Le Patient zéro, de Philippe Besson

Le Patient zéroEn 1985, j’ai 18 ans. Ma vie sexuelle vient à peine de commencer, elle est d’emblée marquée du sceau de l’inquiétude et de la nécessaire précaution. Elle n’est pas gourmande, débridée, comme elle devrait l’être : au contraire, elle est peureuse, frileuse. Je pense à ceux qui m’ont précédé et qui avaient l’air si joyeux. Je pense que jamais je ne connaîtrai leur joie insouciante, cet hédonisme, cette légèreté. Je découvre les étreintes sous le signe de la gravité et de la prudence.

Ce n’est pas une première fois joyeuse qu’a choisi de nous raconter Philippe Besson. Son sujet, c’est le SIDA, et la recherche du premier malade, le « patient zéro ». Une première fois, donc, qui ouvre une période glaçante, et met fin à l’époque du sexe joyeux et insouciant. Parce que, depuis le SIDA, on ne fait plus l’amour de la même façon.

Le problème, ici, c’est qu’on ne sait pas comment tout a commencé. On ne sait pas qui est le patient zéro. On a longtemps, dans cette recherche d’un bouc-émissaire, accusé le stewart québécois Gaëtan Dugas d’être le premier à avoir contracté et diffusé la maladie. Coupable idéal, de par sa sexualité débordante ; pourtant, on sait aujourd’hui qu’il n’est en rien responsable de la contamination, d’autant que certaines morts suspectes datant pour la plus ancienne des années 60 pourraient être liées au virus HIV. Alors, Besson fait son travail de romancier et comble les blancs de l’histoire.

De son écriture sobre et délicate, Philippe Besson nous raconte la fin d’un monde. Il y a, ici, quelque chose de l’ordre du récit mythique, du récit des origines, travaillé par la question du bouc-émissaire : celui qui est responsable de la catastrophe ; c’est d’autant plus évident, ici, que la maladie est elle-même chargée de sens, et que certains y voient une punition divine, surtout au début : une maladie qu’on croirait sortie d’un épisode de la Bible, et qui a le bon goût de toucher en priorité les gays, les Noirs, les toxicomanes, présente les allures à la fois d’une malédiction millénaire et d’une sanction divine […] Ils meurent, bien fait pour eux, ils n’avaient qu’à pas se détourner du droit chemin, ils n’avaient qu’à pas ériger la fornication en mode de vie.

Militant, visant à réhabiliter la mémoire de Gaëtan Dugas et à affirmer une fois encore que cette maladie tue et qu’il faut s’en protéger, ce texte est aussi éminemment intime et, partant, bouleversant. A lire !

Le Patient zéro
Philippe BESSON
Steinkis Groupe / Editions Prisma, collection Incipit, 2016

Les délices de 36, de Nicolas Rey

Les délices de 36Gloire à la sieste ! 1936 ! Ne rien faire ! Ou l’inverse ! Faire des choses, enfin. Vivre. Respirer. Se balader sur la plage ou en haut d’une montagne. Cette année-là, une idée se promène un peu partout : « être payé sans travailler », et puis également « avoir droit au bonheur ». C’était une idée neuve.

Poursuivons notre découverte des premières fois de saison (même si la météo n’a visiblement pas compris que nous sommes en juillet), avec Nicolas Rey et les premiers congés payés en 1936.

Jean est ouvrier à la chaîne. Bernadette et standardiste. Ils se marient et, en 1921, leur fils Marius, le grand-père de l’auteur, voit le jour. Mais, aliénés par leur travail, ils n’ont pas le temps de vivre, d’aimer, de rêver. A l’été 36, ils savourent leurs premiers congés payés grâce au Front Populaire, et Marius tombe amoureux d’Emma, la fille d’un riche industriel.

Une jolie histoire, parfois lyrique, souvent sensuelle et charnelle, qui mêle la première fois amoureuse aux premières vacances (puisque, on le sait, les vacances sont un moment propice pour tomber amoureux). Ode à la liberté de vivre, de profiter de son temps, d’être heureux, porteur d’une philosophie de vie où le loisir n’est plus réservé à une élite sociale, ce court texte se révèle aussi une réflexion sur le monde : cet été-là, la France est coupée en deux, avec d’un côté ceux qui ont toujours pu profiter de la plage et du beau temps, la bourgeoisie arc-boutée sur ses privilèges, et les « congés payés », auxquels il ne faut pas se mêler. Et, malgré l’amour, le fossé est impossible à combler. Cela donne un texte souvent drôle, mais aussi profondément mélancolique.

