Instantané #76 (le mirabellier qui ne voulait pas mourir)

Il était une fois un mirabellier qui tous les étés donnait à profusion de délicieux fruits juteux, sucrés et gorgés de soleil, que je me faisais une joie de récolter au milieu du mois d’août lorsque je m’arrêtais chez mes parents à la campagne avant de rentrer à Orléans. Il était très vieux, j’imagine : au bout du jardin, il avait poussé au bord du mur soutenant le terrain, et surplombait la rue en contre-bas, et pour moi, il avait toujours été là.

Mais un hiver, un orage l’a abattu. Il a fallu le couper, et il ne restait qu’un bout de son tronc, visiblement mort. A quelques mètres, mes parents ont planté un bébé mirabellier, qui l’an dernier a donné ses premiers fruits. Oh, pas beaucoup, il est tout petit, et je n’ai pu cueillir qu’une petite poignée de mirabelles, mais facilement : l’arbre n’est pas plus haut que moi.

Mais le vieux mirabellier n’avait pas dit son dernier mot, et quelle ne fut pas ma surprise, l’autre jour, en descendant au fond du jardin, de découvrir que du tronc que l’on croyait mort partaient de nouvelles branches s’élançant vers le ciel, et couvertes de fleurs, promesses de délicieux fruits à venir une fois encore.

J’ai trouvé le symbole fort beau, et résolument optimiste, une belle leçon de ce vieil arbre qui malgré les tourments que lui a imposés la vie, après quelques années de repli sur soi, s’est remis à pousser et à faire de nouvelles fleurs ! C’est ça, qu’on appelle la résilience !

Leçons de grec, de Han Kang

Leçons de grec, de Han KangVingt ans auparavant, elle n’aurait jamais imaginé qu’une langue étrangère et non la sienne puisse briser son mutisme. Si aujourd’hui elle apprend le grec ancien dans cet établissement privé, c’est qu’elle a envie de retrouver le langage par sa propre volonté. Elle est presque indifférente aux textes de Platon, d’Homère ou d’Hérodote, à ceux postérieurs écrits en hellénique vulgaire, que les étudiants qui suivent le cours avec elle désirent lire dans leur version originale. S’il y avait eu des cours de birman ou de sanskrit, deux langues qui ont recours à des systèmes scripturaux qui lui sont encore plus étrangers, elle les aurait choisis sans hésiter.

Je poursuis mes investigations en littérature étrangère non anglo-saxonne et plus particulièrement en littérature asiatique, avec cette fois l’une des plus célèbres auteures coréennes, Han Kang, qui a reçu en 2016 le prestigieux Man Booker International Prize pour son précédent roman, La Végétarienne.

Deux êtres en perdition. Une femme devenue mutique, un homme en train de devenir aveugle. Les deux sont liés par des leçons de grec ancien.

Ce roman est une petite merveille de délicatesse et de poésie. Très lent, subtil, tout en dentelle, et en même temps plein d’émotions, il m’a beaucoup rappelé les films de Wong Kar Wai et en particulier In the Mood for Love. Fable de la résilience (même si j’aime de moins en moins ce mot, je n’en trouve pas d’autre) et de la reconstruction de soi, il place au coeur de tout non la littérature, mais le langage dans sa matérialité : les mots et les phrases en grec ancien fonctionnent comme des formules magiques, non par leur sens mais par leur écriture, qui permettent de reprendre contact avec le monde et de retrouver ce qu’on a perdu.

Un très très beau roman, dont il est finalement assez difficile de parler, mais à découvrir absolument !

Leçons de grec
Hang KANG
Traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot
Le Serpent à plumes, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 4/6
By Herisson

Coeur-Naufrage, de Delphine Bertholon

Coeur-naufrage de Delphine BertholonJe n’étais pas épanouie, encore moins comblée. Mais j’étais, disons, tranquillement malheureuse et avec le recul, ce n’était pas si mal. Je vivais à la manière d’un chat d’appartement, dans la sécurité confortable d’un périmètre contrôlé, toute pleine d’habitudes, lovée dans la croûte dorée d’une délicieuse routine. La routine, je m’en rends compte aujourd’hui, est ce qui nous reste lorsqu’on a tout perdu. J’étais tellement perdue que je m’accrochais à des bribes de réel — la Rose de Titanic sur son morceau de bois, immobile, impuissante, regardant mourir ses rêves dans l’eau réfrigérée.

Roman après roman, Delphine Bertholon s’affirme comme une auteure de grand talent, dont j’ai énormément aimé les textes précédents. Quoi de plus logique, donc, que de me plonger dans le dernier, dont le titre laisse attendre une histoire dont on ne sortira pas indemne ?

Lyla (avec un y) est traductrice, et elle a le sentiment de passer à côté de l’existence. Elle n’est pas heureuse, mais s’accroche néanmoins à son morne quotidien comme à une bouée de sauvetage, et laisse filer la vie. Jusqu’à ce qu’un message sur son répondeur réveille un monstre qu’elle croyait avoir étouffé et la ramène à l’été de ses 16 ans. La ramène à Joris.

