Du côté de Castle Rock, d’Alice Munro : histoire de famille

La vallée ne m’en a pas moins déçue la première fois que je l’ai vue. Les lieux qu’on a d’abord imaginés peuvent produire cet effet. C’était le tout début du printemps et en cette période de l’année les collines sont brunes, ou d’une espèce de brun lilas qui me rappelait celles qui entourent Calgary. Les eaux de l’Ettrick étaient rapides et claires mais il était à peine aussi large que la Maitland qui coule près de la ferme où j’ai grandi, dans l’Ontario. Les cercles de pierres que j’avais à première vue pris pour d’intéressants restes d’un culte celtique étaient trop nombreux et trop bien entretenus pour être autre chose que de commodes enclos à moutons. 

En ces temps de Prix Nobel, lisons un Prix Nobel, et après Doris Lessing découvrons Alice Munro, sacrée en 2013, qui entreprend dans ce roman de partir à la recherche de ses ancêtres.

C’est d’Ettrick, en Ecosse, une contrée sans avantages (mais pourvue de nombreux désavantages) que sont issus les Laidlaw, les ancêtres d’Alice Munro. En 1818, ils émigrent en Amérique, vers une nouvelle vie qu’ils construisent petit à petit.

Un roman finalement assez curieux — même si le terme de « roman » n’est pas forcément le plus adapté : ce serait plutôt une biographie — empreint de contes, légendes et histoires inscrites dans cette lignée, une parmi d’autres mais à laquelle Alice Munro parvient à nous attacher. Et c’est très intéressant, de voir comme ça tout un pan de l’histoire du « Nouveau Monde » canadien, un espace sauvage peu à peu domestiqué. Un monde d’hommes : si la question des femmes est posée, Alice Munro ne s’intéresse pas plus que ça, bizarrement, à sa lignée féminine, mais au contraire à toute une constellation d’êtres parmi lesquels je me suis, je l’avoue, un peu perdue, mais qui ont tous leur histoire et leur singularité.

Bien sûr, toute la fin est consacrée à Alice Muro elle-même, à son enfance, et c’est aussi l’histoire d’un écrivain, dont l’histoire m’a bizarrement fait signe. Il y a, notamment, des pages absolument sublimes sur la nature, mais bizarrement là encore, elle ne parle que peu d’écriture, et ne nous dit pas comment elle est devenue écrivain. Mais ce n’est pas grave : elle nous devient au fil des pages immensément attachante !

Un roman plein de charme donc, très original car on est loin de la saga familiale codifiée : j’ai vraiment aimé découvrir cette autrice, et je pense continuer avec des nouvelles, ce qui est a priori son genre de prédilection.

Du côté de Castle Rock
Alice MUNRO
Traduit de l’anglais (Canada) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
L’Olivier, 2009 (Points, 2010)

Nobelle, de Sophie Fontanel : d’amour et de littérature

Je relus la phrase. Oui, elle était vaste, bien plus vaste que moi. Même moi qui l’avais écrite, j’étais une étrangère enrichie par elle. Et je compris comment l’on sait, un jour, qu’on a fini un livre. Ce n’est pas le mot « fin » que l’on met tout au bout, ce n’est pas un point jeté après un mot. C’est le prodige d’avoir laissé naître en soi des milliers de phrases comme celle-là, qui tiennent toutes seules un jour au milieu du temps.
Et moi, je contenais ça. 

Je ne résiste pas aux romans qui parlent d’écriture et d’écrivains. Si en plus ils parlent d’amour, je suis presque en pâmoison. Et si, pour couronner le tout, ils sont écrits par un auteur que j’aime, en l’occurrence Sophie Fontanel, je ne vois pas bien comment je pourrais résister.

A l’occasion de son discours de réception du prix Nobel de littérature, Annette Comte revient sur l’été de ses dix ans, celui où elle découvre ce qui la rend unique : écrire. Où elle découvre aussi ce que c’est que l’amour, grâce à Magnus. Où l’amour et la littérature se lient indéfectiblement en elle.

Un merveilleux roman, plein de douceur, à la fois formidable d’innocence car Sophie Fontanel sait à merveille rendre la hauteur de l’enfant, la naïveté de la petite Annette de dix ans qui naît à la fois à la littérature et à l’amour et a cette révélation existentielle qu’elle est une sorte de troubadour, et émouvant. L’amour et la littérature sont intimement liés (je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Somerset Maugham : seuls l’amour et l’art rendent l’existence tolérable), ils naissent du même élan vital, de la même soif d’absolu, essentielle chez les enfants et que l’on voudrait bien conserver à l’âge adulte. Tout comme cette formidable trouvaille que je mettrais bien sur ma carte de visite (et qui règle le problème du féminin) : je suis écrivaste. Parce que je contiens un monde, des mondes, qui ne demandent qu’à sortir.

