Instantané : mon précieux

Je ne pouvais pas attendre la sortie du prochain épisode de la série de l’été « autrice indépendante » pour vous le montrer, j’en suis trop fière. Mercredi, j’ai reçu mes épreuves, et un choc ! Pas un choc négatif, au contraire : il est exactement comme je l’imaginais. J’appréhendais un peu, parce que certains auteurs étaient déçus du rendu des couvertures et de la qualité du papier avec KDP : ce n’est absolument pas mon cas, j’aime passionnément le fini mat qui a un aspect doux et velouté et élégant exactement comme je voulais, l’image est parfaitement nette, mon idée que le bout de l’aile du papillon le plus bas soit liée au titre par l’apostrophe donne ce que je voulais, et même la police de la quatrième de couverture, sur laquelle j’étais finalement sceptique, me convainc totalement. Et la qualité du papier est tout à fait satisfaisante !

Le seul souci vient d’une erreur de pagination, mais cela m’a fait rire parce que c’est totalement de mon fait : étant mal latéralisée depuis toujours, j’inverse la droite et la gauche. Et là, j’ai inversé les pages paires et impaires, imaginant les pages impaires à gauche, alors que c’est l’inverse, ce qui donne donc des sauts de pages là où il ne devrait pas y en avoir pour que les débuts de chapitres soient en page impaire. Bon, ça va se régler facilement.

En tout cas, ce que je ressens est… inexprimable (un des hommes du roman me dirait qu’un écrivain qui ne trouve pas ses mots, c’est un comble). Un mélange de fierté pour tout le travail accompli, l’impression de franchir une étape essentielle, et aussi la crainte de l’envoyer vivre dans le monde loin de moi après l’avoir couvé pendant des années ! Je vous avoue avoir versé quelques larmes d’émotion. J’ai déjà publié des choses, des articles dans des ouvrages universitaires et des nouvelles dans des recueils collectifs, mais là c’est mon nom sur la couverture et ça change tout ! Alors je savoure…

(Je rappelle que la version numérique est dès à présent disponible pour les blogueurs et apparentés qui le souhaitent, n’hésitez pas à m’envoyer un mail).

L’effet miroir et les personnages de roman

En psychologie des profondeurs et en travail de l’ombre, l’effet miroir correspond à ce que nous ne voyons pas chez nous, ne voulons pas voir, mais que nous voyons très bien chez les autres. On a souvent tendance d’ailleurs à le réduire à l’aspect négatif, car le terme d’ombre est trompeur : ce qui est dans l’ombre est ce qui est caché, mais pas nécessairement parce que c’est mal, laid, cela peut aussi être beau.

Toute réaction face à une autre personne est donc intéressante : ce que nous aimons chez ceux que nous aimons, c’est quelque chose que nous avons en nous mais que nous n’autorisons pas à être : la générosité, le courage, la bienveillance. Ce que nous détestons chez les autres, un comportement qui nous met en colère, qui nous fait peur, c’est une part de nous que d’une certaine manière nous refusons de voir.

Et cela fonctionne aussi pour les personnages de roman. Pour leur auteur, évidemment, mais aussi pour le lecteur. Les personnages sont des êtres de papier, souvent dotés d’une complexité qui permet cet effet miroir. Je dirais même que c’est encore plus efficace, parce que les réactions épidermiques que suscitent les personnages ont une part d’irrationnel qui permet de mettre plus facilement le doigt sur ce qui demande à être vu.

Est-ce que certains personnages vous ont déjà mis en colère, une vraie colère, sans que vous parveniez clairement à expliquer pourquoi ? A fortiori lorsque ce personnage n’a rien fait de mal ? C’est ce qui s’est longtemps passé pour moi avec la Princesse de Clèves, j’en ai déjà parlé : son renoncement final me faisait bouillir de rage. Alors il le fait toujours, mais après un gros travail, je sais pourquoi.

A contrario, y a-t-il des personnages de méchants que vous ne pouvez pas vous empêcher d’admirer ?

Y a-t-il des personnages que vous aimez profondément, au-delà de toute raison ?

Et je crois que c’est une des grandes forces de la littérature : il y a l’identification, qui permet de grandir et d’évoluer, et il y a l’effet miroir, qui permet aussi de grandir et d’évoluer mais d’une autre manière !

Pourquoi on écrit des romans, de Danièle Sallenave

Pourquoi on écrit des romans, de Danièle SallenaveChaque fois que je commence une histoire, je vois très nettement le personnage, comme s’il était devant moi. D’ailleurs ce n’est pas moi qui la commence, c’est l’histoire qui commence toute seule, c’est le personnage qui se présente. Il ne dit rien, on dirait pourtant qu’il veut que je raconte son histoire. Mais comme il ne parle pas, c’est à moi de la deviner.