Tel un funambule, Delphine Bertholon passe de Lyla à Joris, du passé au présent, et tisse un roman qui secoue, qui serre la gorge, qui fait mal parfois. Un roman dont, encore une fois, le thème central est celui de la famille, et de la reconstruction : des êtres cassés, abîmés, qui vivent tant bien que mal sur des fondations en sables mouvants. Une mère tyrannique et abusive pour l’une, un père alcoolique et violent pour l’autre, un amour de vacances a priori sans conséquences, et pourtant… Chacun fait ce qu’il peut dans cette histoire, chacun essaie de composer avec les démons du passé, à s’en libérer, chacun cherche à se réconcilier avec lui-même.

Coeur-Naufrage est un roman sombre, douloureux, mais finalement lumineux, porté par une écriture intense et une narration parfaitement maîtrisée : encore une fois, Delphine Bertholon fait mouche et nous parle au creux de l’oreille de nos propres cicatrices. A lire absolument !

Coeur-Naufrage
Delphine BERTHOLON
Lattès, 2017

Ma vie de Cougette, de Claude Barras

Ma vie de courgetteOn ne compte plus les récompenses et nominations obtenues par ce petit film d’animation sorti en octobre. Et, si je n’ai pas lu le roman de Gilles Paris dont il est une libre adaptation, j’aime particulièrement l’univers tendre de l’auteur, et j’attendais donc avec impatience qu’il soit enfin disponible en VOD.

Icare dit Courgette a 9 ans. Sa vie bascule lorsqu’il perd sa mère, alcoolique et violente ; quant à son père, il est depuis longtemps parti avec « une poule ». Courgette se retrouve donc au foyer des Fontaines où, après des débuts un peu difficiles, il se trouve une nouvelle famille : la directrice, Mme Papineau, les éducateurs Rosy et monsieur Paul, et les autres enfants qui ont tous une histoire tragique, Simon, Ahmed, Jujube, Béatrice, Alice. Il y a aussi Raymond, le policier qui s’est occupé de lui et qui lui rend visite. Et bientôt arrive Camille, dont il tombe amoureux.

Un film résolument bouleversant et dans lequel on reconnaît l’univers tendre de Gilles Paris et sa capacité absolue à saisir l’âme des enfants. La grande réussite de ce film est d’arriver à se mettre à leur hauteur et de parvenir à dégager une certaine naïveté, une candeur qui contrebalance les histoires effroyables dont ils sont les victimes innocentes : Courgette dessine son papa avec une poule (une vraie, qui pond des oeufs, parce qu’il n’a pas compris les remarques de sa mère), ils se posent des questions sur l’amour et la sexualité. Cela donne donc un film qui fait parfois pleurer, qui émeut toujours, et qui fait à l’occasion sourire, aussi : une belle histoire d’optimisme, de résilience, avec des enfants blessés mais qui parviennent à retrouver foi en leur vie grâce à l’affection qu’ils se portent les uns aux autres et aux adultes qui font tout pour leur offrir une vie meilleure.

Un très très beau film, à voir absolument, avec vos enfants si vous en avez !

Ma vie de Courgette
Claude BARRAS
D’après Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris
2016

La Légèreté, de Catherine Meurisse

La légèretéEnvole-toi bien loin de ces miasmes morbides,
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
BAUDELAIRE, « Élévation »

Un album que je voulais lire depuis sa sortie, d’abord parce que j’aime énormément le travail de Catherine Meurisse sur l’art et la littérature, et ensuite à cause du sujet. Or, il se trouve que j’ai, en plus, lu cet article le 15 juillet… De circonstance, on va dire, malheureusement.

Bande dessinée autobiographique, La Légèreté est l’histoire d’une reconstruction : comment, grâce à l’art et à la beauté, Catherine Meurisse a tant bien que mal réussi à rassembler les morceaux éparpillés de son âme. Arrivée en retard rue Nicolas Appert le 7 janvier, à cause d’un chagrin d’amour, elle ne peut qu’assister, impuissante, aux événements, depuis l’immeuble voisin où elle s’est réfugiée. Evidemment traumatisée par la perte de ceux qui lui étaient chers, elle subit ce qu’il est convenu d’appeler un « choc post-traumatique », le « syndrome de Charlie Hebdo » : dissociation, perte de mémoire, imaginaire bloqué… elle erre, démunie, jusqu’à ce jour où elle décide de s’installer quelque temps à la Villa Médicis, pour chercher à substituer à ce syndrome destructeur le « syndrome de Stendhal ». Réapprendre la légèreté.

Que dire ? C’est un sublime album, totalement bouleversant, marchant sans cesse sur un fil entre l’humour et l’émotion, le comique et le tragique. L’horreur et la beauté. Le dessin de Catherine Meurisse est tout en nuances, certaines pages sont de véritables aquarelles dont déborde la poésie.

Un album salutaire par les temps qui courent.

La Légèreté
Catherine MEURISSE
Dargaud, 2016