Danger en rive, de Nathalie Rheims : disparaître

Longtemps, je me suis perdue. Depuis trois semaines, tout m’est progressivement revenu. Ma mémoire était en miettes, brisée en mille morceaux, j’ai commencé à retrouver mes souvenirs mélangés comme dans un puzzle, à les trier, à les remettre en place. Il y a cinq ans, j’ai tout quitté, fuyant Paris ; depuis quelques jours, j’ai compris la raison de ma fuite. Je ne suis plus très loin. Bientôt, je finirai par comprendre ce qui s’est passé. Pour atteindre une vision claire de ce qui m’est arrivé, pour être sûre d’avoir enfin retrouvé le bon chemin, de bien reconstituer cette histoire, je dois me plier à un ultime exercice. Il faut que je sois capable de la raconter avec la plus grande précision, en repartant du début, en commençant par le premier jour.

Les romans de Nathalie Rheims font partie de mes indispensables de la Rentrée Littéraire, même si pour une raison qui m’échappe j’ai loupé celui de l’an dernier. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à lire celui-ci, qui aborde des thématiques qui me touchent.

Depuis cinq ans, la narratrice n’a pas écrit une ligne. Depuis qu’elle a quitté Paris pour s’installer dans sa maison du pays d’Auge, où elle vit avec son chien Paul. Seule. Elle s’est coupée du monde, et notamment des réseaux sociaux, et a partiellement perdu la mémoire des événements qui l’ont conduite à cette vie d’ermite. Mais le monde cherche à la rattraper.

Un roman que j’ai trouvé particulièrement maîtrisé et réussi : Nathalie Rheims parvient à créer ici une ambiance de thriller, d’autant plus angoissante que le récit prend parfois des allures d’autofiction. Il est question ici de mémoire, de harcèlement, mais aussi des pouvoirs de l’écriture, qui fonctionne comme un fil d’Ariane, et permet une construction assez maligne sur plusieurs étages : rassembler les morceaux du puzzle, c’est ce que fait la narratrice, mais c’est aussi ce que fait le lecteur, qui pourtant se fait totalement balader, et ça, j’aime !

Danger en rive
Nathalie RHEIMS
Léo Scheer, 2021

La Grande roue, de Diane Peylin

Que fait-on lorsqu’on n’a que le point A ? Que le point B ? Ou ni le point A ni le point B ? Quelles solutions ? Ne cesser de marcher vers l’horizon ou bien tourner en rond ? Deux cycles infinis et épuisants. Où la raison n’est plus. Un peu de folie ? Oui, pourquoi pas. Tout saupoudrer de folie pour que cessent les interrogations et que l’errance soit supportable. Faire un pas après l’autre. 

J’avais ce roman depuis plusieurs semaines, mais je ne sais pas trop pourquoi (enfin si, je pense que je sais) je l’avais laissé de côté jusqu’à ce que l’autre jour, en panne d’inspiration, je m’en saisisse… et le dévore d’une traite !

Quels liens unissent Emma, qui rencontre Marc en 1986, l’été de ses 19 ans, près de la grande roue, Tess, qui erre dans la nuit et ne semble plus savoir qui elle est, David, qui vient d’arriver dans un petit village de montagne et ne semble pas posséder toutes ses clés, et Nathan, interrogé par un policier ?

Ce roman est littéralement diabolique, et fonctionne comme un puzzle, dont on assemble les pièces petit à petit jusqu’à ce que la vérité se fasse jour. S’il est du coup très difficile d’en parler sans trop en dévoiler, on peut néanmoins dire qu’il se lit comme un thriller, mais qu’il est néanmoins habité d’une profondeur lynchienne. Onirique, d’une sensualité époustouflante, il joue sur les schèmes archétypaux de l’inconscient, l’ascension, étouffement, mais aussi le motif le motif obsédant du labyrinthe, au sein duquel se tapit le minotaure, monstre dévoreur d’enfant, démon du passé.

Bref, un roman assez oppressant avec sa galerie d’êtres désarticulés et cabossés, mais qui est maîtrisé à la perfection, et constitue une intéressante expérience de lecture.

