Good Night, and Good Luck, de George Clooney

54121Dans les années 1950, le sénateur Joseph McCarthy s’est mis en tête de traquer les communistes. Edward R. Murrow, le présentateur de l’émission politique See It Now sur CBS, qui avant de conclure son émission lance aux téléspectateurs « Good night, and good luck », et le producteur Fred Friendly contribuèrent à sa chute et à la fin de cette chasse aux sorcières. Comment ? C’est le propos de ce film.

Ce film est arrivé à moi totalement par hasard, et je n’en attendais rien de spécial à part pouvoir reluquer pendant 1h30 George Clooney et accessoirement Robert Downey Jr. Ce que j’ai fait (il ne faut pas croire), mais il eut été dommage de m’arrêter là : encensé par la critique, ce film est véritablement un chef d’oeuvre. La narration est parfaitement maîtrisée par un Clooney aussi bon scénariste et réalisateur qu’acteur, et les choix esthétiques, que ce soit le noir et blanc (qui permet d’intégrer le plus naturellement du monde et de façon saisissante des images d’archives), l’usage immodéré de la fumée de cigarette comme marqueur d’ambiance ou l’aspect huis-clos, permettent aux spectateurs de plonger au coeur d’une époque marquée par la peur et la violence : comment en effet ne pas être terrifié par cette chasse aux sorcières qui peut s’abattre sur n’importe qui à n’importe quel moment ? McCarthy fait un méchant aussi impressionnant qu’Al Capone. Voire.

Mais le grand intérêt du film, c’est évidemment la réflexion qu’il propose, à la fois sur la liberté d’expression et sur le rôle des médias dans la société, ici la télévision, une télévision des Lumières qui, parce qu’elle est le support ayant le plus fort taux de pénétration dans les foyers, est l’instrument de la libération, «instrument d’enseignement» comme dit Murrow. Lorsque commence le film, elle ne l’est plus d’ailleurs, et Murrow, mis au placard depuis les événements, ne manque pas de le signaler dans une diatribe sévère contre la télévision, qui «  nous divertit, nous trompe, nous appauvrit et nous isole ». L’ensemble du film est donc un flash-back, qui a valeur d’apologue. Le vrai journaliste est celui qui est capable de montrer le vrai et de démonter la manipulation. Murrow orchestre son attaque contre McCarthy à partir des seules bandes tournées au Comité des activité anti-américaines. Pas de témoignages secrets, d’écoutes téléphoniques, de filatures rocambolesques. Juste des yeux, la capacité à voir, et la capacité à montrer.

Evidemment, tout cela n’est pas gratuit : les années 50 ont beau être à la mode, il ne s’agit pas de surfer sur la vague d’un film historique. Ou plutôt si, mais parce que l’histoire a un peu tendance à se répéter. Apologue, avons nous dit. Et bien, contextualisons : 2005, Bush, le Patriot Act… oh, mais comme tout cela a comme un drôle d’air de déjà vu. C’est donc, bien sûr, un film engagé, ce qui n’est guère étonnant venant d’un Clooney démocrate convaincu, en lutte contre l’obscurantisme et la bêtise. Et c’est fait avec talent, donc que demander de plus !

Good Night, and Good Luck
George CLOONEY
Etats-Unis, 2005

La presse dans tous ses états (j’erre)

Non, je ne vais pas vous parler de la saga « Amour, Gloire et Elysée ». D’abord, ce n’est pas mon genre de cancaner (ahemmm) et puis, il est indiqué dans le titre qu’on va parler de « presse », or ce que font les magazines dits « people », ce n’est pas du journalisme, c’est du commérage. Dont acte.

