Une verrière sous le ciel, de Lenka Horňáková-Civade

Une verrière sous le ciel, de Lenka Horňáková-CivadeMoi, je ne suis pas Smetana, qui a su mettre en musique la Vlata, insignifiant filet à sa naissance, qui parcourt le pays de cascades en passages paisibles, qui traverse les forêts impénétrables où vivent les fées, les elfes et une kyrielle de personnages surnaturels qui me sont si familiers, en passant par les villes médiévales aux banlieues affreusement bétonnées, par les villages bucoliques, et qui arrive jusqu’à la mère de toutes nos villes, Prague. Au bord de la Seine, ce n’est pas la même musique qui résonne dans ma tête, oui, ma respiration est différente, l’odeur aussi. On dit que Smetana s’est laissé inspirer par la Vlata non seulement parce que sur ses rives s’étale la belle et mystérieuse capitale, mais aussi parce que c’est une rivière qui naît et meurt en Bohême, comme si elle ne pouvait vivre que dans ce pays-là.

Le premier roman de Lenka Horňáková-Civade, Giboulées de soleilavait été un véritable coup de coeur pour moi, et c’est donc avec une grande impatience que j’attendais le suivant…

21 août 1988. Le jour de ses 18 ans, Ana refuse de monter dans le train qui doit la ramener dans sa prison tchécoslovaque après une colonie de vacances en France. Telle Antigone, elle dit « non ». Alors commence pour elle l’apprentissage de la liberté, grâce à l’énigmatique Grofka, qui la prend sous son aile et la place sous la protection de Bernard, propriétaire d’un café où, d’abord mutique, Ana apprend à s’ouvrir et rencontre d’autres êtres aux histoires douloureuses…

Avec ce roman, Lenka Horňáková-Civade confirme son extraordinaire talent de conteuse. Un récit d’une poésie rare, tissé de musique et de littérature, la poésie des déraciné. Peuplé d’une farandole de personnages attachants, tous un peu cabossés et qui font ce qu’ils peuvent pour vivre, il pose la question de la naissance, de la liberté, de l’amour, de l’art et de l’identité, autour de personnages féminins forts : car cette liberté, finalement, n’est pas si simple. Le pays qu’on a fui car on y était étouffé, quoi qu’on fasse, reste ancré en soi, et on en garde toujours une nostalgie douloureuse — Prague, magique, romantique, sublime, éternelle plane sur ces pages comme un fantôme douloureux que n’efface pas la soif de liberté qui a conduit à la quitter. Prise entre deux langues, sa langue maternelle et le français qui la nourrit depuis toujours, prise entre deux villes, cette Prague qu’elle chérit et Paris qu’elle apprend à connaître et où elle erre des heures dans le cimetière du Père-Lachaise, Ana grandit, se cherche, se trouve, apprend à être qui elle est… et à aimer.

Un très beau roman donc, très touchant et magnifiquement écrit, à la fois douloureux et lumineux, et qui m’a donné à nouveau envie de Prague…

Une verrière sous le ciel
Lenka Horňáková-Civade
Alma, 2018

Lu par Leiloona, Antigone

L’Amant de Prague, de Monique Ayoun

L'Amant de PragueElle y était. C’était son port de tête. Il se tenait droit. Ou bien sa voix, l’intonation de sa voix. Il avait dit « Havel », « Château », tout doucement, amoureusement, presque en se rengorgeant. Elle se souvient de lui, à Paris, au début de leur rencontre. Les mots noués dans sa gorge dès qu’elle l’interrogeait sur son pays natal. Son refus d’en parler comme s’il en avait honte… Ou comme s’il la jugeait incapable de comprendre… Ses soirées passées à boire et à fumer avec son groupuscule d’exilés tchèques dont elle était le plus souvent exclue. L’expression de détresse, d’humiliation, de rage sur son visage lorsqu’à la demande réitérée de Carla, il finissait par évoquer la splendeur méconnue de la ville aux cent tours, les châteaux de Bohême, les immenses bibliothèques sacrifiées, brûlées par les communistes, son départ en 68 avec ses parents alors que les chars russes envahissaient Prague… Il ne pensait jamais revoir un jour ce pays. A présent il était là, dans sa ville, heureux, fier… Carla le regardait, perplexe : la révolution de son pays avait-elle pu le changer aussi ? 