La Grande roue
Diane PEYLIN
Les Escales, 2018

Designated Survivor, de David Guggenheim

Designated Survivor, de David GuggenheimAux Etats-Unis existe une tradition assez originale, celle du Survivant désigné : un membre du cabinet, choisi par le Président pour ne pas assister à un événement où sont réunis les principaux représentants du pouvoir américain, afin que le pouvoir ne reste pas vacant en cas de catastrophe. C’est le cas notamment pour le discours sur l’Etat de l’Union ou l’investiture présidentielle. Cette charge est plus folklorique qu’autre chose, mais une telle tradition ne pouvait qu’inspirer des scénaristes…

Suite à un attentat au Capitole durant le discours sur l’Etat de L’Union, qui a tué à peu près tout le monde, le Président, le vice-Président, le Cabinet, le Congrès et la Cours Suprême, c’est le Survivant Désigné, Tom Kirkman, Secrétaire d’Etat au logement qui était d’ailleurs sur le point de se faire virer, qui devient Président des Etats-Unis, alors qu’il n’en a a priori pas la carrure, et que ce n’était de toute façon pas son ambition…

Vraiment une excellente série, qui propose un mélange intéressant entre thriller et politique fiction : l’idée est de mettre au pouvoir un homme droit, pas pourri par la politique (en somme un anti-Frank Underwood) à la tête de l’Etat et de voir comment il va se débrouiller dans ce chaos — et chaos est vraiment le mot : 11 septembre puissance mille, l’attentat a totalement non seulement décimé l’Etat mais totalement fragilisé le peuple (ce qui donne d’ailleurs des scènes assez dures émotionnellement, qui m’ont mis les larmes aux yeux). Et évidemment, ce n’est pas simple : Kirkman a du mal à asseoir sa légitimité, certains font comme s’il n’y avait pas de président, et bien sûr, quoiqu’il arrive et le monde pourrait s’écrouler il doit faire face aux opportunismes, aux basses manœuvres, à l’hypocrisie, à la politique politicienne — heureusement, il y a aussi des gens loyaux, et sa famille, aspect essentiel de la série. Bref : un président honnête et loyal, qui fait ce qu’il peut et apprend vite, mais se pose beaucoup de questions éthiques : la série interroge alors les valeurs américaines et les problèmes de société, le contrôle des armes, les libertés civiques, et la lutte contre le terrorisme, ainsi que quelques autres points dont certains m’ont laissée perplexe parce que je n’ai pas trop vu où était le problème, mais passons. Ça c’est le premier axe : une réflexion sur l’exercice du pouvoir.

Le deuxième axe est tout aussi intéressant, et nous conduit dans une espèce de thriller à base de théorie du complot, car il faut bien trouver les responsables de l’attentat. Coupables évidents : les islamistes. Mais on se rend très vite compte, ce n’est même pas spoiler de le dire, que c’est un peu trop facile, et qu’il y a sans doute autre chose derrière. Mais je n’en dirai pas plus.

Bref : une excellente série, parfaitement interprétée ( Kiefer Sutherland est époustouflant de justesse), parfaitement scénarisée, qui se suit avec grand intérêt tout en suscitant de vraies réflexions. A ne pas manquer !

Designated Survivor
David GUGGENHEIM
2016 – en cours de production

The Ghost writer, de Roman Polanski

The Ghost writer, de Roman Polanski
Ça te fera du fric. Un moyen de nourrir tes gosses.
— J’ai pas de gosses.
— Moi si.

Encore un film d’écrivain, encore que l’écriture, bien qu’importante, ne soit pas strictement l’enjeu de ce film.

X (il n’a pas de nom, ce qui est finalement bien trouvé), ghost writer de talent, est engagé (et payé très cher) pour terminer les mémoires de l’ancien premier ministre britannique, Adam Lang, dont le premier jet est d’une platitude à faire peur. Il rejoint donc son « sujet » à Martha’s Vineyard, dans sa maison, véritable bunker. Mais le projet apparaît vite semé d’embûches : le précédent prête-plume est mort dans des circonstances suspectes, tombé d’un ferry où il n’avait rien à faire, un ancien ministre du cabinet Lang l’accuse de complicité de crimes de guerre pour avoir autorisé l’arrestation illégale de terroristes présumés et les avoir livrés à la CIA qui les aurait soumis à la torture et cela crée un scandale, et en menant l’enquête X découvre que Lang ment sur certains points…

