La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski

20541851_20130930175039697Rien de plus sensuel que la douleur, rien de plus excitant que l’avilissement.

Je ne connais pas tous les films de Polanski, mais ceux que j’ai vus m’ont la plupart du temps assurément troublée et intéressée, et j’étais du coup assez curieuse de découvrir sa dernière oeuvre. Quant au roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch (auteur qui a donné la moitié de son nom au sado-masochisme), je l’ai lu il y a de nombreuses années (1999, lorsque j’effectuais mes recherches de maîtrise sur la parure féminine), et si j’en crois mon exemplaire tout annoté de partout, il m’avait fait une forte impression.

Ce film est à la fois une réécriture (au second degré puisque le scénario s’appuie sur une réécriture théâtrale de David Ives) et une mise en abyme du roman.

Seul dans un théâtre parisien, après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il a écrite et qu’il s’apprête à mettre en scène, La Vénus à la fourrure, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Il se prépare à partir lorsque surgit Vanda, aussi vulgaire que délurée, en retard et d’ailleurs même pas sur la liste des candidates. Un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et il fait bien : Vanda se métamorphose. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît la pièce par cœur, pièce dont elle s’est procuré on ne sait comment la version intégrale. L’audition se prolonge et la tension monte peu à peu…

Dire que ce film m’a enchantée serait encore un euphémisme. Pour autant, je le pense destiné à un public averti : très intellectuel, il se mue par moments en véritable explication de texte du roman, qui en révèle une compréhension extrêmement fine et complexe, ce qui est formidablement bien trouvé car il donne ainsi toute son épaisseur au texte dans un vertige de correspondances : véritable huis-clos, le parti-pris est celui d’une diégèse correspondant exactement au temps du film, ce qui permet au mieux de percevoir la tension montante entre les personnages et leur évolution graduelle, le jeu de pouvoir qui se met en place entre eux et finit par s’inverser, et l’identification de plus en plus grande entre le réel et la fiction, jusqu’à la fusion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et tout autant qu’une variation sur la domination, assez féministe au final, le film se veut une réflexion sur le théâtre et l’art, et sur la manière dont la fiction finit par déborder sur le réel. Certaines trouvailles du réalisateur sont à cet égard magistrales : lorsque les personnages jouent, on ne voit pas les objets, en revanche on les entend (le bruit du fouet par exemple), et on a presque l’impression de les sentir.

C’est vertigineux, troublant, et pour tout dire jubilatoire (je n’ose pas dire jouissif) !

La Vénus à la fourrure
Roman POLANSKI
France, 2013

Rapport intime, de Didier Van Cauwelaert

9405949995_0a37f81c6e_oDeux âmes soeurs qui se rencontrent, le hasard, un coup de foudre, la décision mutuelle de s’unir pour la vie… Et puis le temps qui passe, le quotidien qui s’installe, la jalousie qui s’immisce, la passion qui s’émousse… Un jour c’est la rupture, le départ et, pour l’un des deux au moins, l’insupportable solitude. On croit sa vie détruite jusqu’au soir où, soudain, l’espoir renaît au fond des ruines parce qu’une main amie vous tend un micro, où vous allez lancer cet appel déchirant qui sera, peut-être, entendu : « Mon amour, reviens ! » Cette histoire, c’est l’histoire de Paul, c’est celle de votre voisin, de votre voisine, la vôtre peut-être…

Je vous avais déjà parlé de cette pièce alors même que la Première n’avait pas encore eu lieu. Malheureusement, je n’ai pas réussi à trouver le moyen d’aller la voir (c’est compliqué le théâtre, parce que c’est le soir, et que je ne peux pas reprendre le train après… il me faudrait vraiment un pied-à-terre à Paris). Je me suis donc contentée du texte…

Rapport Intime est une émission de télé-réalité basée sur la rupture amoureuse : dans le décor reconstitué des lieux où il a été heureux, l’invité du jour vient parler de son histoire achevée, et lancer un appel à son ex. Ce soir, l’invité, c’est Paul, un prof de grec au bout du rouleau, qui prend en otage la présentatrice, Clara…

