Au bonheur des filles, d’Elizabeth Gilbert : New York est une fête

A l’été 1940, alors que je n’étais qu’une jeune écervelée de dix-neuf ans, mes parents m’envoyèrent vivre à New York, chez ma tante Peg, qui possédait une compagnie théâtrale.

J’avais très envie de continuer à découvrir les romans d’Elizabeth Gilbert, mon mentor (j’ai sa photo et celle de certains de ses livres sur mon tableau d’inspiration) et mon choix s’est porté sur le dernier, dont le résumé m’enthousiasmait assez.

La narratrice, Vivian, est issue de la classe aisée (très aisée) américaine, mais ne se conforme pas aux règles. Ne sachant trop quoi faire d’elle après son renvoi de l’Université, ses parents l’envoient vivre à New York chez sa tante Peg, propriétaire d’un théâtre. C’est peu de dire que Vivian découvre une nouvelle vie : une vie de bohême, de fêtes, d’alcool et de sexe !

Ce roman m’a procuré un très très vif plaisir de lecture : j’aime toujours autant le style vif, enlevé, plein d’humour et très spirituel (au sens intelligent : pour ceux qui ont un peu peur de l’autrice pour des raisons spirituelles justement, il n’y a absolument rien de cet ordre-là dans ce roman) de la romancière, et Vivian est une héroïne particulièrement attachante, vieille dame portant un regard rétrospectif sur sa jeunesse et sa vie ; si elle regrette certains de ses choix, elle continue à revendiquer sa liberté d’être. Il règne sur le roman une ambiance de fête, sur fond de guerre qui bouleverse les existence.

Je suis légèrement perplexe sur le choix du procédé narratif, qui a sa raison d’être mais reste peu vraisemblable (ce qui n’est pas gênant : on l’oublie chemin faisant) mais par contre, j’admire une nouvelle fois l’art de la construction, ces petits détails qu’on croit juste des anecdotes et qui se révèlent finalement capitaux !

Bref : une très belle expérience de lecture à nouveau avec cette autrice, dont je regrette qu’elle ne publie pas plus, parce que j’ai presque fini sa bibliographie !

Au Bonheur des filles
Elizabeth GILBERT
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Barbaste
Calmann-Levy, 2020 (Livre de Poche, 2021)

Mange, prie, aime d’Elizabeth Gilbert : l’exploration de soi

J’ai renoncé à choisir — Italie ? Inde ? Indonésie ? — et j’ai fini par admettre tout simplement que je voulais faire ces trois voyages. Passer quatre mois dans chacun de ces pays. Partir un an en tout. Naturellement, c’était un rêve un poil plus ambitieux que déclarer « Je veux m’offrir une nouvelle boîte de crayons à papier. » Mais c’est ce que je voulais. Et je savais que je voulais écrire sur cette expérience. Mon projet n’était pas d’explorer ces pays par le menu — cela a déjà été fait — mais une facette précise de ma personnalité posée sur la toile de fond de chacun de ces pays, réputés pour exceller depuis toujours dans un des domaines suivants : je voulais explorer l’art du plaisir en Italie, l’art de la dévotion en Inde, et en Indonésie, l’art d’équilibrer les deux. Ce n’est que plus tard, une fois que j’ai admis caresser ce rêve, que j’ai pris garde à l’heureuse coïncidence : tous ces pays portaient un nom commençant par la lettre I, qui signifie « je » en anglais. N’était-ce pas de sacrément bon augure pour un voyage consacré à la découverte de soi ?   

Evidemment. Il y a quelque temps déjà que le film tiré de ce roman est devenu un de mes films doudou, et j’ai dû le voir une bonne dizaine de fois depuis septembre, alors même qu’au départ j’étais assez réticente. Tout comme sur le roman : le film ok, mais je n’avais aucune intention de lire le livre, et j’étais très méfiante vis-à-vis d’Elizabeth Gilbert même si je lui reconnaissait des idées intéressantes. Ah ah ! Bon, entre temps j’ai appris à l’apprécier, son parcours a commencé à vraiment résonner en moi tout comme ses choix et naturellement j’ai eu envie de lire le roman. Depuis quelques mois, il était sur ma liste. Mais là l’envie s’est faite impérieuse (d’autant que je commence à être peu inspirée par ce que j’ai à lire) et comme mon i.pad est ressorti pour la période, j’en ai profité !