Si ça vous dit de le découvrir, je vous propose à nouveau d’en gagner un exemplaire (mais c’est le dernier !!!). Pour cela, rien de plus simple :
1. Vous laissez un petit commentaire poli pour me dire que vous participez
3. Vous m’envoyez un mail avec en objet « Concours 36 » dans lequel vous m’indiquerez votre nom et votre adresse complète (et éventuellement le pseudo sous lequel vous avez commenté, si vous en avez utilisé un) à irreguliere.blog[at]gmail.com
4. Tout cela avant vendredi 15 juillet à minuit !

Edit : concours terminé. C’est Germaine Yvette qui gagne l’exemplaire !

Les Délices de 36
Nicolas REY
Steinkis Groupe / Editions Prisma, collection Incipit, 2016

Deux-pièces, d’Eliette Abécassis

BikiniSes bras, ses jambes, presque potelés pour quelqu’un qui a vécu à Paris pendant la guerre, son ventre, ses épaules étaient exhibés aux yeux de tous, dans ces minuscules morceaux de tissus qui recouvraient tout juste ses seins, son sexe et la moitié de ses fesses. Elle s’avança devant le jury du concours de maillots de bain, en souriant, ses lèvres recouvertes d’un rouge à lèvre rubis, avec un naturel parfait, comme si tout était normal, comme si elle marchait dans la rue, vêtue d’un tailleur, la tête couverte d’un chapeau, selon l’usage.

Poursuivons notre découverte des premières fois de l’histoire, avec un événement qui devrait être de saison : l’invention du bikini, sujet qui peut sembler futile, mais ne l’est pas du tout.

Quelques mois après la Libération, à la piscine Molitor, a lieu un défilé de maillots de bain, à l’occasion duquel Louis Réard ose présenter une bombe : un deux-pièces, qu’il baptise « bikini », du nom d’un atoll du Pacifique où venait de se dérouler un essai nucléaire américain. A la bombe atomique, Louis Réard répond par la bombe anatomique ! Et c’est à l’occasion de ce défilé que Gaby, une journaliste de mode, et Antoine, qui travaille pour Réard, se retrouvent après avoir été séparés par la guerre.

Eliette Abécassis choisit, pour traiter son sujet, le mode fictionnel : le défilé de mode est la toile de fond de retrouvailles entre d’anciens amoureux qui se sont perdus de vue lors de l’Exode, pour une raison que l’on ne comprendra que dans les dernières lignes. Néanmoins, le sujet principal reste bien le bikini, beaucoup moins superficiel qu’il n’y paraît de prime abord, car ce petit bout de tissu (bien plus couvrant que ce que l’on porte aujourd’hui) marque un tournant dans l’histoire de la libération de la femme, peu après la Libération tout court. Et cette libération passe, bien sûr, par la libération du corps : en le dévoilant, en l’exhibant même, la femme s’émancipe. L’histoire du nom est d’ailleurs intéressante, et le slogan, la « bombe anatomique », bien plus qu’un jeu de mot : c’est aussi une philosophie, un acte de résistance par lequel la France (où ailleurs aurait-on pu faire défiler un bikini ?) réaffirme qu’elle est le pays de la liberté contre l’ordre moral, pour l’amour et pour les femmes. Bien sûr, en 1946 le chemin est encore long, mais nous devons à Louis Réard cette première pierre : ne plus devoir cacher notre corps considéré comme un objet de honte ! Je propose qu’on le panthéonise !

Un petit texte fort intéressant et salutaire, surtout par les temps qui courent !

Si ça vous dit, je vous propose d’en gagner un exemplaire. Pour cela, rien de plus simple :
1. Vous laissez un petit commentaire poli pour me dire que vous participez
3. Vous m’envoyez un mail avec en objet « Concours bikini » et dans lequel vous m’indiquerez votre nom et votre adresse complète (et éventuellement le pseudo sous lequel vous avez commenté, si vous en avez utilisé un) à irreguliere.blog[at]gmail.com
4. Tout cela avant jeudi 7 juillet à minuit !

Edit : concours terminé. C’est Cartonsdemma qui gagne l’exemplaire !

Deux Pièces
Eliette ABECASSIS
Steinkis Groupe / Editions Prisma, collection Incipit, 2016

Spiridon superstar, de Philippe Jaenada

Spiridon superstarPour participer, il fallait être hellène et libre. Les esclaves, les étrangers et les prisonniers pouvaient toujours courir (autre part). Quant aux femmes, manquerait plus que ça. Elles n’avaient pas non plus le droit de se glisser dans le public, ni même de se cacher derrière un olivier sur une colline pour mater de loin (si l’une d’elle se faufilait en douce parmi les spectateurs, disons avec une fausse barbe, histoire de jeter un coup d’oeil aux beaux gars couverts de sueur et d’huile d’olive, elle le regretterait toute sa vie — qui serait courte, cela dit, et s’achèverait brutalement).

