue construction en béton longeant la voie ferrée, devenue le support de slogans politiques divers et variés : c’est la ligne d’essai de l’aérotrain, qui n’a jamais été développé. Je me mets toujours du côté où je pourrai la voir, mais d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours su de quoi il s’agissait (ma maman me l’avait expliqué, allez savoir pourquoi vu qu’on n’est pas du coin et qu’on n’a jamais pris le train ensemble : je crois que c’est quand j’étais en sixième et que j’étais allée à Paris pour la première fois avec ma classe, elle avait dû me dire de jeter un œil à cette curiosité), contrairement à beaucoup : la mémoire de cette construction à la fois ancienne et futuriste s’est perdue. Enfin, pas pour tout le monde, puisque Philippe Vasset lui consacre ce récit.
Ici, il nous raconte comment ces rails, dont il ne savait pas de quoi il s’agissait quand il était enfant, ont hanté sa vie, constituant à la fois un lieu d’observation du monde, un catalyseur pour son imaginaire, et finalement l’endroit où il habite…
A la fois poétique, symbolique, foisonnant, vibrant et vibrionnant, ce récit nous invite, comme le titre l’indique, à prendre de la hauteur et à regarder le monde autrement. Bien sûr, il s’avère d’abord très instructif sur l’histoire même de l’aérotrain, sorte d’utopie à la fois vers le passé (puisqu’il s’agit d’une ruine) et vers le futur (on est presque dans la science-fiction), à un moment où on entendait redessiner l’espace, interconnecter les territoires et fonder des villes à la campagnes où tout serait accessible facilement malgré les distances — et les raisons de l’abandon du projet restent nébuleuses. Utopie aussi (même si le narrateur rejette ce terme) parce que c’est finalement un lieu qui n’existe pas : il n’appartient à personne, n’a pas de réelle existence juridique, n’apparaît pas sur les cartes, et sa destruction intégrale coûterait tellement cher qu’on préfère l’entretenir a minima, mais toute tentative d’en faire quelque chose est semble-t-il vouée à l’échec.
Comme l’écriture, c’est un lieu à la fois dans le monde et hors du monde, en marge, à la frontière, quelque part entre ici et ailleurs, et le narrateur se livre alors à des réflexions très spirituelles et qui m’ont beaucoup interrogée sur l’idée de trouver l’espace où habiter. Pas vivre, mais habiter vraiment, c’est-à-dire trouver, dans l’espace, une zone de coïncidence avec son périmètre mental. Pour ma part je cherche toujours, mais le narrateur lui a trouvé le sien.
Philippe Vasset, dans ce récit, remonte donc à sa source, ce qui donne quelque chose d’à la fois très personnel, intime, et universel car finalement, nous la cherchons tous, notre source, notre zone d’habitation. Il habite poétiquement le monde, et c’est très beau !
Une vie en l’air
Philippe VASSET
Fayard, 2018
1% Rentrée littéraire 2018 – 15/6
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