The Ghost writer, de Roman Polanski

The Ghost writer, de Roman Polanski
Ça te fera du fric. Un moyen de nourrir tes gosses.
— J’ai pas de gosses.
— Moi si.

Encore un film d’écrivain, encore que l’écriture, bien qu’importante, ne soit pas strictement l’enjeu de ce film.

X (il n’a pas de nom, ce qui est finalement bien trouvé), ghost writer de talent, est engagé (et payé très cher) pour terminer les mémoires de l’ancien premier ministre britannique, Adam Lang, dont le premier jet est d’une platitude à faire peur. Il rejoint donc son « sujet » à Martha’s Vineyard, dans sa maison, véritable bunker. Mais le projet apparaît vite semé d’embûches : le précédent prête-plume est mort dans des circonstances suspectes, tombé d’un ferry où il n’avait rien à faire, un ancien ministre du cabinet Lang l’accuse de complicité de crimes de guerre pour avoir autorisé l’arrestation illégale de terroristes présumés et les avoir livrés à la CIA qui les aurait soumis à la torture et cela crée un scandale, et en menant l’enquête X découvre que Lang ment sur certains points…

Thriller politico-littéraire, The Ghost writer est un véritable bijou, impeccablement filmé et construit (à partir d’un roman de Robert Harris), tout en proposant une réflexion extrêmement intéressante (et ô combien actuelle) sur la lutte contre le terrorisme (et les problèmes moraux que cela pose, avec des réflexions de Lang qui ne sont pas complètement infondées à mon sens), le rôle de la CIA et l’impérialisme américain. Que Lang soit largement inspiré de Tony Blair finalement importe peu : tout en faux-semblants, en jeux d’apparences et en manipulations, le film distille un suspens véritable sans jouer sur le grand spectacle, avec plutôt une ambiance inquiétante à la Hitchcock. Glaçant jusqu’à la dernière image, grandiose.

Bref, un excellent film, à voir absolument. Et note pour plus tard : ne jamais accepter de ghost-writer le livre d’un homme politique, c’est beaucoup trop dangereux.

The Ghost-writer
Roman POLANSKI
2010

Carnage, de Roman Polanski

Carnage de Roman PolanskiI believe in the god of carnage. The god whose rule’s been unchallenged since time immemorial.

J’avais lu il y a un certain temps la pièce de Yasmina Reza, Le Dieu du carnage, mais l’autre jour, à l’occasion d’une discussion, une de mes collègues a parlé du film (je ne sais plus du tout sur quoi portait la conversation, d’ailleurs) et je l’ai aussitôt noté, me demandant bien pourquoi j’étais passée à côté.

Brooklyn. Deux enfants se disputent, se battent, et l’un d’eux est blessé. Les parents décident d’essayer de régler ça à l’amiable. Essayer.

Huis-clos tout aussi drôle qu’effrayant, le film, qui repose essentiellement sur la performance phénoménale des quatre acteurs, interroge la notion même de civilisation. Deux couples, a priori plutôt civilisés. Mais, très vite, le vernis des apparences se fissure, la violence émerge, sauvage, instinctive, violence entre les deux couples, au sein de chaque couple, entre les femmes et les hommes, entre les femmes, entre les hommes — chacun, tour à tour, contre chaque autre. Tel un entomologiste, le spectateur observe les désastres causés par ce dieu du carnage qui semble tout contrôler : si la violence est d’abord le fait des enfants, qui n’ont pas encore intégré la Loi de la vie en communauté, on pourrait s’attendre à ce que les adultes parviennent à maîtriser leurs pulsions. Mais le dieu reprend toujours ses droits. Et si c’est drôle de les regarder totalement imbibés d’alcool se hurler dessus, c’est aussi profondément terrifiant, car éminemment pessimiste — mais peut-être pas faux !

Un film d’une grande intelligence, qui nous oblige à réfléchir sur ce que nous appelons la culture et la civilisation, et qui n’est peut-être qu’une apparence !

Carnage
Roman POLANSKI
D’après la pièce Le Dieu du carnage de Yasmina REZA
2011

Lunes de fiel, de Roman Polanski

lunes de fielOn devrait se séparer quand la passion culmine. Ne jamais attendre l’inévitable déclin.

J’avais vu ce film il y a une vingtaine d’années. Autant dire qu’il ne m’en restait pas grand chose, sinon un sentiment de malaise et de trouble, comme c’est souvent le cas d’ailleurs avec les films de Polanski.