Remarquez, ils ne sont pas les seuls. Prenez la République du centre. Bon, vous me direz que la presse régionale, ce n’est pas non plus de hauts sommets journalistiques. Et vous aurez raison, c’est justement ce que j’allais dire. Vous connaissez peut-être le dernier truc qui tourne sur Facebook, à base de statuts indiquant des déménagements soudains à l’autre bout de la planète (je ne sais pas trop ce dont il retournait exactement, comme je ne joue jamais on ne m’envoie plus les codes) ? Et bien il se trouve qu’une des adjointes au maire d’Orléans a joué au truc. Mais à la Rep voyez, ils ont dû zapper la ligne « un journaliste digne de ce nom vérifie ses sources » de la Charte de Munich, et faisant fi du code de déontologie de leur belle profession, ni une ni deux ont pondu une brève dans l’édition de mercredi (qui traîne en salle des profs) :

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Alors moi je dis, si les statuts facebook font désormais office de source d’information fiable pour les journalistes, vu les conneries qu’on écrit parfois, on n’est pas rendu. Et dire que si ça se trouve, ces gens-là ont une carte de presse…

Enfin bref, tout ça pour vous annoncer la 3ème édition des Médiatiques  qui aura lieu du 3 au 7 février, sur le thème ô combien d’actualités des liaisons dangereuses entre presse et médias. Un très beau programme (avec notamment la participation d’Edwy Plenel), que vous pouvez trouver ici. On remarquera une conférence « Peopolisation, gestion de la vie privée et spectacularisation de la vie politique » qui ne pouvait pas mieux tomber !

Affiche Les Médiatiques

Une vie de petits-fours, de Sébastien Marnier

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Ce soir, les femmes sont de sortie. Elles ont de l’esprit, une certaine éducation, une personnalité bien affirmée ; pourtant, lorsqu’elles sont au bras de leur époux, elles s’effacent. Elles sourient, elles gloussent et se glissent dans les habits d’une desperate housewife de circonstance comme des actrices en représentation. Sur scène, elles s’évaporent et deviennent de simples élégantes quand, en coulisse, elles font tourner le barnum. Les plus jeunes sont souvent davantage diplômées que leur mari. C’est un jeu de dupes auquel elles s’adonnent avec une certaine jubilation mais, sous les bas couture, l’esprit d’entreprise et de compétitivité se propage comme un poison vénéneux sur la première main baladeuse. Derrière les sourires, leur vie s’écrit comme un roman.

Un soir d’élections municipales, dans une ville où il ne se passe rien, tenue depuis des lustres par la vieille droite bourgeoise, catholique et clientéliste. Le narrateur, « jeune freluquet sans étiquette », espère bien jouer les troubles fête, doté du sésame légué par sa grand-mère…

Totus mundus agit histrionem, écrivait Pétrone, et sur ce motif du théâtre du monde Sébastien Marnier fait la satire de la vie politique dans une petite ville de province comme il y en a tant, gangrenée par l’entre-soi, l’immobilisme et l’argent, devenue un cirque médiatique  où tout se joue en coulisses, dans les soirées où l’on se gave de petits fours. Le narrateur, à la fois cynique et utopique, espère bien changer les choses. Oh, il n’est pas angélique, et si on peut le taxer de cynisme, c’est parce que finalement il n’est a priori guère plus honnête que son rival : il porte une alliance pour masquer son homosexualité, et se sert de renseignements qu’il ne devrait pas posséder pour dire aux gens, potentiels électeurs, ce qu’ils ont envie d’entendre sur les sujets qui les touchent. Mais en même temps, il est sincère, et s’il agit ainsi c’est parce que la fin, le changement, justifie les moyens, et porteur d’un véritable projet (j’adhère à l’idée de rendre obligatoire au lycée les cours de sémiologie des médias et de décryptage des images), il est peut-être celui qui permettra un vrai changement.

Ce texte très court, dans la nouvelle collection « Plein Feu » de Jean-Claude Lattès, est donc parfaitement réussi : clair et bien mené, totalement maîtrisé, il invite à réfléchir sur un sujet ô combien essentiel !

Une vie de petits-fours
Sébastien MARNIER
Lattès, 2013

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By Hérisson