Car la littérature n’est pas séparée de la vie. Elle n’est pas réservée à quelques moments de loisirs qu’elle meublerait confortablement. La littérature éclaire chacune des situations que nous rencontrons. Elle nomme notre expérience. Elle donne de la substance à nos existences. Mais les livres, bien sûr, ne sont pas seulement des guides de vie. Ils nous mènent sur des chemins qu’on ne connaissait pas. Ils ouvrent des horizons que nous ne soupçonnions pas. La littérature nous rend disponibles à l’émotion du monde.
Bien. Cela ne vous aura pas échappé, même si vous vivez à l’étranger voire dans une grotte, Emmanuel Macron est notre nouveau Président, certes élu beaucoup par défaut, mais pas seulement, contrairement à ce qu’insinuent certains mauvais perdants. Ce livre, je n’avais au départ pas du tout l’intention d’en parler, je l’ai lu pour moi, mais finalement, à force d’entendre beaucoup d’âneries et de désinformation, je me suis dit que j’allais tout de même le faire, parce qu’il a été important dans mon propre cheminement. A l’époque où je savais pour qui je ne voterais pas, mais que je m’interrogeais sur les rescapés de mon système personnel de choix par élimination. Rescapés au demeurant très peu nombreux.
Il y a pléthore d’ouvrages sur EM, et quelque chose me dit que ça ne va pas aller en s’arrangeant. Donc pourquoi celui-là ? Tout simplement parce que j’ai confiance dans le regard critique de l’équipe du 1, et d’ailleurs on est loin ici de l’hagiographie. Deuxième raison : il s’intéresse au projet plus qu’à sa mise en oeuvre par programme. Or le programme ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
L’ouvrage est constitué de plusieurs articles : deux entretiens parus dans le 1, l’un sur la philosophie politique et l’autre sur la nécessité de réconciliation (les deux datant d’avant sa candidature à l’élection) ; deux éloges écrits par Emmanuel Macron, celui de Michel Rocard et celui d’Henry Hermand ; un entretien inédit datant du 3 février sur les livres et la culture ; une analyse de deux discours de Macron par Eric Fottorino ; enfin, trois regards croisés sur EM, celui de Marc Lambron, celui de Natacha Polony (très critique), et celui de Vincent Martigny.
Cela doit être mon côté élitiste, mais personnellement j’aime bien qu’on s’adresse à mon intellect, et qu’on hausse le niveau du débat au-dessus de la dimension pragmatique, pour aller dans la théorie (je ne suis pas pragmatique, comme fille). Alors je sais, un jour j’irai vivre en théorie, parce qu’en théorie, tout se passe bien. Et qu’on ne peut pas se contenter de la théorie, il faut la ramener au réel. N’empêche : on ne peut nier qu’il y a ici une vraie vision, appuyée sur une réflexion philosophique et politique parfois complexe, mais cohérente, avec laquelle on peut ne pas être d’accord, mais dont on ne peut nier l’existence sans mauvaise foi. Une idéologie au sens noble : une construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant un sens, et qui donne ainsi une direction à votre action. C’est un travail de formalisation du réel. Il s’agit donc, avant tout, de penser la politique. Ce qui est, somme toute, de plus en plus rare, les politiques ayant tendance à jouer sur la persuasion, l’appel aux affect et aux instincts, plus que sur la conviction, l’appel à la raison.
Du coup, cela donne quoi, plus précisément ? Une métaphore m’a particulièrement parlé : Moi je cours moins vite le cent mètres qu’Usain Bolt, mais ce n’est pas parce qu’on va ralentir Usain Bolt que je serai plus heureux. Et c’est exactement ça, l’idée qui sous-tend tout l’édifice : une société où les individus sont libérés de tout ce qui les fige et les maintient prisonniers afin de leur permettre d’évoluer, d’entreprendre, de construire des projets, d’être mobiles et non prisonniers d’une case. Chacun doit avoir les mêmes chances au départ de faire ce qu’il veut de sa vie, mais chacun fait ensuite ce qu’il veut (ou peut) de ces chances. Cela s’appelle le libéralisme égalitaire (rappelons au passage que « libéralisme » vient de liber, « homme libre »).
Evidemment, outre les leviers économiques, ce projet accorde une place de choix à l’éducation et à la culture, qui nous élève, par exemple avec la mise en place d’un pass culturel de 500€ pour tous les jeunes. Et d’autres choses encore.
Alors après on peut ergoter, et on ergotera (moi y compris : j’adhère à 100% à l’idéologie du projet, certains points pour le mettre en oeuvre me laissent plus sceptique). Pour ma part, évidemment, cette vision du monde correspond à la mienne : je suis un pur produit de l’école républicaine, la bonne élève typique qui n’est pas issue d’un milieu de notables mais qui, grâce à son travail et ses sacrifices, a aujourd’hui des revenus satisfaisants (et je refuse de culpabiliser pour ça). Et je suis convaincue que j’aurais pu aller plus haut, si je n’avais pas parfois été tirée vers le bas : j’ai souvent l’impression que la société aujourd’hui tend à fonctionner comme un lit de Procuste à sens unique, couper un bout de ceux qui dépassent au nom de l’égalitarisme*. C’est ce que je vois finalement tous les jours dans mon boulot de prof, où j’en ai plus que marre de toujours devoir sacrifier les bons élèves, les sérieux, ceux qui écoutent et travaillent, au profit de ceux qui freinent des quatre fers parce que travailler c’est trop pénible, ou tout simplement qui ne peuvent pas suivre**. Une des raisons pour lesquelles cela me fatigue, mais, CQFD, dans ce pays, quand on est dans une case, il est très difficile d’en sortir, d’évoluer, de changer de voie. C’est pour cela que j’appelle de mes vœux cette société de la mobilité !
* C’est d’ailleurs pareil quand Macron lui-même s’exprime : souvent on l’accuse d’élitisme parce qu’il utilise des termes (palinodie !) ou des notions compliquées, parle de gens que tout le monde ne connaît pas (Ricoeur). Sous prétexte que tout le monde ne maîtrise pas ces références, il ne devrait pas les utiliser : ben si, zut, moi ça m’intéresse, moi je comprends, et je ne vois pas pourquoi je devrais être sacrifiée sur l’autel de la simplification de la pensée. Bref.
** Alors attention de ne pas caricaturer, je ne dis pas qu’il faut faire l’inverse. Néanmoins aujourd’hui, je vois des élèves issus de milieux modestes qui seraient capables de très belles réussites, mais qui sont freinés dans leur élan, parce qu’on ne peut pas assez les pousser et les porter. Or la justice, ce n’est pas de donner la même chose à tout le monde, c’est de donner à chacun selon ses besoins, certains ont besoin de plus, d’autres de moins. Prenons une métaphore alimentaire : je ne suis pas une grosse mangeuse, 3 toasts ça peut faire mon repas ; le grand gars de 2m et 100 kg, ça va juste lui caler une dent. La justice, ce n’est donc pas de donner 3 toasts à tout le monde !
Macron par Macron
Le 1/ Editions de l’Aube, 2017
NB : les commentaires ne sont pas un ring de boxe. Par conséquent, si je tolère la contradiction, en revanche je ne tolérerai pas les insultes, qui seront sauvagement censurées ! Et puis inutile de me traiter d’élitiste : je l’assume pleinement, pour les raisons évoquées plus haut !