Nous avons tous nos réflexes conditionnés. Des mots, des noms qui nous font réagir. Parmi les miens, il y a « Prague ». Quand je l’entends, j’ai tendance à foncer, surtout s’il est aussi question d’amants. Et puis, Prague, c’est Kafka, qui a un peu tendance à me poursuivre en ce moment…

Peu après la Révolution de Velours, Carla rejoint à Prague son amant Peter, qui dès la chute du régime communiste est revenu s’installer dans sa ville, après vingt ans d’exil. Mais entre les deux, la relation n’est pas des plus simples…

Ici, l’amour est un combat, une guerre, et le texte n’est pas exempt d’une certaine violence, car il creuse les oppositions les plus intimes. On ne peut pas imaginer êtres plus différents que Carla et Peter : exubérante, démonstrative, la jeune femme s’agace bien souvent de la passivité et de la distance de l’homme qu’elle aime, et il y a effectivement de quoi s’agacer, et d’ailleurs jusqu’à la fin du roman le personnage de Peter demeurera assez incompréhensible. Là est d’ailleurs le motif central : l’incompréhension entre les êtres qui s’aiment, et l’irréductible altérité de l’autre, qui ici est renforcée par la question de l’exil et de l’identité. Car fondamentalement, le problème de Peter, c’est qu’il ne sait pas bien finalement quel est son pays, et il se sent un peu étranger partout, alors même qu’il aime passionnément sa ville, qui fonctionne ici comme un troisième personnage et presque une rivale de Carla. « Amant de Prague » est un titre polysémique : l’amant qui vit à Prague, celui qui aime Prague. Et il y a de quoi aimer Prague, ville d’écrivain par excellence, et Peter est écrivain, ce qui tendrait d’ailleurs un peu à expliquer son rapport un peu étrange au monde et aux autres. De déambulation en errance, la ville se déploie, prend corps, et fait bien sûr émerger la figure de Kafka, dont le fantôme plane sur tout le roman…

Un texte assez déconcertant, où l’amour est à la fois fusion et affrontement violent, à découvrir !

L’Amant de Prague
Monique AYOUN
La Grande Ourse, 2015

 

Le Kabbaliste de Prague, de Marek Halter

kabbaliste de PragueJe m’appelle David Gans. Je suis né à Lippstadt, en Wesphalie, en l’an 1541 du calendrier chrétien, soit l’an 5301 après la création du monde par le Tout-Puissant, béni soit-Il. Je suis mort à Prague, soixante-douze ans plus tard. Une pierre porte mon nom dans le vieux cimetière juif. Y est gravée une oie au-dessus des six branches du bouclier de David.

J’avais acheté ce roman avant de partir à Prague, histoire de me mettre dans l’ambiance, mais je n’avais finalement pas eu le temps de m’y plonger. Du coup, je l’ai lu après, histoire de retrouver l’ambiance de la capitale de la Bohême, et notamment du vieux quartier juif, le Josefov, où se déroule une grande partie du roman, et qui est encore marqué par un des mythes juifs les plus importants : le Golem, dont ce roman est une réécriture.

Le Golem ( en hébreu : גולם signifiant « embryon », « informe » ou « inachevé ») est un être artificiel fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre façonné afin d’assister ou défendre son créateur. Selon une légende d’Europe centrale reprise dans le roman, il aurait été créé par le Rabin Loew, dit le Maharal de Prague, afin de protéger les juifs du ghetto contre les persécutions des chrétiens.

Mais en fait, cette légende n’est pas tout à fait l’objet essentiel de ce roman, car la naissance de Golem lui-même et son histoire n’interviennent que dans les cent dernières pages : l’essentiel, ici, à travers la voix d’un narrateur mort depuis des centaines d’années, est de remonter dans le temps jusqu’aux événements qui ont rendu la création de Golem nécessaire.

J’ai finalement bien fait d’attendre mon retour de Prague pour me plonger dans cette histoire : ce fut un plaisir pour moi de retrouver cette ville et de me balader à nouveau en pensée dans les lieux qui m’ont marquée : la vieille synagogue, les rues du ghetto juif qui ne s’appelait pas encore Josefov, Mala Strana, les bords de la Vlata… mais évidemment, ce n’est pas le seul intérêt de ce roman : grâce au talent de conteur de Marek Halter, qui fait encore une fois merveille, on est plongé dans une époque faite de mysticisme et de recherche de ce qui est caché, à travers la Kabbale, et de fanatisme religieux dont les juifs sont, encore une fois, les victimes : en cela le récit, très moderne, est presque une fable, dont émane une grande sagesse, et un appel à la tolérance : finalement, les choses n’ont guère changé depuis cinq siècles ; les hommes ont accumulé pensées et savoir, on pourrait croire que si on ne brûle plus les scientifiques dont les conclusions contredisent le discours religieux c’est que le fanatisme n’existe plus, et pourtant, de manière totalement irraisonnée, les Juifs sont encore accusés de tous les maux, et auraient parfois besoin d’un Golem pour les protéger.