Ce roman m’a au final fait l’effet d’un petit bonbon qui m’a fait du bien, m’a fait sourire et m’a aussi un peu mis la larme à l’œil par moments ! Un coup de cœur !

1% Rentrée Littéraire 2019 – 5/6
By Hérisson

Discours à l’Académie suédoise, de Bob Dylan

Discours à l'Académie suédoise, de Bob DylanLorsque j’ai reçu le prix Nobel de littérature, je me suis demandé quel lien mes chansons entretenaient au juste avec la littérature. J’ai voulu y réfléchir et m’interroger sur la nature de ce lien. Je vais tâcher d’exprimer cela pour vous. Et très probablement ça se fera de façon détournée, mais j’espère que mes explications seront dignes d’intérêt et éclairantes. 

On se souvient que l’an dernier, l’attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a fait naître une véritable querelle dans les milieux littéraires, suivie d’un moment de flottement, Bob Dylan ayant mis des jours avant de finalement accepter son prix. Mais enfin, au final, comme tout le monde, il a dû se plier au fameux exercice de discours de réception, obligatoire,  exercice à l’origine de nombre de textes passionnants qui interrogent l’essence de la littérature et ce que c’est qu’être écrivain. Enfin, comme tout le monde, pas tout à fait, puisque Dylan prends toujours le contrepied de ce qu’on attend de lui : contrairement à ce qui se fait d’habitude, la médaille en or et le diplôme lui ont été remis dans un lieu privé et tenu secret, sans journalistes ni public. Mais le discours a été enregistré.

Dans ce discours, Dylan s’interroge donc sur les liens entre ses chansons et la littérature. Ce qui est d’ailleurs la question que se sont posée bien des gens après l’attribution du prix, et il n’y a pas de hasard : Dylan répond à ses détracteurs. Mais pas frontalement : c’est à ses influences qu’il va s’intéresser dans ce discours. Buddy Holly, à l’origine de tout, mais également ses lectures d’enfance, Moby Dick, A l’Ouest rien de nouveau et L’Odyssée notamment, à l’origine de ses thèmes obsédants et récurrents.

C’est un très beau texte, qui ne répond pas complètement à la question posée au départ mais finalement ce n’est pas étonnant, et qui est assez différent de ce qu’on a l’habitude de lire avec cet exercice, mais qui se révèle touchant. Il perd un peu à l’écrit et en traduction (à cause de la musicalité des mots et de la voix de Dylan), néanmoins, mais c’est tout de même un texte à avoir dans sa bibliothèque !

Discours à l’Académie suédoise
Bob DYLAN
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard
Fayard, 2017

Bloc Notes de rentrée

Et oui. Malheureusement, c’est déjà la rentrée, la vraie, pas la rentrée littéraire, qui signe la fin de l’insouciance, de la liberté, du temps à soi. Snif. Mais essayons de faire contre mauvaise fortune bon coeur, avec quelques infos capitales.

Le forum Fnac Livres

Forum fnac livresPour sa deuxième édition, le Forum Fnac Livres se décale un peu dans le temps et dans l’espace et aura lieu du 15 au 17 septembre à la Halle des Blancs Manteaux. Mais le principe reste le même : des auteurs en dédicaces, des rencontres, des surprises, et il s’ouvrira le 15 par la remise du premier prix littéraire de la saison, le Grand Prix du Roman Fnac. Comme l’an dernier, j’aurai le plaisir, avec 2-3 autres, d’interviewer le lauréat, et je passerai tout le week-end sur place. N’hésitez pas à passer !! Tout le programme ici

Une saison de Nobel


Sous le parrainage de Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel de Physique 1991, Une Saison de Nobel rend hommage à un Auteur, Prix Nobel de Littérature, et à son oeuvre. En effet, les Prix Nobel, et en particulier le Prix Nobel de Littérature, couronnent des oeuvres ou des découvertes majeures de l’histoire de l’humanité. Une façon d’honorer des écrivains talentueux, dont le nom traverse le temps, et qu’il est bon parfois de redécouvrir… Une Saison de Nobel crée donc sur scène la rencontre entre un auteur, une oeuvre et un public. A noter, en ce début d’année, au théâtre de l’Oeuvre : 24 septembre : Gao Xingjian (Prix France 2000), 29 octobreJean-Marie Le Clézio (Prix France 2008), 26 novembre : Elfriede Jelinek (Prix Autriche 2004), 17 décembre : Dario Fo (Prix Italie 1997) !