Fiona et Nigel Dobson, un couple d’Anglais, effectuent un voyage pour fêter leurs sept ans de mariage. Sur le bateau qui les mène en Turquie, il font la connaissance de Mimi, une française, puis de son mari Oscar, un écrivain américain en fauteuil roulant, qui entreprend de raconter son histoire à Nigel et de le mettre en garde contre Mimi. D’abord scandalisé, Nigel est petit à petit troublé par le récit…

Avec la mécanique implacable de la tragédie grecque, ce film impeccablement construit revisite le mythe de la femme fatale et de la passion amoureuse s’apparentant à une véritable folie. On sait que ça va mal finir, dans le récit cadre comme dans le récit inséré. Mimi, qui apparaît tantôt comme ingénue et fragile, tantôt comme vénéneuse et dangereuse, tisse sa toile, tend son piège grâce à sa sensualité débordante, Salomé danseuse ensorcelante et provocante. Comme d’habitude, Emmanuelle Seigner passe l’essentiel du film à moitié nue voire complètement, et irradie totalement la pellicule, faisant des hommes des pantins. L’enjeu du film, c’est la descente aux enfers d’un couple qui n’est finalement lié que par le sexe : évidemment, le film suscite le malaise, de par sa violence et la crudité. Les rapports de domination et de soumission sont mis à nu, leur mécanisme exhibé et démonté d’autant mieux qu’ils sont flous : chacun, tour à tour, endosse les deux rôles, victime et bourreau. En face, un couple un peu coincé (Hugh Grant et Kristin Scott Thomas, parfais en Anglais proprets) pour qui cette histoire sera sans aucun doute cathartique et libératrice.

Assurément, un film dérangeant et troublant, marqué par la chair, la violence, le sang et le sexe. Eros et thanatos, une fois de plus. Assurément, un des plus grands films de Polanski, à voir absolument !

Lunes de fiel
Roman POLANSKI (d’après un roman de Pascal BRUCKNER)
1992

La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski

20541851_20130930175039697Rien de plus sensuel que la douleur, rien de plus excitant que l’avilissement.

Je ne connais pas tous les films de Polanski, mais ceux que j’ai vus m’ont la plupart du temps assurément troublée et intéressée, et j’étais du coup assez curieuse de découvrir sa dernière oeuvre. Quant au roman éponyme de Leopold von Sacher-Masoch (auteur qui a donné la moitié de son nom au sado-masochisme), je l’ai lu il y a de nombreuses années (1999, lorsque j’effectuais mes recherches de maîtrise sur la parure féminine), et si j’en crois mon exemplaire tout annoté de partout, il m’avait fait une forte impression.

Ce film est à la fois une réécriture (au second degré puisque le scénario s’appuie sur une réécriture théâtrale de David Ives) et une mise en abyme du roman.

Seul dans un théâtre parisien, après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il a écrite et qu’il s’apprête à mettre en scène, La Vénus à la fourrure, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Il se prépare à partir lorsque surgit Vanda, aussi vulgaire que délurée, en retard et d’ailleurs même pas sur la liste des candidates. Un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et il fait bien : Vanda se métamorphose. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît la pièce par cœur, pièce dont elle s’est procuré on ne sait comment la version intégrale. L’audition se prolonge et la tension monte peu à peu…

Dire que ce film m’a enchantée serait encore un euphémisme. Pour autant, je le pense destiné à un public averti : très intellectuel, il se mue par moments en véritable explication de texte du roman, qui en révèle une compréhension extrêmement fine et complexe, ce qui est formidablement bien trouvé car il donne ainsi toute son épaisseur au texte dans un vertige de correspondances : véritable huis-clos, le parti-pris est celui d’une diégèse correspondant exactement au temps du film, ce qui permet au mieux de percevoir la tension montante entre les personnages et leur évolution graduelle, le jeu de pouvoir qui se met en place entre eux et finit par s’inverser, et l’identification de plus en plus grande entre le réel et la fiction, jusqu’à la fusion. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et tout autant qu’une variation sur la domination, assez féministe au final, le film se veut une réflexion sur le théâtre et l’art, et sur la manière dont la fiction finit par déborder sur le réel. Certaines trouvailles du réalisateur sont à cet égard magistrales : lorsque les personnages jouent, on ne voit pas les objets, en revanche on les entend (le bruit du fouet par exemple), et on a presque l’impression de les sentir.

C’est vertigineux, troublant, et pour tout dire jubilatoire (je n’ose pas dire jouissif) !

La Vénus à la fourrure
Roman POLANSKI
France, 2013