Rien de plus sensuel que la douleur, rien de plus excitant que l’avilissement.
Je ne connais pas tous les films de Polanski, mais ceux que j’ai vus m’ont la plupart du temps assurément troublée et intéressée, et j’étais du coup assez curieuse de découvrir sa dernière oeuvre. Quant au roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch (auteur qui a donné la moitié de son nom au sado-masochisme), je l’ai lu il y a de nombreuses années (1999, lorsque j’effectuais mes recherches de maîtrise sur la parure féminine), et si j’en crois mon exemplaire tout annoté de partout, il m’avait fait une forte impression.
Ce film est à la fois une réécriture (au second degré puisque le scénario s’appuie sur une réécriture théâtrale de David Ives) et une mise en abyme du roman.
Seul dans un théâtre parisien, après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il a écrite et qu’il s’apprête à mettre en scène, La Vénus à la fourrure, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Il se prépare à partir lorsque surgit Vanda, aussi vulgaire que délurée, en retard et d’ailleurs même pas sur la liste des candidates. Un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et il fait bien : Vanda se métamorphose. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît la pièce par cœur, pièce dont elle s’est procuré on ne sait comment la version intégrale. L’audition se prolonge et la tension monte peu à peu…
Dire que ce film m’a enchantée serait encore un euphémisme. Pour autant, je le pense destiné à un public averti : très intellectuel, il se mue par moments en véritable explication de texte du roman, qui en révèle une compréhension extrêmement fine et complexe, ce qui est formidablement bien trouvé car il donne ainsi toute son épaisseur au texte dans un vertige de correspondances : véritable huis-clos, le parti-pris est celui d’une diégèse correspondant exactement au temps du film, ce qui permet au mieux de percevoir la tension montante entre les personnages et leur évolution graduelle, le jeu de pouvoir qui se met en place entre eux et finit par s’inverser, et l’identification de plus en plus grande entre le réel et la fiction, jusqu’à la fusion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et tout autant qu’une variation sur la domination, assez féministe au final, le film se veut une réflexion sur le théâtre et l’art, et sur la manière dont la fiction finit par déborder sur le réel. Certaines trouvailles du réalisateur sont à cet égard magistrales : lorsque les personnages jouent, on ne voit pas les objets, en revanche on les entend (le bruit du fouet par exemple), et on a presque l’impression de les sentir.
C’est vertigineux, troublant, et pour tout dire jubilatoire (je n’ose pas dire jouissif) !
La Vénus à la fourrure
Roman POLANSKI
France, 2013