Le Monde festival

Le Monde festival

Après le succès de l’édition 2016 du Monde Festival, qui a rassemblé près de 20 000 spectateurs, Le Monde lance la quatrième édition, autour de la thématique du rêve, les 22, 23, 24 et 25 septembre 2017. Cette année encore, débats, spectacles, rencontres et ateliers seront proposés pour échanger autour du « rêve » dans des lieux d’exception : à l’Opéra Bastille, au Palais Garnier et au Théâtre des Bouffes du Nord. Le rêve, aussi poétique que dynamique, porté sur l’action et l’avenir, permet à tous de rêver le monde, de l’imaginer, de le changer, de le rendre plus vivable collectivement, plus équitable, plus juste, plus audacieux. Des échanges enrichissants, auxquels contribueront de nombreux invités prestigieux venus du monde entier, qui vous feront partager leurs rêves du monde de demain. Parmi la centaine d’invités qui participeront au Monde Festival, seront notamment présents : Laurent Alexandre, Isabelle Autissier, Alain Badiou, Antoine de Baecque, Laurent Berger, Juliette Binoche, Philippe Chalmin, Judith Chemla, Patrick Cohen, Régis Debray, Aurélie Dupont, Ruth Elkrief, Christiane Lambert, David Le Breton, Lawrence Lessig, Sarah Marquis, Kevin Mayer, Dominique Méda, Catherine Millet, Pierre Musso, Françoise Nyssen, Serge Papin, David Pujadas, Christian de Portzamparc, Jean-Marie Robine, Ken Robinson, Perrine Ruby, Marjane Satrapi, Jean-Dominique Sénard, Leïla Slimani, Kate Tempest, Jean-François Toussaint, Katharine Viner… Tout le programme ici !

L’Exposition d’un rêve

Exposition d'un rêve
F. M. Einheit dans l’amphithéâtre en plein air de la Fondation Gulbenkian, Lisbonne © Marcia Lessa

Toujours sur le thème du rêve, La Fondation Calouste Gulbenkian à Paris propose pour son exposition de rentrée une expérience sonore, sous le commissariat de Mathieu Copeland, qui s’inspire des rêves de cinéastes et de dramaturges, de poètes et d’écrivains (entre autres Genesis Breyer, P-Orridge, Gabriel Abrantes, Tim Etchells, Pierre Paulin et Apichatpong Weerasethakul). Ces rêves ont ensuite été mis en musique par le musicien allemand F. M. Einheit et enregistrés à la Fondation et dans son jardin à Lisbonne, grâce à la contribution de nombreux musiciens et du Chœur Gulbenkian tout au long de l’année 2017. De quoi rappeler le « rêvatoire » de la Casa Pessoa : les Portugais ont décidément des idées bien poétiques ! A entendre à partir du 7 ocobre !

Les femmes de dictateurs, saison 2

Femmes de dictateurs

Après le succès de la première saison, découvrez trois nouvelles grandes familles d’épouses d’autocrates ou de despotes sanguinaires :  Les Impétueuses, Les Maudites, Les Matriarches. A découvrir dès le jeudi 21 septembre à 20h55 sur Planète+.

Like a Nobel Prize. La querelle de Bob Dylan

bobdylanDepuis jeudi, je ne sais toujours pas quoi en penser.

J’étais tout à fait persuadée que, pour des raisons pas uniquement littéraires d’ailleurs, Salman Rushdie serait cette année le lauréat du Prix Nobel de Littérature. Oates, cela m’aurait un peu révoltée, attendu qu’un écrivain qui signe une pétition pour qu’on ne remette pas un prix de la liberté d’expression à des journalistes assassinés, je trouve que ça affiche mal ; Roth je pense que plus personne n’y croit ; Adonis ça me ferait plaisir, me donnant l’occasion de le lire (parce que sans occasion… ; Kundera, cela me ravirait mais j’y crois de moins en moins ; enfin, bref, il y avait de multiples possibilités, certaines moins surprenantes que d’autres.

Lorsqu’une notification est arrivée sur mon téléphone (cette année je n’ai malheureusement pas pu suivre en direct l’annonce) pour me dire que c’était Bob Dylan, j’ai ri. D’abord parce que j’ai cru à une blague. Ensuite parce que j’ai compris que c’était vrai, et c’était un rire un peu jaune. Et je me suis dit que les jurés se moquaient quand même un peu du monde.