Qu’est-ce que je regrette de ne pas avoir été plus insistante avec moi-même pour aller voir cette pièce sur scène. Parce que vu comme je me suis régalée avec le texte seul, je pense que j’aurais passé une soirée délicieuse. Bon, vous me direz que je ne suis pas très objective en ce qui concerne cet auteur, et je n’en disconviendrai pas, mais tout de même, j’affirme qu’il s’agit d’une excellente pièce. Une vraie comédie à vocation satirique, castigat ridendo mores (je l’aurais bien dit en grec, mais je ne maîtrise pas cette langue) : c’est très très drôle évidemment (mais vraiment hein : j’ai eu le fou rire à plusieurs reprises), très mouvementé, le rythme est soutenu, mais c’est aussi très caustique, et les sujets de critique ne manquent pas : la télé-réalité, le voyeurisme et la surenchère dans le spectaculaire bien sûr, mais aussi l’Education Nationale, les dérives de la société, la perte des idéaux. C’est aussi une jolie fable sur l’amour, parce qu’évidemment c’est tout de même un sujet central chez notre auteur. C’est aussi très très bien fait, très théâtral au sens où, contrairement à d’autres qui semblent parfois oublier l’aspect spectaculaire du théâtre, Didier Van Cauwelaert pense à la mise en scène, que ce soit par des propositions didascaliques parfois, ou tout simplement dans la construction même : le fait que l’émission soit tournée dans une reconstitution de la maison de Paul permet ainsi de changer de lieu (et de temps !) sans changer de décor, ce qui est diablement malin !

Bref, une pièce absolument jouissive, et je pèse mes mots !

Rapport Intime
Didier VAN CAUWELAERT
Albin Michel, 2013

Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès

11666629324_672ce328b8_oJe suis le meurtrier de mon père, de ma mère, d’un inspecteur de police et d’un enfant. Je suis un tueur.

Roberto Zucco est la dernière pièce de Bernard-Marie Koltès, mort du sida en 1989. Inspirée d’un fait divers réel, la pièce retrace l’errance du tueur en série italien Roberto Succo, quelques jours entre le moment où il s’échappe une première fois de prison, à sa mort.

Cette pièce est d’une richesse incroyable, tissée de références plus ou moins évidentes. Il y a de la tragédie grecque dans la trajectoire de Zucco, dont on ne cesse de se demander s’il est monstrueux, humain, fou, ou on ne sait quoi ; quel qu’il soit, on sent peser sur lui la fatalité tragique, quelque chose d’Oreste peut-être, quelque chose en tout cas qui dépasse l’humanité ordinaire dans sa démesure. Mais il y a aussi du Shakespeare, quelque chose d’Hamlet et la scène d’exposition est une évidente réécriture de celle du dramaturge anglais, à ceci près que le fantôme n’est autre que Zucco lui-même et que cela sème le trouble sur le reste de la pièce. Il y a du Genet, avec une cohorte de personnages interlopes, prostituées, dealers, flics, adolescentes, mères, grandes soeurs. Il y a, également, quelque chose de Meursault en Zucco : il passe sans sembler ressentir grand chose, tue sans état d’âme non un arabe mais sa propre mère, paraît étranger au monde et à lui-même. Il y a enfin un peu de Bonnie and Clyde dans cette cavale sanguinaire. La pièce oscille entre une multitude de registres, du drame, à l’absurde, au burlesque parfois, si bien qu’on ne peut s’empêcher de rire même au plus profond du chaos et du drame : la scène de la prise d’otage est à cet égard exemplaire, l’horreur est en train d’arriver et les témoins de la scène ont un dialogue totalement décalé qui ne peut que faire sourire. Malgré tout.

Bref, une grande pièce, d’une exceptionnelle richesse, qui provoqua un énorme scandale parce qu’elle se fonde sur des événements réels et tragiques et que, parue peu de temps après les faits, en mythifiant le meurtrier elle semblait manquer de respect à ses victimes. Reste qu’au-delà du fait divers, on atteint ici une sorte d’essence tragique indépassable !

Roberto Zucco
Bernard-Marie KOLTES
Minuit, 1990

Dix ans, de Marie-Ange Munoz

10926518794_a6f2bf7c82_oCe serait idéal, « un nouveau coeur ». Capable des sentiments les plus beaux, les plus purs… mais qui n’a pas encore vécu, je veux dire vierge, qui n’a pas encore aimé, qui n’a pas souffert… Je prends le risque de l’opération, Docteur, le mien aussi est condamné.

