En s’éloignant du presbytère, il ressent encore, telle une rémanence têtue, une vibration qui perdure au bout des doigts. Parce que le vent de la ruelle, lui faisant face, plaque contre son corps les plis de sa tunique qui se tend en un endroit, on devine qu’il bande et que ça lui pétille dans les couilles.
L’histoire d’Héloïse et d’Abélard est de celles que l’on peut qualifier de mythiques, et c’est d’ailleurs ce que j’avais fait lorsque j’avais lu le magnifique livre de Christiane Singer sur le sujet.
C’est une histoire, alors, que tout le monde connaît : à 36 ans, Pierre Abélard, brillant maître en théologie à la Cathédrale de Notre Dame de Paris, se voit confier par le Chanoine Fulbert l’éducation de sa nièce, Héloïse. Elle a 17 ans, et le théologien est tout de suite bouleversé par son intelligence et sa beauté. Leur relation ne reste pas platonique et Abélard finit émasculé. Ils finissent leur vie chacun dans un couvent.
C’est une histoire que tout le monde connaît, mais racontée par Jean Teulé, elle prend une saveur particulière. Car si on garde souvent des deux amants une image un peu éthérée et mystique, Teulé lui redonne sa dimension charnelle cela devient « le désastre du célébrissime philosophe devenu chapon pour dîner de la Noël ». Ce n’est pas très digne, mais ça a le mérite d’être très bien vu et très drôle. Car, qu’on se le dise, ce roman est avant tout l’un de ceux qui m’ont le plus amusée ces derniers temps : oscillant entre le lyrisme et la grivoiserie, totalement rabelaisien, il m’a, très souvent, fait éclater de rire, un rire gai, franc, ce rire dont le chanoine dit au début du roman qu’il est « un acte pervers inspiré par le diable ». Cette réflexion vous rappelle quelque chose ? Oui, c’est toute la question du Nom de la rose et Teulé n’est parfois pas loin d’Eco dans la profondeur de la réflexion.
Et puis, il y a ces personnages. Abélard d’abord, qui incarne la virilité de la pensée, mais, en même temps, est « ce casse-couilles complexé par la taille de son zob et qui gonfle sa femelle avec ça », qui accepte la réciprocité totale de la relation amoureuse : ce qu’il lui fait, elle le lui fait, et nous découvrirons donc un usage assez cocasse des carottes. Après, c’est Abélard couic-couic, et en perdant ses attributs virils c’est aussi un peu comme s’il perdait ses neurones : il devient très bigots, très moralisateur, même s’il ne cesse jamais de questionner la religion. Héloïse, elle, reste droite, fière, fidèle, et se sacrifie pour celui qu’elle ne cesse pas d’aimer. Là est la grandeur féminine.
C’est grivois, gaulois, mais jamais vulgaire, car c’est fait avec talent, avec une verve extraordinaire et une jouissance totale du verbe et de la langue. Il faut, réellement, avoir une solide culture et une maîtrise totale de son art pour aboutir à un roman aussi pleinement jouissif et brillant : l’érudition de Teulé lui permet, finalement, toutes les fantaisies, pour notre plus grand bonheur.
A conseiller sans modération !
Héloïse Ouille
Jean TEULÉ
Julliard, 2015