Après, je me suis rendu compte que cet avis (les jurés se moquent du monde) n’était pas unanimement partagé dans le petit univers littéraire, et qu’au contraire on assistait à un début de bataille rangée, de querelle comme l’histoire des lettres en compte tant. Passant outre les malotrus d’un bord ou de l’autre, se traitant qui de décérébré, qui de vieux hippie, qui d’assassin de la littérature, qui d’ignorant, je me suis intéressée d’un peu plus près aux arguments de ceux qui trouvaient ça chouette, que Bob Dylan ait le Prix Nobel. 

Mon point de vue de départ était déjà que la chanson est de la littérature, en particulier lorsqu’elle est écrite par quelqu’un de talent (Bob Dylan, Leonard Cohen, Patti Smith ou autres). Mon souci (et ma perplexité) était sur la question de la hiérarchie. Pas que la chanson soit un art mineur, je ne suis pas d’accord avec Gainsbourg sur ce point. Mais hiérarchie entre l’oeuvre de Dylan et celle des écrivains recalés.

L’idée, on le comprend, est d’interroger la définition même du champ littéraire et de ses frontières ; c’était déjà le cas l’an dernier avec Svetlana Alexievitch, qui écrit du reportage et non ce que l’on a l’habitude d’appeler « littérature ». Manifestement, les jurés du Nobel entendent mettre fin à la confusion, à l’identification littérature/roman ou plus largement fiction. Soit. De fait, pendant longtemps, la littérature, les Belles lettres, c’était un petit peu tout ce qui s’écrivait, finalement, des sermons de Bossuet aux chroniques de guerres en passant par les tragédies de Racine. Si l’on remonte encore plus loin, la littérature n’était pas écrite, mais orale et chantée. Que l’on pense à Homère, aède des aèdes.

De ce point de vue, le choix de Dylan fait évidemment sens : rappeler les sources orales et musicales de notre littérature. Rappeler que le champ littéraire est plus vaste que ce qu’on entend habituellement. Et à bien des égards, ce rappel est évidemment salutaire.

Est-il pour autant opportun ? C’est sur ce point, véritablement, que je reste sceptique. Le Nobel vise à récompenser un écrivain ayant rendu de grands services à l’humanité grâce à une œuvre littéraire qui « a fait la preuve d’un puissant idéal ». Est-ce le cas de Dylan ? Je veux bien acquiescer sur ce premier point. Même si, tout de même, je butte toujours sur cette histoire de hiérarchie. Sauf à considérer que le service rendu est d’autant plus grand que l’oeuvre circule mieux. Admettons.

Mais justement : l’oeuvre circule, partout. C’est bien. Mais. A l’heure où le livre, l’écrit est en danger, est-ce un bon signal de primer un auteur dont les gens pourront dire qu’ils connaissent son oeuvre parce qu’ils sont allés écouter cinq chansons sur youtube ? En un sens, c’est une bonne chose, cela désacralise le Nobel ; mais cela sonne aussi, un peu, démago. La littérature à portée de ceux qui ne lisent pas. Tous les ans, le Nobel fait vendre des livres, parce qu’il y a toujours des curieux pour s’intéresser à cet auteur lauréat que dans la plupart des cas ils ne connaissaient pas. Dans le cas présent, quand bien même le support livre existe (textes des chansons mais aussi chroniques) je crois que les gens vont surtout, dans le meilleur des cas, télécharger ses albums. Et ils auront raison, car la chanson ne se lit pas, elle s’écoute, sinon elle perd une grande partie de sa magie.

Du coup, après toutes ces réflexions, je reste profondément perplexe et partagée…

Et vous ?

La Guerre n’a pas un visage de femme, de Svetlana Alexievitch

La guerre n'a pas un visage de femmeJe recompose une histoire à partir de fragments de destins vécus, et cette histoire est féminine. Je veux connaître la guerre des femmes, et non celle des hommes. Quels souvenirs ont gardés ces femmes ? Que racontent-elles ? Personne encore ne les a écoutées…

Je ne connais pas grand chose à la littérature russe, et c’est encore un euphémisme de le dire comme ça. Mais, j’aime ne pas rester sur mes acquis, découvrir de nouvelles choses, et lorsqu’il y a quelque temps la librairie du Globe, librairie russe à Paris, m’a contactée pour un partenariat, j’y ai vu l’occasion de combler mes lacunes. Donc, c’est parti pour la découverte de la littérature russe (au sens large), en commençant par Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de littérature 2015, et l’une de ses enquêtes les plus marquantes.