Après François Bégaudeau et la première femme élue à l’Académie Française, c’est au tour de Philippe Jaenada de s’emparer d’une première historique, pour cette très jolie collection Incipit.

Dans Spiridon superstar, il nous plonge dans l’histoire des Jeux Olympiques et notamment des premiers JO de l’ère moderne, en 1896, et du premier vainqueur de la toute nouvelle épreuve du marathon : Spiridon Louis.

Evidemment, ce petit texte qui se déguste en une soirée est marqué par le « ton » Jaenada, si plaisant : burlesque et insolent, souvent désinvolte, parfois digressif, et donc éminemment drôle. Pourtant, si on n’y connaît strictement rien à l’histoire des Jeux Olympiques, on apprend beaucoup de choses : l’histoire des JO antiques, la création de ces JO modernes et le rôle de Coubertin, des JO d’ailleurs très amateurs et à la va-comme-je-te-pousse, bien loin de l’organisation impeccable qu’on connaît aujourd’hui, quelques anecdotes croustillantes à ressortir lors d’un dîner en ville, et quelques réflexions assez féministes. Au centre, l’histoire de Spiridon, qui n’avait rien d’un athlète au départ, encore moins d’une star, et qui est devenu en un marathon (le premier !) le symbole d’une nation qui a besoin de se reconstruire. Une très belle histoire. Finalement, le sport n’est-il pas, aussi, le reflet de notre société ?

Quelques semaines avant l’ouverture des JO de Rio, ce petit ouvrage tombe bien pour faire le point sur l’histoire de cet événement, et se lit avec beaucoup de plaisir, même si a priori on ne s’intéresse pas du tout du tout au sujet ! C’est la magie Jaenada !

Si ça vous dit, je vous propose d’en gagner un exemplaire. Pour cela, rien de plus simple :
1. Le concours est réservé aux lecteurs du blog : si vous n’avez jamais laissé de commentaire ici, cette fois ce n’est pas pour vous, désolée
2. Les autres, vous laissez un petit commentaire poli pour me dire que vous participez
3. Vous m’envoyez un mail avec en objet « Concours Spiridon » et dans lequel vous m’indiquerez votre nom et votre adresse complète (et éventuellement le pseudo sous lequel vous avez commenté, si vous en avez utilisé un) à irreguliere.blog[at]gmail.com
4. Tout cela avant vendredi 17 juin à minuit !
(Dans les prochains temps, il y aura d’autres concours pour gagner des ouvrages de cette collection)

Edit : concours terminé ! C’est Noukette qui gagne !

Spiridon superstar
Philippe JAENADA
Steinkis Groupe / Editions Prisma, collection Incipit, 2016

L’ancien régime, de François Bégaudeau

L'ancien régimeJusqu’ici les mal-parlants s’étaient ignorés tels. A défaut de norme à quoi contrevenir, ils ne se savaient pas contrevenants. Mal parler se peut s’il existe un bien-parler. Pour inventer l’un, il fallait inventer l’autre. Inventer la règle pour inventer l’incorrection. Dès lors il y eut des fautes, et des gens qui pris en faute ne pouvaient ergoter car la règle est une et indivisible. Hors de question qu’on accorde le participe passé à Amiens, et qu’on le désaccorde à Bourges.

Incipit est une nouvelle collection dont les ouvrages visent à raconter une première fois, sans lien direct avec l’auteur : le premier bikini, le premier festival de Cannes, le premier malade du sida, les premiers Jeux Olympiques, les premiers congés payés… ou la première femme élue à l’Académie Française, thème dont s’est emparé François Bégaudeau.

De sa création en 1635 par le cardinal de Richelieu au 6 mars 1980, aucune femme n’avait jamais été élue à l’Académie Française, ce qui fait de cette date, celle de l’adoubement de Marguerite Yourcenar par les barbons du quai Conti, une date historique. A travers cette petite histoire abrégée de la vénérable Institution, qui se développe jusque dans le futur, Bégaudeau s’interroge non seulement sur l’absence des femmes, mais aussi sur l’utilité de l’Académie…

Bégaudeau cabotine… D’une plume alerte, vive, assez moqueuse, ironique voire persifleuse, oscillant entre le burlesque et la parodie épique, presque voltairienne par moments, il taille un costard à l’Académie. Qui ne sert, a priori, à rien. On peut ne pas être complètement d’accord, trouver qu’il exagère, avoir envie de défendre un peu la vieille dame, reste qu’on couine de rire car c’est vraiment très bien fait, et on apprend deux ou trois choses au passage.

C’est très court, ça se lit en une soirée, et ça serait dommage de passer à côté d’un tel bon moment !

L’ancien régime
François BEGAUDEAU
Steinkis Groupe / Editions Prisma, collection Incipit, 2016