Danièle Sallenave est quelqu’un dont j’ai beaucoup lu les textes lorsque j’étais en khâgne, en particulier Le Don des morts qui m’avait illuminée. Du coup, lorsque je suis tombée sur ce petit livre à la base pour les enfants mais c’est pas une raison, j’étais très curieuse de voir de quoi il retournait. En effet, comment parler de la création romanesque, ce grand mystère, aux enfants ?

L’ouvrage se présente comme un dialogue entre Anne, romancière, et trois enfants : le petit Tom, qui vient d’apprendre à lire, sa soeur Lea, un petit peu plus grande, et leur grand frère Adrien, qui préfère les films aux livres. Comme ils ne comprennent pas ce que cela signifie d’écrire des romans, elle leur explique.

Le pari est difficile, et il est réussi, même si les prises de paroles d’Anne sont parfois un peu trop didactiques voire professorales. Tous les enjeux de l’écriture romanesque sont abordés : le personnage de roman, comment on raconte une histoire, ce que c’est que la fiction, le pacte de lecture, la vraisemblance, comment on construit du faux avec des morceaux de vrai, le rapport à l’autobiographie, la différence entre écrivain et auteur, la féminisation des noms (sur ce coup, je ne suis pas d’accord mais passons), s’agit-il d’un métier, d’une profession, l’inspiration, le style, le mensonge romanesque… Evidemment, dans un ouvrage aussi court et à destination des enfants (ne me demandez pas quel : je n’y connais rien en enfants), les sujets sont abordés mais peu approfondis : mais le principe est aussi d’amorcer une réflexion personnelle, puisque la collection vise à initier les enfants au questionnement philosophique, et il y a de quoi penser et réfléchir avec un sujet aussi riche. En outre, le livre est très joliment illustré par Sandrine Martin, et émaillé de citations (Aristote, Buffon, , Queneau…), de définitions et de mini-bios des écrivains dont il est question.

Bref : un joli petit livre, qui bien sûr ne m’a rien appris à moi mais que j’ai néanmoins pris plaisir à lire, et qui intéressera sans doute vos enfants (ou vous) !

Pourquoi on écrit des romans…
Danièle SALLENAVE
Dessins de Sandrine MARTIN
Giboulées/Gallimard jeunesse, 2010

Le romancier et ses personnages, de François Mauriac

Le romancier et ses personnagesCe que la vie fournit au romancier, ce sont les linéaments d’un personnage, l’amorce d’un drame qui aurait pu avoir lieu, des conflits médiocres à qui d’autres circonstances auraient pu donner de l’intérêt. En somme, la vie fournit au romancier un point de départ qui lui permet de s’aventurer dans une direction différente de celle que la vie a prise. Il rend effectif ce qui n’était que virtuel ; il réalise de vagues possibilités.

Je ne sais pas pourquoi, subitement, l’autre jour, j’ai eu envie de relire ce texte que j’avais découvert lorsque j’étais en khâgne, cela commence à faire un bout de temps. Le fait est que je n’aime guère Mauriac : comme beaucoup, j’ai lu Le Sagouin, puis plus tard Thérèse Desqueyroux, mais ça ne m’a pas plus intéressée que ça ; disons que Mauriac a une vision du monde à tellement d’années lumières de la mienne que ça a du mal à passer. Mais. Mais ce texte, au contraire de ses romans, m’a durablement marquée.

Il est précédé d’une très intéressante préface de Danièle Sallenave (écrivaine que j’ai découverte en khâgne également, et dont les textes théoriques m’ont beaucoup marquée), qui montre comment le personnage de roman, quoi qu’on fasse, est au centre du genre narratif, qu’il est à l’origine du geste créateur, et qu’il résistera à toutes les tentatives de le tuer (notamment celles du Nouveau Roman, pour qui le personnage fait partie des « notions périmées » dont il faut se débarrasser).

Mauriac, quant à lui, part de l’orgueil du romancier qui, à l’instar de Dieu, voudrait être démiurge, mais dont l’activité n’est en fait que mimétique : il imite Dieu en pensant retranscrire la symphonie humaine, mais en réalité, les lieux qu’il décrit, les personnages qu’il fait agir, sont tous à des degrés divers empruntés au réel, quoique souvent à son insu. Et s’il échoue a rendre cette complexité de la vie, c’est aussi parce que son rôle, c’est surtout de s’interroger sur un de ses aspects, et avec lui le lecteur, et c’est la raison pour laquelle un auteur travaille souvent toute sa vie sur une oeuvre unique, le chef-d’oeuvre qui est profondément enfoui en lui, et dont tous les autres ne sont que des espèces de brouillons.