Depuis la nuit des temps, la guerre a été considérée comme une affaire d’hommes, et que ce soit dans les livres d’histoire ou les récits épiques, on ne parle que d’eux. Pourtant, nombre de femmes étaient engagées dans les troupes soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Infirmières, brancardières, tireuses d’élite, pilotes de chasse, mécaniciennes ou simples soldats, elles ont fait preuve d’un courage exemplaire pour sauver leur patrie. Pendant sept ans, Svetlana Alexievitch les a rencontrées, a recueilli leur témoignage, leur a demandé de raconté leur guerre.

Et cela donne un texte saisissant, à la fois témoignage et écriture du témoignage, l’auteure s’interrogeant tout au long du récit sur son travail et les difficultés qu’elle rencontre. Sorte de je me souviens collectif, l’ouvrage donne un autre visage à cette boucherie héroïque, et s’interroge sur la place des femmes dans la guerre : est-elle un soldat comme les autres ? Ici, il est moins question de batailles et de victoires que du quotidien : le besoin, malgré tout, de rester jolie et féminine au coeur de l’horreur ; les problèmes pratiques comme l’hygiène, les besoins naturels, les règles (évidemment, rien n’a été prévu) lorsque leur cycle menstruel n’est pas tout simplement détraqué (ce qui arrive à beaucoup). Les enfants, la famille. La patrie qui passe avant tout. Et puis, bien sûr, le sang, le carnage, la mort. Et, malgré tout, parfois, l’amour qui surgit au milieu du chaos, le désir de vivre absolument. L’après-guerre, où ces femmes ont été traitées de manière scandaleuse…

Tour à tour le texte émeut, révolte, donne les larmes aux yeux ou la nausée. A lire par petits bouts, car c’est très oppressant, mais à lire absolument tout de même.

La Guerre n’a pas un visage de femme
Svetlana ALEXIEVITCH
La Renaissance, 2004 (J’ai Lu, 2005/2015)

Discours à l’Académie suédoise, de Patrick Modiano

discours à l'académieC’est la première fois que je dois prononcer un discours devant une si nombreuse assemblée et j’en éprouve une certaine appréhension. On serait tenté de croire que pour un écrivain, il est naturel et facile de se livrer à cet exercice. Mais un écrivain – ou tout au moins un romancier – a souvent des rapports difficiles avec la parole. Et si l’on se rappelle cette distinction scolaire entre l’écrit et l’oral, un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral. Il a l’habitude de se taire et s’il veut se pénétrer d’une atmosphère, il doit se fondre dans la foule. Il écoute les conversations sans en avoir l’air, et s’il intervient dans celles-ci, c’est toujours pour poser quelques questions discrètes afin de mieux comprendre les femmes et les hommes qui l’entourent. Il a une parole hésitante, à cause de son habitude de raturer ses écrits. Bien sûr, après de multiples ratures, son style peut paraître limpide. Mais quand il prend la parole, il n’a plus la ressource de corriger ses hésitations.

C’est un exercice de style dont Modiano se serait sans doute passé, lui qui est si mal à l’aise avec l’oral. Mais tout nobélisé doit s’y plier : le discours de réception devant l’académie suédoise, à Stockholm. Beaucoup des discours de ses prédécesseur sont restés dans les annales : je pense à celui de Camus, je pense à celui de Doris Lessing.

Pour un écrivain, c’est surtout le moment de nous faire partager sa conception de la littérature et du monde.

Touchant et émouvant, ce discours de Modiano est totalement lui, de l’affirmation du romancier comme être d’écrit et non d’oral et de l’écriture comme activité solitaire, au rôle du lecteur, qui en sait finalement plus que l’auteur sur l’oeuvre. Modiano parle de l’Occupation et de l’importance de son époque pour un écrivain, même si la littérature a toujours quelque chose d’intemporel. Il affirme son amour de la ville et de Paris. Il explique que l’écriture est une lutte contre l’oubli.

Ce discours est avant tout un texte magnifique, d’une grande simplicité et d’une grande modestie, sur la littérature et ce que c’est que d’être écrivain. Un texte à lire et à relire, ou à revoir (j’avoue que la vidéo m’émeut beaucoup) :

Discours à l’Académie suédoise
Patrick MODIANO
Gallimard, 2015

(Egalement en intégralité sur le site de l’académie mais j’avais envie de l’avoir dans ma bibliothèque)