Malena, c’est ton nom de Anne-Christine Tinel : le prix de la liberté

Pour se reconstruire, certaines personnes ont besoin de l’oubli. Quand la violence est telle qu’elle n’est plus gérable, le cerveau opère une sorte de mécanisme de sauvegarde pour se protéger. La mémoire du traumatisme se réfugie dans l’amygdale de l’hippocampe sans être encodée ni traitée, expose l’interne nimbé de la lumière du néon, elle peut rester comme ça toute une vie, piégée hors du temps, dans une sorte de boîte noire. Mais si un jour l’agression ancienne est réveillée par quelque signal, elle s’embrase à nouveau sans crier gare ; c’est d’une grande virulence pour le sujet dont le psychisme est submergé. Le changement politique aura ouvert brutalement des vannes verrouillées. Il est probable qu’elle se trouve engloutie dans les terreurs refoulées.

Malena a fui l’Argentine et la dictature en 1982. S’est construit une vie. En oubliant. Mais lorsqu’en 2003 le nouveau pouvoir entend rouvrir les dossiers et faire justice, c’est comme une bombe qui explose et son mari, Arnaud cherche à comprendre ce qui s’est passé, et quel secret elle porte en elle.

Une très belle histoire d’émancipation et de femmes, sur une période de l’histoire que je connaissais somme toute assez peu. Le roman alterne entre plusieurs temporalité, celle de la dictature et des femmes de la place de mai, celle de la fuite, et celle de l’après, avançant progressivement vers 2003. C’est comme un puzzle : celui que reconstitue Arnaud, celui de la souffrance de Malena, et petit à petit tout s’éclaire, et semble juste. A la fois sombre et lumineux, ce très beau récit empreint de poésie est une très très belle découverte !

Malena, c’est ton nom
Anne-Christine TINEL
Elyzad, 2022

L’Inventeur, de Miguel Bonnefoy : conquérir le soleil

Son visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire. Personne n’est présent dans ses défaites, rares sont ceux qui assistent à ses victoires. De toutes les archives de son siècle, la France ne conserve de lui qu’une seule photographie. Son existence n’intéresse ni le poète, ni le biographe, ni l’académicien. Personne n’entoure de légende sa discrétion ni de grandeur sa maladie. Sa maison n’est pas un musée, ses machines sont à peine exposées, le lycée où il fit ses premières démonstrations ne porte pas son nom. Toute sa vie, ce guerrier triste se dresse seul face à lui-même et, malgré cette solitude qui pourrait avoir la trempe et l’acier des génies de l’ombre, son destin n’est même pas celui d’un héros déchu.

Connaissez-vous Augustin Mouchot ? Si la réponse est non, c’est normal : l’histoire n’a pas retenu son nom, alors qu’il est, ni plus ni moins, l’inventeur de l’énergie solaire, et dans son nouveau roman, Miguel Bonnefoy nous raconte son existence, et la splendeur et décadence de son destin de son enfance à l’enthousiasme soulevé par son invention, et à sa retombée dans l’oubli, parce que cette invention n’était pas en phase avec son époque, sans doute trop en avance, et qu’on a préféré investir dans le charbon.

Un roman absolument passionnant, qui nous invite à découvrir une partie méconnue de l’histoire, et moi qui adore plus que tout apprendre de nouvelles choses, j’ai été servie. L’ensemble est porté par l’écriture savoureuse de Miguel Bonnefoy, qui m’avait déjà séduite avec Sucre Noir et j’ai donc pris un très vif plaisir à savourer (au soleil) ce roman solaire, initiatique, « icaresque et picaresque » comme le dit l’auteur lui-même. C’est le seul roman de la Rentrée littéraire que j’ai lu pour le moment et je ne sais pas si j’en lirai beaucoup d’autres, mais c’est un choix que je ne regrette pas ! A voir si on le retrouve dans les listes de prix (j’espère !).

L’Inventeur
Miguel BONNEFOY
Rivages, 2022