Ce qui est intéressant dans ce texte, si on met de côté le point de départ un peu trop religieux et critique (laissons donc Dieu tranquille), c’est la manière dont, à partir de sa propre expérience de romancier, Mauriac parvient à cerner la création romanesque dans son essence et son universalité. C’est parfois assez désabusé, lorsqu’il parle de la « faillite » du romancier, même des plus grands, et en même temps optimiste, et finalement très proustien lorsqu’il rejoint la grande idée du « livre intérieur » que nous cherchons en nous, sans toujours le trouver. Contrairement à ce que le titre pourrait faire croire, il ne parle pas uniquement des personnages, mais le personnage étant à l’origine du geste créateur et de tout roman, il est aussi à l’origine de toute réflexion sur l’écriture romanesque.

Particulièrement éclairantes sont les pages du début, lorsque Mauriac montre comment le réel imprègne le romancier parfois malgré lui, fermente de manière souvent inconsciente, et se retrouve plus tard transformé en fiction, sans que l’écrivain sache toujours d’où « ça » vient, d’où son incompréhension lorsque tel ou tel se plaint de s’être reconnu dans un personnage.

Un texte que tout le monde doit lire : les romanciers, ceux qui s’intéressent à la création, et aussi les juges qui ont en charge les multiples plaintes en violation de la vie privée que déposent les gens qui croient se reconnaître dans les romans, alors que c’est souvent beaucoup plus compliqué que ça !

Le Romancier et ses personnages (1933)
François MAURIAC
Préface de Danièle SALLENAVE
Buchet/Chastel, 1990 (Pocket, 1990)

Sans Brigitte, il n’y a plus d’après de Christophe Mory

Sans Brigitte, il n'y a plus d'aprèsVingt-cinq ans plus tard, nous dictons à nos tablettes, nous lisons sur les écrans, je tape aussi vite que je parle, à quatre doigt toujours, mais quand même. Les romans ont proliféré mais où en est le roman ? Je croyais encore qu’un texte s’imposait de lui-même. C’était sans compter sur Brigitte Benderitter.

Saint-Germain-des-Prés, c’est un peu ma deuxième maison : dès que je suis à Paris, sans que je le fasse toujours exprès, mes pas finissent sur le Boulevard, au Flore souvent. Mais vous connaissez la chanson : Il n’y a plus d’après, à Saint-Germain-des-Prés… Est-ce que le mythe de Saint-Germain est mort ? Est-ce que nous ne vivons plus que sur les décombres d’une vie littéraire au passé glorieux mais au présent problématique ? Comment faire sans Brigitte ?

Brigitte, c’est Brigitte Benderitter, attachée de presse chez Gallimard chargée de la Pléiade et des livres d’art, dont tout le monde de la culture a pleuré la mort en 2007, et qui a même un cocktail à son nom au Ritz. L’auteur la rencontre quelques années avant, et en fait la figure centrale de ce recueil de chroniques qui se veut comme un tombeau pour son amie, mais aussi pour le roman.

Christophe Mory y réfléchit avec beaucoup d’acuité à la fois sur la littérature et sur la vie littéraire. Plusieurs directions : sa vie d’éditeur et d’auteur de cocktails en salons du livre et en services de presse, ses cours à l’Institut Français où il enseigne l’histoire du roman à des étudiants étrangers et où se cotoient Céline, Gide, Proust, Mauriac, Malraux, Aragon, Camus, les Hussards, le Nouveau Roman, l’Oulipo, et Houellebecq. Son amitié avec Marcel Schneider. Et puis Brigitte Benderitter, qu’il nous rend vivante attachante : un peu snob et désinvolte, un peu fofolle, pétillante, légère, insouciante et naïve. Une amoureuse de Saint-Germain et du Flore.

L’ensemble est un peu décliniste et pessimiste : l’auteur semble parfois avoir perdu la foi en la littérature et en son pouvoir. Mais c’est une lecture passionnante, qui interroge, et un bel hommage !

Ce texte fait partie de la sélection de Printemps « essais » du Renaudot, et mérite que l’on s’y attarde même s’il n’a pas joui d’une grosse couverture médiatique !

Sans Brigitte, il n’y a plus d’après
Christophe MORY
Riveneuve/Archimbaud, 2015