Après un divorce douloureux et une histoire d’amour secouante, Liz se retrouve au bord du gouffre et plonge dans une intense dépression. Elle décide alors de partir voyager pendant un an : en Italie, pour apprendre le plaisir et la douceur de vivre, dans un ashram en Inde pour se concentrer à son lien avec Dieu, et à Bali pour trouver l’équilibre. Trois destinations pour, au final, se trouver elle-même.

Si l’histoire dans sa généralité est bien reconnaissable, il faut totalement oublier le film (même si je n’ai jamais réussi à oublier Julia Roberts) qui, de manière assez logique d’ailleurs, fait beaucoup de raccourcis et de changements. Dans ce roman, il est vraiment question tout d’abord d’un effondrement : avec humour (toujours) mais de manière très percutante, Elizabeth Gilbert met des mots sur cette expérience de la dépression qui aspire toute la joie et toute la vitalité, et donne l’impression d’être à côté de soi-même. Seule solution : partir en quête de soi, de son moi profond, de son chemin, de son mot. Italie, Inde, Indonésie : trois pays dont le nom commence par un I, I, je — trois expériences radicalement différentes, qui lui apprennent des choses différentes sur elle. Mais au-delà de l’histoire, ce qui est intéressant dans le roman c’est aussi son aspect discursif et réflexif sur une foule de sujet, la spiritualité (cet aspect est vraiment essentiel), la maternité ou l’amour, des réflexions très intéressantes et pertinentes qui permettent aussi de faire le point avec soi-même. J’aurais aimé, néanmoins, qu’elle parle un peu plus d’écriture, et du lien entre l’écriture et l’expérience de soi, parce que je pense qu’il y avait matière.

Un roman auquel j’ai résisté longtemps (mais je sais pourquoi, c’est que ce n’était pas le moment) et que j’ai finalement beaucoup, beaucoup aimé, qui m’a permis de faire un point sur certains sujets, sur moi, sur mes aspirations (toujours pas partir dans un ashram), sur mon roman aussi, je crois. Et encore une fois, je crois que c’est une lecture idéale pour cette période un peu particulière que nous vivons !

Mange, Prie, Aime
Elizabeth GILBERT
Traduit de l’anglais par Christine Barbaste
Calmann-Lévy, 2008 (Livre de Poche)

La Rencontre / L’Union – O’Manuscrit II et III de Lars Muhl : la puissance du féminin

Au cours du siècle qui est le nôtre, une force féminine nouvelle se manifeste, une force qui embrasse l’être humain totalement, dans son corps comme dans son esprit. C’est celle qu’incarne Marie-Madeleine et que nous avons vue, par exemple, s’affirmer avec le mouvement féministe du XXe siècle. 
Mariam Magdalene est la manifestation d’une forme d’énergie féminine nouvelle, qui nous vient d’en haut en tant que Rukha d’koodsha, laquelle ne se limite pas à la pure maternité, fût-elle neutre ou réceptive, qui a, jusqu’à aujourd’hui, marqué l’archétype féminin universel. 

Il s’est passé quelque chose de très bizarre avec ces deux romans. L’autre jour que je musardais dans une librairie je suis tombée sur le tome 3 dans un rayon où il n’avait pas trop sa place (enfin un peu puisqu’il était au rayon spiritualité, mais comme il s’agit d’un roman (nous y reviendrons) il aurait dû être en littérature générale) et comme le résumé me plaisait, je l’ai pris (sans faire trop attention du coup qu’il s’agissait d’un tome 3). Et puis, tout de même, ça me disait quelque chose, cette histoire et ce nom d’auteur, et en cherchant, bien sûr : j’avais lu le tome 1, Le Chercheuret pas n’importe quand puisque c’est le premier livre que j’avais lu dans mon nouvel appartement. Lorsqu’avec le recul je vois combien ce déménagement était l’amorce de nombreux autres bouleversements dont ce texte était un peu annonciateur, je me dis que le fait que le tome 3 vienne à moi comme ça en ce moment où j’ai tout de même une impression de clôture de cycle, ce n’est décidément pas un hasard. Et d’autres synchronicités se sont manifestées dans le texte lui-même. Bref, le temps que je récupère le tome 2 et me voilà lancée.

