Le 21e homme. Enquête en territoire masculin, d’Aurélie Lévy : le continent noir de la virilité

Les hommes et les femmes. Depuis toujours, ils captivent, ils se cherchent. Et, jusqu’à nouvel ordre, ils cohabitent. Mais depuis quelque temps, c’est le sujet des femmes qui semble, en Occident, susciter l’intérêt général — et celui des médias. Les femmes, leur place, leur rôle, leur importance, leurs besoins, leur sexualité, les inégalités dont elles sont victimes, leurs souffrances, leur épanouissement, leur complexité. Elles sont au cœur de tous les débats. Et les hommes, que veulent-ils aujourd’hui ? Qui sont-ils ? 

Pour beaucoup, cette enquête va probablement sembler un peu provocatrice : « les hommes » ont confisqué la parole depuis des millénaires, on ne veut plus les entendre, surtout,  si c’est pour se plaindre, disent certaines. Heureusement, tout le monde ne confond pas tout : mon hypothèse depuis toujours (et pas que la mienne), c’est que le patriarcat est un système d’oppression toxique pour tout le monde, y compris les hommes, qu’il a coupé d’eux-mêmes et de leurs besoins essentiels. Et si certaines féministes prônent le séparatisme, moi je préfère mourir que vivre séparée d’eux. Et pour vivre avec eux (et je crois vraiment que le temps de la réconciliation réelle est venue) il faut les comprendre, et pour les comprendre… il faut les écouter.

C’est ce qu’a fait Aurélie Lévy : elle a interrogé 21 hommes sur l’amour, le sexe, les relations, le désir, la paternité, l’argent, la vie en commun, le foyer, leur père, leur mère leur femme… pour savoir comment ils voient le fait d’être un homme.

On sent chez tous ces hommes, quelles que soient leurs paroles, leur milieu, leur âge, beaucoup de sincérité, d’authenticité, de vulnérabilité, et une sorte de soulagement aussi d’être autorisés à dire ce qu’ils ressentent, à dire leurs états d’âme, ce qui leur est finalement interdit aussi bien par le patriarcat que par certaines féministes. Or l’idée que « les hommes » n’aiment pas se confier apparaît ici comme un cliché, en tout cas c’est en train de changer, mais bien sûr il faut que cette parole soit accueillie et non rejetée d’emblée (ce qui n’est pas toujours facile face à une femme, et tout cela m’a rappelé Homo Erectus de Tonino Benacquista). Et ce qu’on constate, c’est qu’ils évoluent en miroir des femmes : ils sont parfois emprisonnés dans leurs contradictions, pris en étaux entre ce qu’ils veulent, ce que la société veut, ce que veulent les femmes, parfois étouffés par les rôles qu’on leur assigne et le modèle de virilité en lequel ils ne se reconnaissent plus toujours. Ils ont besoin de se redéfinir, redéfinir l’identité masculine, et réinventer le lien avec les femmes — et même : le réparer. Chez beaucoup, il y a une vraie vision du couple comme essentiel à l’équilibre. Le témoignage de Samuel notamment m’a profondément émue, parce qu’il dit sur le couple des choses magnifiques : [Le couple m’apporte] un ancrage extraordinaire. […] Quand tu es dans une tribu, c’est merveilleux qu’il y ait du feu en permanence. Le feu est nourri, on ne le laisse pas s’éteindre. Le feu au sens « foyer ». J’ai un feu. Ce feu, je dois en permanence l’entretenir : rapporter du bois, ôter les cendres, retirer ce qui peux provoquer des fumées indésirables. Je dois maintenir ce foyer qui est au cœur de ma vie. Qui est la chose la plus intime. Le feu repousse les bêtes sauvages, les enfants peuvent grandir au chaud, autour de ce foyer et de ce rayonnement. C’est une bulle de sécurité, un endroit où on échappe à la dureté du monde, à la violence, à l’arbitraire. C’est un endroit où règne un certain niveau d’empathie, de compréhension, d’acceptation, de reconnaissance et d’exigence aussi. […] Pour moi le couple incarne la liberté. Parce que je suis tellement nourri, dans mon rapport au monde j’ai un esprit de jeu, de légèreté.

