Il y a, autour du carnet Moleskine, un storytelling très réussi : si ce type de petit carnet existe depuis le XIXe siècle et que de nombreux artistes ont pu les utiliser et y ont éventuellement fait référence (Lucien Jacques dans son roman Carnets de Moleskine publié chez Gallimard en 1939, Bruce Chatwin dans Le chant des pistes qui parle d’un carnet fabriqué par une entreprise familiale tourangelle jusqu’en 1985 et qui ne porte pas de nom particulier, Hemingway qui mentionne dans Paris est une fête son carnet de notes), la marque Moleskine n’existe en tant que telle que depuis 1997. Ce qui fait que fort logiquement (sauf s’il voyageait dans le temps pour faire ses emplettes), Hemingway, même s’il avait un petit carnet similaire, ne pouvait pas utiliser celui-là.
Et pourtant. Bien que totalement consciente de tout cela, je voue aux petits carnets Moleskine un amour infini. J’ai d’autres carnets de la marque, j’ai des carnets d’autres marques, mais celui-ci m’accompagne partout depuis le 26 août 2013. C’est précis parce que comme il me sert en gros de journal, les dates sont indiquées. J’en suis au tome 4, et je prends toujours le même modèle : couverture souple noire, non ligné.
Il est toujours dans mon sac, parce que je ne sais pas à quel moment ça va me prendre d’avoir envie/besoin d’écrire quelque chose. A certaines périodes, c’est tous les jours voire plusieurs fois par jour ; parfois, il se passe des jours et des semaines sans que j’écrive un mot. Chez moi, dans le train. Mais ce que j’aime surtout, c’est le sortir lorsque je suis installée (seule) à une terrasse de café : c’est totalement caricatural, et cependant, le cliché de l’auteur qui écrit à une terrasse, il n’est pas né ex nihilo. Jurisprudence Hemingway.
Ce qui est amusant avec ces petits carnets, outre l’aspect « objet transitionnel » du truc (que j’archive précieusement) c’est que, en temps habituel, je n’écris qu’à l’ordinateur (à part dans la phase de recherches parce que sinon je ne m’y retrouve pas dans les fichiers, et à part lorsque que j’écris une nouvelle en loucedé pendant une réunion pourtant à la base peu propice à l’exercice), et chez moi (hormis donc dans la situation exposée précédemment). Ce qui est amusant aussi, c’est que je n’aime guère Hemingway (je suis fitzgeraldienne, moi) et que pourtant je ne cesse de croiser son ombre dans les lieux qu’il fréquentait assidûment à Paris, et d’écrire dans des carnets comme les siens.
Parfois je les relis, ces petits carnets. Ce n’est pas de la grande littérature (mais ce sera peut-être un jour, après ma mort, un témoignage intéressant qu’on s’arrachera aux enchères*), mais j’aime bien voir, couche par couche, les évolutions de mon moi.
Et puis, quand même, écrire dans un carnet Moleskine à la terrasse du Flore ou de la Rotonde, ça a de la gueule non ?
*Un jour, sur snap, j’avais fait une petite video de mes carnets, avec la même réflexion ; sauf que j’avais fait un délicieux lapsus, et que j’avais dit « on se les arrachera aux Enfers ».