On va faire simple : le narrateur poursuit son voyage initiatique. Les deux tomes, en particulier, s’intéressent à la figure de Marie-Madeleine et au féminin sacré.

Je vais commencer par le négatif : ce que je reproche à Lars Muhl, c’est de faire passer pour un récit autobiographique ce qui est de toute évidence un roman ésotérique, puisqu’il en reprend les codes et notamment l’alternance entre les chapitres consacrés à lui et ceux consacrés à un manuscrit découvert : c’est exactement les mêmes procédés que chez les maîtres du genre, Dan Brown ou Steve Berry pour ne citer qu’eux. En outre, on se retrouve avec tout le fatras habituel : Les Cathares, les Templiers, Rennes-le-Château, Bugarach et j’en passe : il y a du gros tri à faire dans cet ésotérisme de pacotille dont je me suis demandé à plusieurs reprises s’il n’était pas là pour attirer l’attention du lecteur friand du genre et mieux faire passer la réelle réflexion spirituelle, parfois ardue.

Mais une fois le tri fait entre le folklore et la vérité, je dois avouer que j’ai dévoré ces deux tomes en un rien de temps parce qu’ils m’ont véritablement nourrie et m’ont permis de rassembler des réflexions éparpillées. Même si le christianisme est très présent il s’agit bien de spiritualité et donc d’un syncrétisme assez intéressant entre la gnose, le chamanisme, le tantrisme, les cultes de la grande déesse et leur évident lien avec la sexualité, qui est bien ici une voie d’initiation. J’ai particulièrement apprécié la réflexion sur les archétypes : Chaque être humain, dans l’incarnation qui est à ce moment-là la sienne, subit l’influence d’un ou de plusieurs archétypes. Lesquels fournissent la matrice des différentes qualités qui caractérisent l’homme. Nous devons, dans notre vie, nous laisser guider par ces archétypes, mais aussi ne pas oublier de construire à partir d’eux. Le fait est que l’archétype féminin exploré dans ce livre est Marie-Madeleine, qui pour ainsi dire me harcèle depuis pas mal de temps (et pas seulement parce que je pleure beaucoup) ; et dans le roman, elle est liée à Jeanne d’Arc, figure qui au contraire ne m’a jamais trop intéressée et qui s’est bizarrement mise à me faire des appels du pieds depuis (je ne ferai pas la liste de toutes les synchronicités, vous ne me croiriez pas) et j’ai l’impression qu’elle attendait sagement depuis plus de 15 ans que je vis à Orléans que je m’intéresse à son cas.

La conclusion de tout cela ? Le Graal, c’est l’amour (tout comme la Pierre Philosophale, ceux qui me suivent sur Instagram ou Facebook comprendront).

Bon, du coup ces deux romans valent surtout pour les réflexions et prises de conscience existentielles qu’ils peuvent susciter, mais après tout, c’est déjà important !

La Rencontre / L’Union – O’Manuscrit II et III
Lars MUHL
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Boucher
Flammarion, 2018 (J’ai Lu, 2019) et 2019

Hippie, de Paulo Coelho : le chemin de l’amour

Elle aurait voulu être un vase où le Grand Amour viendrait déposer ses fleurs et ses fruits, et où l’eau vive les conserverait aussi frais que s’ils venaient d’être cueillis, pour être offert à celui qui aurait le courage, oui, c’était le mot juste, le courage, de les récolter. Mais personne ne venait jamais, ou plutôt ceux qui venaient repartaient terrifiés : elle n’était pas un réceptacle, mais une tempête pleine d’éclairs, de vent et de tonnerre, une force de la nature impossible à dompter, qu’on pouvait à la rigueur diriger pour faire tourner les moulins, éclairer des villes ou répandre l’effroi.
Elle aurait voulu que les hommes puissent déceler la beauté en elle, mais ils ne voyaient que l’ouragan et ne tentaient même pas de s’en abriter. Ils préféraient s’enfuir en lieu sûr pour de bon. 