Thriller politico-littéraire, The Ghost writer est un véritable bijou, impeccablement filmé et construit (à partir d’un roman de Robert Harris), tout en proposant une réflexion extrêmement intéressante (et ô combien actuelle) sur la lutte contre le terrorisme (et les problèmes moraux que cela pose, avec des réflexions de Lang qui ne sont pas complètement infondées à mon sens), le rôle de la CIA et l’impérialisme américain. Que Lang soit largement inspiré de Tony Blair finalement importe peu : tout en faux-semblants, en jeux d’apparences et en manipulations, le film distille un suspens véritable sans jouer sur le grand spectacle, avec plutôt une ambiance inquiétante à la Hitchcock. Glaçant jusqu’à la dernière image, grandiose.

Bref, un excellent film, à voir absolument. Et note pour plus tard : ne jamais accepter de ghost-writer le livre d’un homme politique, c’est beaucoup trop dangereux.

The Ghost-writer
Roman POLANSKI
2010

Paradox, de Michael Hurst

Paradox, de Michael HurstYou can’t fight faith. We can’t change anything.

Je suis toujours dans mes voyages dans le temps (obsession vraiment bizarre je le reconnais, d’autant que je n’ai absolument aucun projet de texte sur le sujet), et je suis tombée par hasard sur ce film : comme on sait que je suis toujours agacée par le manque régulier de cohérence sur la question des paradoxes temporels, j’étais intriguée par une oeuvre qui annonce dès le titre qu’elle va s’en occuper sérieusement.

Un groupe de jeunes génies, grâce au financement d’un mystérieux homme d’affaires, a fabriqué un accélérateur de particules qui doit leur permettre de voyager dans le temps. L’expérience fonctionne, et l’un d’eux est envoyé une heure plus tard. Mais, lorsqu’il arrive, il découvre une scène de carnage, et revient dans le présent pour essayer d’empêcher que cela se produise.

Point de suspens de ce côté là : quoi qu’ils fassent, ils ne pourront pas empêcher ce qui s’est déjà produit dans le futur de se produire, car leurs moi futurs ont déjà fait ce qu’ils sont en train de faire ; pire, par l’effet du paradoxe de l’écrivain, ils font certaines choses justement parce qu’ils savent que ça s’est produit. Et c’est très bien expliqué : l’un d’eux, un astrophysicien, leur fait tout un cours pour leur expliquer qu’on ne peut rien changer, sinon on crée un paradoxe, mais c’est impossible : si on envoie quelqu’un dans le passé pour tuer Hitler enfant, il ne commettra pas toutes ces atrocités, mais du coup personne du futur ne reviendra pour le tuer enfant, et cela sans fin. La conclusion est donc que ne peut se produire que ce qui s’est déjà produit, et que si voyage dans le temps il y a, c’est qu’il existe déjà dans la ligne temporelle. Du coup, comme dans une tragédie grecque, le spectateur ne peut qu’assister impuissant à l’enchaînement des événements, parfois plusieurs fois mais avec des points de vue différents. Pourtant, il s’agit bien d’un thriller : qui est le tueur, et pourquoi fait-il tout ça ? Et là, le film recèle des surprises, ce qui le rend au final palpitant.

Alors ce n’est certainement pas le film du siècle, les acteurs ne sont pas très bons et ça manque de moyens, mais c’est une très bonne surprise !

Paradox
Michael HURST
2016

Synchronicity, de Jacob Gentry

synchronicityEinstein lui-même disait que [les coïncidences] c’est Dieu qui se promène incognito.

Depuis que je me suis abonnée à Netflix, je découvre plein de choses à côté desquelles je serais passée, faute d’en avoir entendu parler. C’est le cas par exemple de ce film, qui correspond pourtant à une de mes obsessions : les voyages dans le temps.

Jim Beale est physicien, et il vient de réussir une expérience au cours de laquelle il a fabriqué un trou de ver, à travers lequel est apparu un dahlia très rare. Dahlia qu’il retrouve peu après dans l’appartement d’une jeune femme elle aussi apparue étrangement après l’expérience, et dont il va bientôt se rendre compte qu’elle lui ment. En outre, depuis l’expérience, Jim souffre de très violents maux de tête.