Réflexion sur les pouvoirs incommensurables du Verbe, ce roman est une vraie réussite, que ce soit sur le plan narratif (on est captivé par l’histoire) que spirituel. A lire absolument !

Le Kabbaliste de Prague
Marek HALTER
Robert Laffont, 2010 (J’ai Lu, 2011)

Praga Magica #6 : By night

Afin de clore en beauté notre petite parenthèse pragoise, je vous propose une petite croisière nocturne sur la Vlata, afin d’admirer les merveilles de la ville illuminées. Un moment qui ne vole pas son qualificatif de magique, d’autant que nous avions le bateau pour nous tous seuls et que nous pouvions passer d’un côté et de l’autre pour prendre toutes les photos que nous voulions. Nous avons ensuite fait une petite promenade dans la ville même, à pieds, repassant par les endroits les plus marquants.

Bon, je ne suis pas excessivement fière de mes photos, qui sont un peu trop sombres, mais sans pied, ce n’était pas facile facile.

Bon et puis comme j’ai aussi fait un peu de vidéo (avec mon i.phone, d’où le format bizarre) j’ai fait un montage en intégrant quelques unes des photos sus-visibles. Sur une musique de Era, malgré les moqueries de certaines personnes, parce que je trouve que ça matche parfaitement…

Praga Magica #5 : ville d’art et de littérature

Reprenons notre excursion là où nous l’avions laissée la semaine dernière et abordons une charmante rue : la rue Jan Neruda, un écrivain et poète tchèque qui a inspiré son pseudonyme  au prix Nobel de littérature en 1971, le Chilien Pablo Neruda. L’intérêt de cette rue, outre qu’elle a vu naître notre homme, est qu’elle a gardé les enseignes typiques au dessus des porches, et que c’est un ravissement à photographier.

Descendons maintenant vers le musée Kafka. Il n’y a pas de photos, car nous l’avons visité le deuxième jour et qu’à ce moment je respectais encore les interdictions ; en même temps, le lieu est très sombre, et ça n’aurait sans doute rien donné. Un mot tout de même : je ne suis pas un grande fan de Kafka et de son univers anxiogène, mais de ce côté là, le musée est particulièrement réussi tant il est oppressant. La scénographie est d’ailleurs particulièrement admirable et originale, en plus d’être instructive.

Du reste, Kafka est partout présent dans la ville, et nous le croisons par exemple à proximité de la synagogue espagnole, dans le Josefov :

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Passons faire un petit tour devant le théâtre des Etats, intéressant parce que c’est là qu’eut lieu la première de Don Giovanni, le 29 octobre 1787, et que Milos Forman y a tourné les scènes relatives d’Amadeus. En témoigne une statue, intitulée « Le Commandeur », et qui personnellement me fait plutôt penser au spectre. Malheureusement nous ne sommes pas entrés à l’intérieur.

Par contre, nous avons visité le théâtre national, et là, j’avoue, je n’ai pas de mots pour décrire la beauté, la magnificence, la majesté de ce lieu absolument magique. Un rêve ? Y voir une représentation (il faudra donc que je revienne un jour à Prague).

Enfin, comment ne pas parler de l’Art Nouveau, puisque Prague est une des villes européennes qui comptent le plus de réalisations de ce style. On pense à Mucha, évidemment, qui a réalisé un des vitraux de la cathédrale mais a aussi participé à la décoration de la Maison municipale. Mais tant d’autres choses aussi, au gré des promenades…

Et voilà… la semaine prochaine, nous terminerons notre carnet de route pragois avec une petite croisière nocturne sur la Vlata…

Praga Magica #4 : Hradčany

Poursuivons notre balade pragoise, avec le quartier de Hradčany, qui domine toute la ville.

Tout d’abord, le château lui-même où les rois tchèques, les empereurs du Saint-Empire romain germanique, les présidents de la Tchécoslovaquie, puis de la République tchèque, siègent ou ont siégé. Les joyaux de la couronne de Bohême y sont conservés (mais on ne peut voir que des répliques affreusement mal faites).