L’autre soir, j’ai dîné avec une de mes amies les plus chères, et c’est elle qui m’a prêté ce livre, qui a été écrit par une de ses amies (que je ne connais pas). Et honnêtement, je me demande bien pourquoi elle ne me l’avait pas mis avant entre les mains, n’est-ce pas…

Une aérogare. Une jeune femme, qui attend désespérément quelqu’un qui n’arrive pas, fait un malaise, et est secourue par un homme qui, ça tombe bien, est justement médecin. Parallèlement (mais sur quelle ligne temporelle ?) une personne ayant reçu une balle dans le coeur est opérée…

Pour le même prix, dans ce volume, nous n’avons pas une, mais deux pièces. Ou, plus exactement, deux versions d’une même pièce, qui s’éclairent l’une l’autre, deux versions jumelles d’une même histoire mais à l’opposé l’une de l’autre en ce qu’elles ne nous donnent pas les mêmes cartes (ou les mêmes pièces du puzzle) : la première tend vers l’irrationnel, la seconde, tout en restant somme toute fantastique, est plus cartésienne et logique. Et les deux sont magnifiques : c’est à la fois très théâtral et très écrit, et parle d’amour, du vrai, de l’unique de manière totalement bouleversante. Cette histoire m’a vraiment émue parce qu’elle a créé des échos en moi, a éveillé des idées, des petites choses, et que tout ça fait que j’en ai été profondément troublée.

S’il faut absolument choisir la version que je préfère, je dirais, contre toute attente, que j’ai préféré la deuxième, mais enfin, j’ai aimé les deux, et j’espère que vous aurez à votre tour envie de les découvrir car elles le méritent. Quant à moi, je serais curieuse de voir ce que ça donne sur scène…

Dix Ans
Marie-Ange MUNOZ
Le bruit des autres, 2006

(en bonus sur la photo : le magnifique coeur que m’a offert Syl)

Une séparation, de Véronique Olmi

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Cela va vite, une séparation. Il suffit d’un mot pour défaire des mois, des années d’amour, c’est comme dynamiter sa maison, on craque une allumette et tout s’effondre. Étrange que ce soit si simple de se quitter. Étrange qu’il n’y ait de procédure que pour les gens mariés. Pour nous deux, une lettre et c’est déjà beaucoup. Un coup de fil, un mail, un silence auraient suffi. Notre séparation… Un peu de vent à la surface du sable. Un volet qui claque. Un rêve qui meurt. Trois fois rien. C’est fini.

Une Séparation est la dernière pièce de Véronique Olmi qui, après une lecture au Festival de la Correspondance de Grignan en 2009, vient d’être créée au théâtre des Mathurins. Une pièce bien étrange, sous forme d’un échange épistolaire, sur un sujet universel : la séparation.

Un matin, Paul trouve une lettre dans laquelle Marie, la femme qu’il aime, lui annonce qu’elle le quitte. Il n’a rien fait de spécial, pas commis de geste irréparable, simplement elle estime que leur couple s’est usé, et elle ne veut plus d’une relation fondée sur l’habitude. Tout pourrait s’arrêter là, mais Paul se rebelle : il aime Marie, et veut à tout prix maintenir le dialogue. Il lui écrit, elle répond…

Il y a dans cette pièce de magnifiques passages sur l’amour, la séparation, le couple et ce qui l’use, entraînant le désamour. Deux visions s’opposent, celle de l’homme pour qui aimer quelqu’un, c’est aussi accepter ce quotidien, et celle de la femme qui voudrait que la passion ne s’éteigne pas. Alors c’est elle qui part, comme souvent. Aucun des deux n’a raison, et ils ont raison tous les deux, finalement. Ils s’appellent Paul et Marie, mais ils sont des personnages universels et pourraient tout aussi bien ne pas porter de prénom tant on se retrouve tour à tour dans l’un et dans l’autre. C’est une pièce très écrite, dont la lecture se savoure, et je serais assez curieuse de voir comment elle passe la rampe, car je me demande si elle n’y perd pas en saveur. Mais c’est, en tout cas, une très belle pièce, qui m’a beaucoup émue même si la fin m’a laissée perplexe.

Une Séparation
Véronique OLMI
Albin-Michel, 2013 (Triartis, 2009)

Lu par Mango, Canel

Bloc notes

* Hier a été dévoilée la thématique du salon du livre 2014 : cette 34ème édition, qui se tiendra à la porte de Versailles du vendredi 21 mars au lundi 24 mars 2014mettra à l’honneur les lettres argentines en recevant une délégation de trente écrivains parmi les plus représentatifs de la littérature argentine contemporaine. Un des événements majeurs des « Lettres argentines à l’honneur » sera la célébration du centenaire de la naissance de Julio Cortazár, un des auteurs emblématiques de la littérature argentine contemporaine.

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* Du 21 juin au 6 octobre 2013, la parisienne de Photographie et La Cité de la mode et du design proposent l’exposition « Parisienne en été », en accès libre sur les coursives et le rooftop : des photographies qui datent de 1880 à 1960, représentant les plaisirs estivaux à Paris. La collaboration se poursuivra à la Cité au gré des saisons. Une bonne occasion de découvrir l’endroit, et éventuellement d’en profiter pour boire un verre et profiter du magnifique panorama.

