Je le regarde recroquevillé dans sa bulle, il est à peine vrai. Une petite bouche plissée, un front festonné d’ombre, une peau fine. C’est un garçon, mais ça ne se voit pas. Je n’aurai pas à lui démêler les noeuds plus tard ni à lui acheter du maquillage, c’est du win-win cette histoire. En le dévisageant, je découvre son visage devant mes yeux, trait après trait. Cela me frappe brutalement, sa figure, sa silhouette en reconstitution, je revois cette femme à cigarette qui traverse devant moi. Sa nuque à terre dans le rétroviseur. Tous ces longs cheveux gris étalés sur la route.
Date de naissance : 30 juin.
Je viens d’être mère et assassin.
Un très beau titre pour un roman qui nous parle de danse, de corps, de maternité.
La nuit de son accouchement, Clémentine se rend seule à la maternité, au volant de sa voiture. Aveuglée par la douleur, elle percute une silhouette, et continue son chemin. Ce n’est que quelques jours plus tard, de retour chez elle avec son petit garçon, qu’elle apprend la mort de Pina Baush — et même si les journaux disent qu’elle est morte d’un cancer généralisé, Clémentine en est certaine : c’est elle qu’elle a renversée. Pina Baush, Clémentine n’en avait jamais entendu parler, mais elle devient son obsession.
Avec beaucoup d’aisance, Julien Dufresne-Lamy se glisse dans la peau d’une femme pour interroger la maternité, qui a ici quelque chose de très animal et instinctif, le corps, la danse — la liberté d’être. Portrait-hommage à Pina Baush, mâtiné d’un peu de thriller, le roman multiplie les interrogations autour d’un point de départ qui peut sembler paradoxal, donner la mort en donnant la vie, mais qui finalement nous ramène à ces deux pôles essentiels de la psyché humaine : pulsion de vie, pulsion de mort, eros, thanatos. Les pages se tournent, Clémentine se construit, en tant que femme, en tant que mère, et nous émeut dans ses questionnements, dans sa manière de voir le monde autrement, dans sa volonté de se libérer et de se trouver, à l’aide de cette figure jumelle que devient un peu pour elle Pina Baush.
Un très beau roman, très original, qui ne peut que toucher !
Deux cigarettes dans le noir
Julien DUFRESNE-LAMY
Belfond, 2017