Bizarrement vu mes tendances, Paulo Coelho n’est pas un auteur que je lis, à part il y a quelques années le Manuel du guerrier de la lumière, dont je ne garde honnêtement aucun souvenir ; je n’ai même pas lu l’Alchimiste, son roman le plus important. Mais. L’autre jour, je suis tombée par hasard sur ce roman, et comme cela m’arrive parfois, parce qu’il avait l’air d’avoir été mis là pour moi, j’ai été prise d’une irrésistible impulsion.

Après plusieurs jours à avoir attendu, en vain, sur la place de Dam, quelqu’un qui veuille bien prendre avec elle le « Magic Bus » pour Katmandou, Karla trouve enfin un compagnon de voyage : Paulo, un jeune Brésilien.

Un roman dont je comprends parfaitement pourquoi il a été mis sur mon chemin, mais qui pourtant ne m’a pas tellement convaincue, à cause des choix narratifs que j’estime boiteux et qui, selon moi, gâchent le projet. De manière parfaitement assumée, il s’agit d’un roman d’inspiration autobiographique, dans lequel Coelho fait le choix de la narration à la troisième personne afin, dit-il, de donner leur place à tous les personnages ; il se paye même le luxe d’adopter un point de vue omniscient, ce qui vu le contexte est un peu étrange, mais admettons, cela reste un roman et pas des mémoires. Seulement voilà : ce qui arrive, c’est qu’au final, c’est Karla qui devient le personnage principal, et qu’elle a tellement d’épaisseur et de profondeur qu’elle efface tous les autres. Et j’ai bien vu que c’était Karla qui m’avait « appelée » depuis les pages du roman, tant je me suis reconnue en elle — une femme qui plaît beaucoup aux hommes, qui est en quête d’un idéal, mais ne l’atteint pas parce qu’elle se protège derrière un mur, et qu’aucun homme ne fait l’effort de creuser sous la surface. Et le roman est donc son récit initiatique, comment elle va découvrir ce qu’est véritablement l’amour. Mais (attention, dans les lignes qui suivent je divulgâche la fin, mais en même temps ce n’est pas un polar) : déjà, le fait que Paulo lui ne l’aime pas remet totalement en cause la découverte et la conversion de Karla ; mais surtout, à la fin du roman, son histoire n’est pas terminée, elle est en suspens, et j’aurais voulu la suivre jusqu’au bout de son parcours, mais ce n’est pas possible, Coelho ne sachant pas ce qu’elle est devenue. Du coup, ça boite…

Et c’est dommage, car il y a beaucoup de choses très intéressantes dans ce roman, des pages très inspirantes et qui donnent matière à réflexion, sur la spiritualité, le mouvement hippie et son désir de faire renaître le monde, sur l’amour évidemment. Mais voilà, j’ai trop aimé Karla pour la laisser comme ça au milieu du chemin…

Hippie
Paulo COELHO
Traduit du portugais (Brésil) par Elodie Dupau et Cécile Lombard
Flammarion, 2018 (J’ai Lu, 2019)

Ce soir, la lune était ronde d’Arnaud Riou : voyage vers soi

Ce que tu ressens, Thomas, ça a un nom. Beaucoup de ceux qui se sont engagés avec honnêteté sur un chemin spirituel connaissent cette sensation de venir d’ailleurs, d’être sur cette terre dans un corps trop étroit, frustrés de sentir sa puissance sans trouver les moyens de l’exprimer. Le souvenir de la source originelle… Le sentiment d’en être séparé… La nostalgie du divin, Thomas… Est-ce que ça résonne en toi ? Cette sensation diffuse qui nous donne l’impression de venir d’ailleurs, de n’être ici que de passage. La nostalgie du divin qui laisse le goût de l’amour et de la plénitude dans notre âme et que nous recherchons dans la banalité de nos gestes quotidiens sans jamais pouvoir les incarner avec autant d’absolu que nous le souhaiterions.