Très pointu d’un point de vue scientifique (pour autant que je puisse en juger) voire militant car toute sa philosophie repose sur l’opposition entre Tesla, le pur génie désintéressé à qui on a volé toutes ses inventions, et Thomas Edison qui ne voyait dans la science qu’un moyen de gagner de l’argent, ce film repose sur l’une des théories les plus avancées concernant les voyages dans le temps : les trous de ver, sortes de raccourcis à travers l’espace-temps qui permettraient donc, hypothétiquement bien sûr, de circuler. Et j’ai bien écrit espace-temps, car ici le voyage dans le temps s’associe à la question des univers parallèles, je ne vous dis pas comment, mais c’est vertigineux. Et ce qui est surtout appréciable ici, c’est que la question des paradoxes temporels n’est pas jetée par-dessus les moulins mais au contraire intégrée à la narration, avec l’idée que rien ne peut se produire qui ne s’est déjà produit, mais que parfois faute d’une vision d’ensemble on se fait une idée fausse des événement. Un peu comme dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, la magie en moins et la physique (quantique) en plus.

Cela donne un film franchement passionnant, bien fait, auquel je ne suis pas certaine d’avoir tout compris (j’ai fait des études de lettres, pas de physique quantique) mais cela n’enlève finalement pas grand chose au plaisir que procure ce thriller !

Synchronicity
Jacob GENTRY
2015

Les Retrouvailles, d’Olivier Maulin

Les Retrouvailles, d'Olivier MaulinDrôle de week-end en perspective. Trois mois auparavant un vieux copain de fac l’avait contacté par le réseau Facebook. Laurent venait de créer son compte, engrangeait les « amis ». Il passait ses soirées à taper le nom de connaissances perdues de vue. Curiosité ? Peut-être. Autre chose aussi si on fouillait un peu. Comme tout le monde, sa vie était un peu monotone. Pas ennuyeuse, ni pénible, ni désespérante ; non, juste un peu monotone. Boulot, famille, week-end, cinéma, dîners entre amis, le lot commun. Sans compter une femme dont il s’était progressivement éloigné. Et comme tout le monde, c’est dans le passé que Laurent avait tendance à rechercher le moyen de rendre cette vie un peu moins monotone. Il avait commencé par taper le nom d’anciennes petites amies, en avait retrouvé deux, mariées, des enfants, des photos de week-ends sur l’île de Ré. Pourquoi cela le déprimait-il autant ?

Faut-il chercher à renouer avec le passé — et avec les gens du passé ?

Laurent a accepté l’invitation de son vieux copain de prépa, et accompagné de sa femme et de ses deux enfants il se rend pour le week-end dans une vieille bâtisse nichée au coeur des montagnes, ancienne colonie de vacances désaffectée où on n’accède plus que par télésiège et motoneige. Il y a là toute la famille d’Aubert : son ami Michel et sa femme, son jeune frère Yvon, leur hôte, et sa compagne Maud, et leur soeur Flore, accompagnée de son mari. Flore, son premier amour. Très vite, l’alcool et l’isolement aidant, le week-end se transforme en cauchemar…

Au début, on croit lire un roman très bien fait mais somme toute assez classique sur la crise du milieu de vie, les retrouvailles avec les gens du passé, saupoudré d’un soupçon de lutte des classes : si les d’Aubert sont de grands bourgeois riches et cultivés, animés par un évident sentiment de supériorité, Laurent lui est un fils de maçon immigré, qui s’est fait tout seul et qui, s’il a réussi dans la vie et exerce un métier rémunérateur à défaut d’être passionnant, ne peut s’empêcher lui de se sentir inférieur. On pourrait se demander d’ailleurs pourquoi, animé d’un tel sentiment,  il se rend sur place (serait-il masochiste ?), n’était Flore et se sentiment bien humain de vouloir se revitaliser à la source de son premier amour, un amour pur et romantique. Bref, tout cela est très bien, mais rapidement le roman prend un nouveau tour, quelque chose qui mêlerait Agatha Christie et Stephen King : un vieux bâtiment sinistre et désolé aux volets qui claquent, l’isolement total dans les montagnes, la tempête qui gronde, les sentiments dont la violence monte d’heure en heure : le roman sociologique se fait thriller, et la fin m’a laissée… bouche bée !

A lire d’une traite, vous serez surpris !

Les Retrouvailles
Olivier MAULIN
Editions du Rocher, 2017