La Petite Barbare, d’Astrid Manfredi

La Petite BarbarePourquoi est-ce encore moi qui paye ? Ils vont me laisser croupir là et autoriser les angoisses de la nuit à me jeter un sort. Je lancerai contre leurs murs de pisse mon cri de cheyenne sans tribu. Pourquoi est-ce encore moi qui paye ? Et l’autre, là, le dirlo, il va l’avoir sa cellule capitonnée, la visite de maman avec le cake aux fruits et les clémentines contre les carences en vitamine C. Moi, plus personne ne vient me voir. Il paraît que je l’ai bien cherché, qu’il ne faut pas jouer à faire la belle, qu’il aurait mieux valu plier et dire merci monsieur de me laisser entrevoir une chance d’habiter dans votre baraque à la lisière de rien. Allez vous faire foutre.

C’est avec ce roman que j’ai décidé d’ouvrir la saison de la Rentrée Littéraire. Un premier roman, dont l’auteure ne vous est peut-être pas inconnue puisqu’il s’agit d’Astrid Manfredi, la créatrice du blog Laisse parler les filles

Elle a vingt ans. Elle a grandi en banlieue, là où règnent la pauvreté et l’absence d’idéaux, entre un père chômeur qui ne veut pas travailler et une mère alcoolique et maladroite qui a sans doute eu des rêves mais ne fait plus que survivre. Elle aime les livres qui lui permettent de s’évader. Elle est belle, les hommes la désirent, et elle se sert du sexe pour obtenir ce qu’elle veut. Du champagne et de jolies chaussures. Mais un jour, avec son gang, elle est allée trop loin. Alors elle est en prison. On l’appelle la Barbare. Et elle écrit. C’est sa thérapie.

Dès la première pages, les mots sont comme des coups de poings pour dire la violence, la rage, la révolte : une écriture de l’urgence, brute, un uppercut qui nous prend de plein fouet. C’est l’histoire d’une gamine, finalement, née à la marge, du mauvais côté de la barrière, et qui hurle son désespoir, l’absence de perspective, le déterminisme social dans une société figée, qui ne laisse pas leur chance à ceux qui ne sont pas nés au bon endroit. Son regard sur la société et le rôle des femmes est cruel, mais tellement lucide. Elle n’est, finalement, que le produit d’une société qui ne fonctionne plus. Seule petite lumière dans ce monde de chaos et d’ultraviolence, la littérature et Marguerite Duras, seule planche de salut pour ne pas sombrer dans les ténèbres et espérer un après un peu meilleur, une seconde chance.

Elle est totalement amorale, sans remords, mais touchante dans sa soif de vivre et de ne pas se laisser écraser. Elle refuse la médiocrité, la compromission, elle a des rêves et veut les réaliser. Femme fatale, elle se sert des armes dont elle dispose pour faire plier le pouvoir masculin. Une véritable héroïne tragique, un monstre peut-être mais qui ne manque pas de panache, déesse de la vengeance de tous les exclus, « Walkyrie de la haine ». Une Antigone moderne.

Un premier roman percutant, dérangeant, très réussi : à lire absolument !

La Petite Barbare
Astrid MANFREDI
Belfond, 2015

68 premières fois
1/68
By Charlotte

logo20151/6
By Hérisson