La Pleine Lune n’est que demain, mais tant pis. Vous vous souvenez, l’autre jour, je vous parlais de ma sensation constante d’être en décalage, pas seulement d’ailleurs avec le monde, mais aussi en ce moment avec ma propre vie. Et boum, le jour-même où est paru cet article, qui vu le nombre de messages (surtout privés) que j’ai reçus vous a beaucoup parlé, je reçois ce roman, qui aborde exactement ce sujet. Si ce n’est pas une belle synchronicité, je ne m’y connais plus.

Il s’agit donc d’un roman initiatique. Thomas, le narrateur, est un comédien que son métier ne fait plus vibrer, qui ne sait pas faire les bons choix dans sa vie, qui ne sait d’ailleurs pas faire de choix tout court, et qui se retrouve dans sa vie personnelle englué dans une situation qui ne lui convient pas, sans savoir comment s’en sortir. Carmen, une ancienne comédienne ayant découvert le chemin de la spiritualité, et qu’il recroise à une première (celle du Songe d’une nuit d’été) voit en lui le potentiel qu’il ne voit pas, et l’invite à une espèce de retraite…

Ce ne sont pas les qualités littéraires de ce roman qui sont essentielles, mais bien la manière dont il nous oblige à nous poser des questions sur nous et sur le monde (vous allez me dire : c’est déjà ce que tu passes ton temps à faire : je sais). Thomas, je l’ai vu un peu comme un double (pas seulement de moi, mais c’est un autre problème) : éteint, ne sachant pas où il va, il vit sa vie comme un rôle dans lequel il ne mettrait aucune émotion, et au fil du roman il est ranimé par la pulsion de vie. Il suffisait finalement de peu. Il est bien sûr question ici de ce qu’on trouve habituellement dans ce genre d’ouvrages : les synchronicités (et j’avoue que le fait qu’un personnage explique à Thomas qu’elle a l’impression de venir d’une autre planète m’a fait un drôle d’effet), suivre son chemin, se reconnecter à soi et à ses émotions, se libérer des entraves du passé. Mais c’est plutôt bien fait, et pas « lourd » comme j’ai souvent pu le voir dans ce type d’ouvrages.

Un roman donc qui fait du bien, qui ouvre des pistes d’exploration et de questionnements.

Ce soir, la Lune était ronde
Arnaud RIOU
Solar, 2018

L’Été Diabolik, de Thierry Smolderen et Alexandre Clerisse

l'été diabolikDans le script de cette journée, tout s’est enchaîné sous l’effet du hasard. La balle de tennis à quelques millimètres de la ligne. La décision impulsive d’aller au restaurant ce même soir. Deux coups de pouce du destin qui ont suffi à plonger mon petit monde dans le chaos. Deux hommes rencontrés par hasard, ce jour même, seront morts d’ici peu. Et mon père aura disparu dans des circonstances inexplicables. Et puis… moins pénible, mais tout aussi conséquent… D’ici peu, j’aurai enfin cessé d’être puceau.

Je lis peu de BD, mais tout de même, cela m’arrive, parfois. Et je ne sais pas pourquoi, l’autre jour, lorsque l’invité de la semaine du Temps des Libraires a parlé de celle-ci, ça a fait tilt. Il s’agit d’un album paru aux éditions Clairville en 1987, et qui a sans doute laissé ses lecteurs de l’époque dans la plus grande perplexité, vu qu’il se terminait un peu en quenouille (en tout cas, sans aucune clé pour comprendre les événements, puisque le narrateur ne les avait pas). 30 ans plus tard, les auteurs ont décidé d’apporter enfin quelques réponses…