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* Didier Van Cauwelaert a écrit une nouvelle pièce de théâtre, qui sera en représentation du 4 octobre 2013 au 11 janvier 2014 aux Bouffes-Parisiens. Mise en scène par Alain Sachs, avec Alain Sachs et Macha Méryl, elle s’intitule Rapport Intime. Le pitch ? Un prof de grec au chômage prend en otage une présentatrice télé. Et leur destin bascule en direct, devant des millions de personnes. Dans cette situation aussi tendue pour eux qu’hilarante pour nous, ces deux paumés que tout oppose vont révéler leur vrai visage. Et découvrir qu’ils sont peut-être faits l’un pour l’autre. De l’amour et de l’humour, cocktail que semble apprécier mon écrivain préféré !

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* Le numéro 2 de Vanity Fair, avec la magnifique Audrey Hepburn en couverture, est tout aussi bon que le n°1 et je vous conseille vivement d’y jeter un oeil, sur la plage ou ailleurs.

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* Si vous avez écrit une romance ou que vous pouvez en écrire une d’au moins 250 000 signes d’ici le 1er décembre, les éditions Bragelonne Milady attendent vos manuscrits. Historiques, contemporaines, paranormales ou érotiques, toutes sont acceptées, et les meilleures seront intégrées au catalogue numérique de la maison dès 2014.

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* Une petite découverte récente pour terminer : artips, qui propose une newsletter consacrée à l’art : chaque jour des anecdotes indépendantes de l’actualité artistique, qui permettent de se cultiver en s’amusant.

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Ex-Voto, de Xavier Durringer

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Moi, je voulais plus bouger de là, on était bien tous les deux en rase campagne. Je voulais te parler, juste parler avec toi, tout te raconter jusqu’au bout toute ma vie avant toi, tout ce qui s’était passé. Ma vie, c’est un enchaînement incroyable de trucs vraiment sans importance, avec des éclairs furtifs de bonheur et des trucs moins rigolos qui te tombent sur le coin de la gueule, un peu comme la météo. Enfin tout ce qui s’était passé avant toi était balayé d’un seul coup avec ta rencontre.

Ces jours-ci, mue par une motivation qui ne tardera certainement pas à retomber lorsque je serai en vacances, je suis plongée dans ma progression de l’année prochaine : il y a des choses que je garde de cette année, et d’autres que je vais renouveler. Notamment, j’ai envie de changer un peu au niveau du théâtre, et allez savoir pourquoi je me suis mis en tête d’étudier une pièce contemporaine. Je suis donc en pleine exploration. Cette pièce de Xavier Durringer n’aurait probablement pas fait partie de ma sélection initiale, mais il se trouve que je l’avais à ma disposition, l’ayant reçue en specimen, donc j’y ai tout de même jeté un oeil.

Il s’agit d’une pièce très courte (une trentaine de pages) en une seule scène. Dans un No man’s land, Gus et Léa, un couple de marginaux, font la chronique de leur histoire.

Une chose est sûre : cette pièce ne sera pas l’élue. Elle ne manque pourtant pas de qualités : les thèmes abordés, le couple, la société, le déclassement, sont extrêmement intéressants, et la manière dont Durringer travaille la langue de l’intérieur, pour la rendre en quelque sorte étrange à elle même, pourrait donner lieu à de passionnantes analyses. Mais voilà : pour moi ce texte n’a rien de théâtral, puisqu’il est exclusivement constitué de récit : les personnages se racontent l’un à l’autre l’histoire de leur couple (ce qui déjà est peu vraisemblable au départ : les événements ils les ont pour la plupart vécus ensemble…). Evidemment, cela facilite la mise en scène, réduite au minimum (pas de décors, deux acteurs, pas de costume particulier) mais pour moi le théâtre perd de son essence dans tout ce bavardage. Il ne se passe, littéralement, rien sur scène, sauf un peu au début. Que peut donc apporter la représentation comme supplément de sens dans ce contexte ? A mon avis, pas grand chose : le texte ici est plein et se suffit à lui même. Evidemment, on peut toujours imaginer un jeu d’acteur particulier, une scénographie qui accentuerait certains traits, des costumes, pourquoi pas tout de même des décors, on peut toujours, puisqu’on peut même mettre en scène des textes qui ne sont pas théâtraux au départ. Mais enfin je ne suis pas convaincue, d’autant que l’influence de Beckett est ici évidente, et que ce n’est pas le théâtre que j’aime…

Ex-Voto
Xavier DURRINGER
Editions théâtrales, 2000 (Hatier, 2009)