
Christine Angot. Lionel Duroy. Nicolas Fargues. Camille Laurens. Patrick Poivre d’Arvor. Marcela Iacub. Régis Jauffret. J’en oublie sans doute.
Quel est le point commun entre tous ces écrivains, que je n’ai d’ailleurs pas tous lus ? Et bien, tous ont eu affaire à la justice pour de sombres histoires d’atteinte à la vie privée. Certains ont gagné, d’autres ont perdu, car il se trouve qu’il n’y a pas de jurisprudence nette et que les juges sont souvent bien ennuyés pour trancher entre le respect de la vie privée et la liberté d’expression, et ont, surtout, du mal à comprendre ce qui se joue réellement dans ce type d’affaires.
La dernière affaire en date, vous en avez peut-être entendu parler, concerne un écrivain qui se voit attaquer par une dame qui est persuadée d’être un de ses personnages. Non pas d’être un des pilotis du personnage mais bien, essentiellement, le personnage. Cette histoire me choque et me chagrine, d’abord parce que j’aime beaucoup l’écrivain en question, et que je sais que cette histoire lui fait beaucoup de peine, et que je n’aime pas quand les gens que j’apprécie ont de la peine. Mais pas seulement : elle me choque aussi d’un point de vue intellectuel, celui d’une lectrice et de quelqu’un qui essaie d’écrire et estime que les écrivains ont autre chose à faire que d’aller devant les tribunaux pour leurs écrits.
Mais, passons, je n’ai pas envie de m’étendre sur l’affaire en question.
De fait, cet article était depuis longtemps dans mes brouillons, je ne fais que le réactualiser au regard des derniers événements, qu’il ne concerne pas directement.
Un jour, en lisant une nouvelle écrite par une personne que je croyais être une amie (et dont je me suis aperçu quelque temps après qu’elle ne l’était pas et qu’elle me trahissait allègrement), je me suis reconnue dans le personnage principal, qui mourrait à la fin. Je n’ai rien dit, parce que ce n’était pas grave au fond, et puis je n’étais pas sûre que c’était moi, peut-être que c’était en partie moi seulement. Qu’importe.
« Oui, mais je ne veux pas voir ma vie privée étalée sur la place publique », disent ceux qui attaquent.
Argument qui, de prime abord, paraît assez recevable. Mais en fait, non. Parce que, sauf dans certains cas bien précis (l’autofiction, principalement), la personne n’existe dans le roman qu’à travers le filtre de la fiction : les noms, les lieux, certains événements sont changés, bouleversés, modifiés. Le réel n’est jamais directement retranscrit et pour reconnaître tartampion dans le livre, si tartampion est bien le modèle du personnage, il faut donc soit être tartampion, soit son conjoint, sa soeur ou sa mère, donc quelqu’un qui le connaît très bien, ce qui fait 12 personnes dans les cas les plus graves, et qui en général n’apprennent pas grand chose. Mais si tartampion porte plainte, que se passe-t-il ? Et bien le monde entier est au courant que le personnage en fait c’est tartampion (alors que jusqu’à présent le monde entier pensait que le personnage était une invention, ou se doutait que ce n’était pas une invention mais s’en tamponnait le coquillard avec le fémur d’un dinosaure femelle). Et ne comptons pas sur l’anonymat : oh, dans les premiers articles, les noms sont changés, mais on finit toujours par connaître le nom de la personne qui a porté plainte. Ça a un nom ça ? Et bien, oui. C’est le fameux effet Streisand. Tout le monde est au courant de ce qu’on voulait cacher. Malin. Après, il ne reste plus qu’à sortir soi-même un livre, et la boucle est bouclée. Limite, on peut se demander si certains qui attaquent en justice les écrivains après leur avoir raconté leur vie en large et en travers ne sont pas tout simplement à la recherche d’une célébrité malsaine.
Non, sérieusement. Attaquer un écrivain en justice pour ces motifs, c’est tout de même totalement méconnaître ce que c’est que d’écrire ! Un roman n’est pas une contrefaçon du réel. C’est une… transmutation. Du plomb du réel, l’écrivain fait de l’or. Même quand pour un personnage il s’inspire d’une personne réelle, le roman déréalise cette personne. Elle n’existe plus. Elle n’est plus elle-même.
Et heureusement qu’il y a des gens intelligents qui le comprennent, sinon tous les écrivains auraient des procès tout le temps : tu te rends compte, je l’ai croisé dans la rue, je lui ai dit que j’avais aimé son roman, et dans son dernier roman il y a un lecteur qui le croise dans la rue et lui dit qu’il a aimé son roman ! Je vais lui faire un procès : c’est une atteinte intolérable à ma vie privée, tout le monde m’a reconnu ! Et oui, en plus, les gens, qui ont une nette tendance à la boursouflure de l’ego, pensent toujours se reconnaître dans les personnages.
Vivre avec un écrivain, côtoyer un écrivain, aimer un écrivain, lui faire des confidences, c’est prendre le risque de retrouver certaines choses dans ses livres. C’est un beau risque, car devenir un personnage, une partie d’un personnage, c’est devenir immortel. Moi j’aime le prendre, ce risque, mais je trouve que celle qui en parle le mieux, c’est l’Hélène de Lionel Duroy qui confiait à L’Express, lorsqu’ils étaient encore en couple : Contrairement à d’autres, je fais l’objet d’un regard bienveillant et amoureux. Le personnage d’Hélène me semble plus doux que ce que je suis en réalité. J’en éprouve parfois un sentiment d’étrangeté : j’ai conscience que ce personnage en forme de portrait officiel, c’est moi et en même temps ce n’est pas moi. Quand il écrit que mon père m’a abandonnée, c’est une interprétation très personnelle. Mais pour avoir suivi des affaires de justice, je sais qu’un même événement peut être perçu de façons différentes. J’aime la littérature et, pour moi, la liberté du romancier ne se discute pas. Lionel me fait lire ses manuscrits, mais je ne souhaite pas intervenir. J’imagine qu’il peut y avoir un certain voyeurisme à mon égard de la part de connaissances. Avant ça me gênait, maintenant je m’en fiche. De fait, le regard est moins bienveillant depuis qu’ils sont séparés, mais pour autant elle est restée dans la ligne de la phrase que j’ai mise en gras. Et je trouve que là est la vraie honnêteté et la vraie reconnaissance de ce que c’est que l’écriture.
La liberté du romancier à créer, quitte à parfois blesser, est essentielle.
Néanmoins je propose, par mesure de sécurité, d’obliger les écrivains à porter un badge « Je suis écrivain. En m’adressant la parole, vous prenez le risque de vous retrouver dans mon prochain roman » (Et en me cassant les pieds, vous risquez d’y mourir dans d’atroces souffrances…) !
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