Dans l’enceinte du château se trouve également la Cathédrale de Prague, excellent exemple d’architecture gothique et qui est la plus grande et plus importante église du pays : la cathédrale Saint Guy, de son nom complet cathédrale Saint Guy, Saint Venceslas et Saint-Adalbert. Cathédrale qui, à côté de Saint Nicolas, pourrait presque passer pour sobre, n’était le tombeau tout en argent de saint Jean Népomucène. Outre ce tombeau, la cathédrale regorge de trésors : la chapelle funéraire Saint-Venceslas, la crypte funéraire des rois de Bohême qui contient les tombeaux de Charles IV, Venceslas IV, Rodolphe II, les vitraux dont celui de la Légende de Cyrille-et-Méthode par Alfons Mucha (dont nous reparlerons), et bien d’autres choses encore.

Prenons maintenant le chemin de la ruelle d’or. En passant, nous trouvons la basilique saint Georges, une des plus anciennes églises pragoises, d’une grande sobriété malgré sa façade baroque, et le couvent attenant.

Et puis, nous arrivons à la fameuse ruelle d’or. Très touristique (d’où la difficulté pour faire des photos d’ensemble : elle est noire de monde), elle dégage un parfum de mythe et de légende : on dit que, pendant le règne de Rodolphe II, les alchimistes de Prague avaient leurs ateliers dans la Ruelle d’or. Selon les vœux de l’empereur, ils y cherchaient un moyen de fabriquer de l’or artificiel, ce qui aurait donné son nom à la ruelle. L’atmosphère magique de l’endroit a attiré également les artistes bohèmes, comme Franz Kafka qui habita au numéro 22 de novembre 1916 à août 1917, dans un appartement loué par sa sœur. Aujourd’hui, la plupart des maisons est occupée par des magasins et des galeries. C’est vraiment un lieu que j’ai particulièrement aimé pas seulement pour son caractère ésotérique : ces petites maisons de poupées toutes colorées sont un enchantement.

Enfin, nous aboutissons aux jardins, qui ont cet avantage d’offrir une vue imprenable sur la ville.

La semaine prochaine, nous emprunterons Nerudova, croiserons Kafka et Mucha au gré d’une visite de la Prague littéraire et artistique…

My April 2014

En mots…

Avril, le mois ou on ne doit pas se découvrir (même d’un fil) mais où on le fait quand même… // Blossoms // Jet Lag. Je ne me ferai jamais au passage à l’heure d’été. Tout le monde pense que je suis venue travailler après avoir fait la fête toute la nuit. Me poser des questions sur ma réputation // Cloudy and rainy // Check-list. Courses, lessive, valise. Coiffeur. Ne rien oublier. Appareil photo, de quoi écrire, de quoi rester connectée, de quoi rêver // Gotta get away // De longues heures de bus vite oubliées devant la beauté à couper le souffle de la ville. Praga Magica. Une parenthèse hors de l’espace et du temps, une semaine magnifique à arpenter la capitale ésotérique de l’Europe, ses vieux quartiers aux styles baroque, roman, gothique ou Art Nouveau, ses églises et ses synagogues, ses musées, ses rues où chaque bâtisse est une véritable oeuvre d’art. Une ville inspirante, il n’y a rien d’autre à dire // Difficile de sortir de ma bulle et de revenir à la réalité. Heureusement, il y a Eluard et Man Ray // Un personnage qui me donne du fil à retordre // Un précieux carnet Moleskine qui ne peut que m’inciter à écrire… // Un bureau qui ne ressemble plus à rien, et qui doit impérativement être rangé. Entre archéologie et stratigraphie // Ressortir les espadrilles que j’aime tant et qui sentent l’été qui revient // Du temps à moi // I am nothing but literature // Paris, ma belle. Un petit déjeuner avec un auteur fascinant, Marek Halter, et quelques blogueuses. Un vernissage presse au palais de Tokyo. Une balade dans le triangle d’or. Descendre les Champs et m’arrêter prendre un café au Fouquet’s. Y écrire quelques lignes. Mapplethorpe // bloganniversaire. Quatre ans // Sur la route // A few days in the country // Une soirée de filles // Un peu de shopping // Du côté de chez Proust //  Un burger au foie gras // Home, sweet home // Mon chouchou qui m’attend dans ma boîte aux lettres. Plonger en apnée…

Moi, après mois - Au milieu des livres...Sur une idée de Moka

En images…

April14