Été 67. Antoine a 15 ans, et quelques jours vont suffire à totalement bouleverser sa vie. Tout commence par un tournois de tennis, qu’il gagne. Le père de son adversaire, Erik, s’en prend violemment au père d’Antoine, et le soir même les poursuit en voiture sur la corniche, avant que sa voiture ne tombe en contrebas et le tue. Antoine devient ami avec Erik, un bien étrange garçon assez antipathique, tandis que son père passe du temps avec un homme qu’il n’avait pas revu depuis longtemps, un certain M. Noé, chez qui Antoine rencontre Joan, avec qui il va perdre sa virginité…

Sur fond de références au personnage de Diabolik, dont les aventures faisaient fureur à l’époque, cette BD mêle l’intime du récit initiatique et de l’adolescence à des histoires d’espionnage dont on est loin d’avoir toutes les cartes, d’autant que plusieurs intrigues se mêlent. C’est bien fait, mais c’est surtout sublimement illustré de manière à parfaitement rendre l’ambiance sixties mais aussi à donner aux événements un côté onirique voire psychédélique : une grande poésie se dégage de ces images très colorées, qui m’ont beaucoup beaucoup plu et dont certaines pourraient même être des tableaux :

Une très jolie BD, à découvrir !

L’Été Diabolik
Thierry SMOLDEREN et Alexandre CLERISSE
Clairville, 1987 / Dargaud, 2016

Abélard l’intégrale, de Régis Hautière et Renaud Dilliès

11945859136_3ea7371856_oPour séduire une fille comme Epilie, il faut lui offrir la Lune. Ou à la rigueur un bouquet d’étoiles.

Cette semaine, pas de film mais une petite BD, sur laquelle j’ai fini par craquer suite à un harcèlement blogosphérique totalement inadmissible !

Abélard est un petit poussin (canard ?) qui vit dans les marais, et passe de doux moments complices avec ses amis. Un jour, des « gens de la ville » viennent passer des vacances dans le coin, et parmi eux Epilie, dont Abélard tombe amoureux. Mais pour la séduire, il faut au moins lui décrocher les étoiles. Alors Abélard part, son baluchon sur le dos. Il veut aller en Amérique, où on vient d’inventer une machine pour voyager dans le ciel…

Sur le modèle des romans de formation, cette bande dessinée au scénario impeccable nous entraîne dans un voyage initiatique empreint d’une grande poésie. Muni d’un chapeau magique dont il tire chaque jour un petit aphorisme sur le modèle de ceux qu’on trouve dans les Fortune Cookies, Abélard trace sa route et essaie de s’y retrouver sur le « chemin tortueux emprunté par le destin ». En route, il apprend, il grandit, grâce à des rencontres variées : la tolérance, l’amitié, thèmes qui donnent lieu à de magnifiques dialogues. Il apprend, mais sa naïveté reste sa plus grande force. Pourtant, nous avons plus ici qu’une mignonette petite bande dessinée qu’on pourrait croire destinée aux enfants. Il s’en dégage un doux parfum de mélancolie, de tristesse même. Certaine phrases sur le désespoir m’ont frappée : « Le désespoir… c’est quand plus rien n’a d’importance. C’est quand tu comprends que tout ce que tu attendais de beau et de bien dans ton existence n’arrivera jamais. Le désespoir c’est quand les belles promesses du futur deviennent des illusions du passé. ». Je ne sais pas vous, mais je trouve ces phrases tout simplement bouleversantes, tellement vraies dans leur manière de dire les choses que c’est presque un choc…

Bref, une très jolie BD, à la fois douce et triste, empreinte de mélancolie grave mais aussi parfois de légèreté, servie par un graphisme un peu déconcertant de prime abord mais finalement parfaitement adéquat. Renaud Dilliès tire merveilleusement bien parti de la variété des possibles que lui offre la planche, et c’est (aussi) un régal esthétique.

Abélard, l’intégrale
Régis HAUTIERE et Renaud DILLIES
Dargaud, 2013

Les avis de Moka, Jérôme, Noukette, Marion, Stephie and so…

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