L’Odyssée, d’après Homère et illustré par Manuela Adreani : voyage extraordinaire

Ô muse, raconte-moi l’histoire du roi Ulysse, l’homme aux mille ruses qui voyagea sur terre et sur mer après avoir combattu et détruit la ville de Troie. Il visita de nombreuses villes et rencontra de nombreux peuples. Pendant son long voyage; il affronta de grands dangers pour sauver ses camarades et revenir à Ithaque, l’île dont il était le roi. Là, il retrouverait son épouse Pénélope et son fils Télémaque. 

L’autre jour je suis tombée par hasard sur cet album, et je l’ai acheté pour faire un cadeau. Làs, pour une question de manque d’organisation de ma part, je n’ai pas encore pu faire le cadeau, et je me suis dit que cet album, j’allais le lire.

Le texte est une véritable adaptation (par Giorgio Ferrero) d’Homère, au sens où contrairement à ce qu’on voit beaucoup il respecte la structure narrative complexe de l’épopée. L’histoire commence donc alors qu’Ulysse est prisonnier de Calypso, et qu’Athéna encourage Télémaque à partir à sa recherche. Libéré par la nymphe, Ulysse échoue chez les Phéaciens, et leur raconte son histoire.

Un bien bel album, qui permet une première approche de qualité de l’extraordinaire histoire d’Ulysse. Outre la qualité du texte et son respect de l’original, j’ai beaucoup apprécié les illustrations de Manuela Adreani, qui sont d’une grande douceur et d’une grande poésie, et m’ont un peu rappelé les graphismes de la série Les Grands mythes. Et à titre personnel, l’Odyssée a un rôle essentiel dans mon premier roman, et je vois donc cet album comme un petit clin d’œil !

Bref : une belle réussite, aussi bien littéraire qu’esthétique ! Je n’y connais rien en enfant donc ne me demandez pas pour quel âge, mais en tant qu’adulte j’y ai pris beaucoup de plaisir.

L’Odyssée
Adapté d’Homère par Giorgio FERRERO et illustré par Manuela ADREANI
L’imprévu, 2017

Circé, de Madeline Miller : la puissance du féminin

Quand je suis née, le mot désignant ce que j’étais n’existait pas. Ils m’appelèrent donc nymphe, présumant que je serais comme ma mère, mes tantes et mes milliers de cousines. Moindres que ceux des déesses mineures, nos pouvoirs étaient si modestes qu’ils garantissaient à peine notre éternité. Nous parlions aux poissons et soignions les fleurs, cajolions nuages et vagues pour en extraire les gouttes d’eau et le sel. Ce terme de nymphe englobait notre futur en long et en large. Dans notre langue, il ne signifie pas seulement déesse, mais aussi jeune mariée.

A force de voir fleurir ce roman un peu partout, j’avais vraiment très envie de le lire, d’autant que j’aime énormément la mythologie et que le personnage de Circé m’a toujours intriguée. Normal, c’est une sorcière, la première, une femme libre, forte et sauvage.

Née du titan Hélios, le soleil, et d’une nymphe fille d’Océan, Circé est quelque chose de nouveau, pas vraiment une déesse bien qu’immortelle et dotée de pouvoirs, mais plus qu’une nymphe. Avant tout, femme, et femme amoureuse : c’est bien par amour qu’elle découvre ses pouvoirs surprenants et qu’elle devient Circé la magicienne, la sorcière. Pharmakis.

Je me suis régalée avec ce roman plein de charme qui est avant tout une réécriture de la mythologie, et pas seulement du plus célèbre épisode de la vie de Circé, sa rencontre avec Ulysse (parce qu’elle ne peut pas être réduite à Ulysse, qui est d’ailleurs passablement maltraité) : Prométhée, le minotaure sont également des épisodes importants dans son parcours, tout le roman étant finalement un trajet vers le soi. Dans ce roman, la figure de la sorcière représente bien ce qu’elle est (re)devenue au fil du temps : la femme libre et indépendante, qui ne se soumet pas au pouvoir masculin représenté par Zeus, qui se défend des agressions masculines (si elle transforme ses visiteurs en pourceaux ce n’est pas par méchanceté, et c’est très intéressant de relire cet épisode avec les échos de #metoo et de #balancetonporc). Sa puissance est réelle : celle de la métamorphose qui permet de révéler ce que l’on est vraiment. Libre, indépendante, sauvage, solitaire sur son île où elle passe ses journées à vagabonder à la recherche des herbes qui lui permettront de confectionner ses potions, courageuse, elle est aussi habitée d’une force d’amour absolue.

Un magnifique personnage donc au coeur de ce roman envoûtant et profondément féministe ! A lire d’urgence !

Circé
Madeline MILLER
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Auché
Rue Fromentin, 2018 (Pocket, 2019)

Un été avec Homère, de Sylvain Tesson : le goût de la Méditerranée

L’homme grec se contente du réel. Homère développera cet axiome. Il fécondera la philosophie grecque. Pensée forte et simple : la vie est courte, des choses sont là, offertes dans le soleil, il faut les goûter, en jouir et les vénérer sans rien attendre de demain, fable de charlatan. Cet imperium de se satisfaire du monde a été sublimement chanté dans Noces de Camus. L’écrivain, sur le sol algérien, apprend, sous « un ciel mêlé de larmes et de soleil », à « consentir à la terre ». Oui, la vie pour le Grec antique est un contrat de mariage avec le monde. On prononce l’alliance, aussitôt né sur la Terre, pour le meilleur et pour le pire. 

Habituellement, ce qu’écrit Sylvain Tesson ne m’attire pas plus que ça, et d’ailleurs je n’avais jusqu’à présent jamais rien lu de lui (que ses adeptes ne me lancent pas de cailloux : je n’ai rien contre lui, c’est juste que ses thèmes habituels, le grand air et l’aventure, ce n’est pas mon truc). Mais ce recueil, dans la série Un été avec… diffusé l’été dernier sur France Inter, je voulais absolument le lire, parce qu’Homère, la Grèce, la Méditerranée (qui me fascine bien que je sois plutôt une fille de l’Atlantique).

En courts chapitres/épisodes, Sylvain Tesson nous raconte son Iliade et son Odyssée, les thèmes, et ce que ces textes fondateurs de notre culture suscitent en lui.

Et c’est un bonheur de lecture, d’une grande poésie et d’une sensualité débordante : la lumière, les sons, les odeurs, le texte de Sylvain Tesson nous plonge aux sources même de la littérature et de la vie, de la pensée grecque et du paganisme. L’héroïsme, les femmes et l’amour, la mort, les dieux, le destin et le libre-arbitre, l’hubris, la violence et la guerre : ce qu’il nous montre de manière magistrale, c’est ce qu’Homère nous dit à nous, humains du XXIe siècle, par-delà l’histoire. Une pensée vive qui jaillit, celle de la lumière. Une philosophie de vie qui nous invite à accueillir le monde dans sa plénitude, à vivre dans le réel et non à espérer un quelconque au-delà : certaines de ses analyses m’ont d’ailleurs rappelé un chapitre du Royaume d’Emmanuel Carrère, et encore une fois, à cette lecture, je me suis sentie très grecque et très païenne.

Un ouvrage vibrant, lumineux, par moment inégal mais que je conseille néanmoins sans réserves. Il donne envie, comme l’auteur pour l’écrire, d’aller se ressourcer aux origines du monde dans les Cyclades, ou à défaut de se replonger dans les épopées homériques !

Un été avec Homère
Sylvain TESSON
Équateurs/France Inter, 2018