Je crois cet ouvrage absolument salutaire pour refonder le lien mis à mal entre les hommes et les femmes. Aimer, c’est accueillir l’autre dans sa vulnérabilité, et ici, les hommes ont eu le courage de se montrer vulnérable et de parler à cœur ouvert. Et même si certaines paroles peuvent être un peu crispantes parfois, l’idée est tout de même de les laisser libres…

Le 21e homme. Enquête en territoire masculin
Aurélie LÉVY
Editions Anne Carrière, 2020

Haute fidélité, de Nick Hornby

Haute fidélité, de Nick HornbyIl me semble que si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui vous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, il faut y picorer, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut-être que nous vivons tous de façon trop aiguë, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. Peut-être qu’Al Green est directement responsable de beaucoup plus que je ne pensais. 

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman ! Mais je ne sais pas pourquoi (pas seulement le manque de temps), quelque chose me retenait. Et puis l’autre jour, une petite voix (oui, nous sommes un certain nombre dans ma tête) m’a dit que c’était le moment, alors soit. Et puis ça tombe bien, c’est le mois anglais.

Rob, le narrateur, tient un magasin de disques dans le nord de Londres, et vient de se faire plaquer pour la trèsnombreusième fois de sa vie, après des années de vie commune avec Laura. Et il essaie de s’en remettre comme il peut, en écoutant de la musique, et en faisant la liste de ses ruptures inoubliables, dont ne fait pas partie celle avec Laura, essaie-t-il de se convaincre : non, il est trop vieux pour avoir le coeur brisé, et ses ruptures les plus douloureuses étaient forcément les cinq premières…

Voilà un roman qui ne trahit pas sa réputation d’être extrêmement drôle, et plein d’autodérision. Mais, je l’avoue, aussi pathétique et lâche qu’il soit parfois, Rob m’a surtout éminemment attendrie et j’avais envie de le prendre dans mes bras pour consoler ce pauvre petit oiseau tombé du nid. Parce que, mine de rien, au-delà de l’humour ravageur, Nick Hornby analyse à la perfection le précaire masculin, subordonné au culte de la virilité et de la performance (alors qu’ils sont des pauvres petites choses fragiles, au fond), et le conditionnement amoureux : est-ce que nos histoires présentes se jouent dans nos histoires passées, nos amourettes d’adolescent et de jeune adulte même si elles ont duré deux jours ? Les cinq premières histoires qui conditionnent toute notre vie ? C’est, finalement, un roman sur l’abandon : en ayant été abandonné ou trahi (dans sa tête du moins) par ses cinq premières copines, Rob a développé une mauvaise image de lui-même, ne cesse donc de répéter un schéma identique, et refuse de s’engager. Sauf que ça, bien sûr, il ne le comprend pas vraiment. Et c’est vrai que nous sommes tellement conditionnés, hommes comme femmes, que nous ne nous en apercevons pas toujours, mais si ce constat est valable pour les deux sexes, je finis par me demander si malgré les apparences et la société qui les oblige à jouer aux durs, les hommes (certains en tout cas) ne sont pas plus sensibles et fragiles émotionnellement que nous, en particulier ceux qui se comportent comme de parfaits c*** (oui je sais, je ne viens pas de découvrir le fil à couper le beurre et ce n’est pas avec ça que je vais gagner un prix Nobel, mais tout de même). Et ce roman, imprégné de musique (c’est même une véritable playlist), en est la parfaite illustration : si Rob agit parfois comme un tocard, c’est qu’il est au fond trop sensible…

Bref un roman drôle, très, mais pas seulement. Je l’offrirais bien à quelqu’un…

Haute fidélité
Nick HORNBY
Traduit de l’anglais par Gilles Lergen
Feux Croisés/Plon, 1997 (10/18, 1999)

Le mois anglais