Macron par Macron

A votéCar la littérature n’est pas séparée de la vie. Elle n’est pas réservée à quelques moments de loisirs qu’elle meublerait confortablement. La littérature éclaire chacune des situations que nous rencontrons. Elle nomme notre expérience. Elle donne de la substance à nos existences. Mais les livres, bien sûr, ne sont pas seulement des guides de vie. Ils nous mènent sur des chemins qu’on ne connaissait pas. Ils ouvrent des horizons que nous ne soupçonnions pas. La littérature nous rend disponibles à l’émotion du monde.

Bien. Cela ne vous aura pas échappé, même si vous vivez à l’étranger voire dans une grotte, Emmanuel Macron est notre nouveau Président, certes élu beaucoup par défaut, mais pas seulement, contrairement à ce qu’insinuent certains mauvais perdants. Ce livre, je n’avais au départ pas du tout l’intention d’en parler, je l’ai lu pour moi, mais finalement, à force d’entendre beaucoup d’âneries et de désinformation, je me suis dit que j’allais tout de même le faire, parce qu’il a été important dans mon propre cheminement. A l’époque où je savais pour qui je ne voterais pas, mais que je m’interrogeais sur les rescapés de mon système personnel de choix par élimination. Rescapés au demeurant très peu nombreux.

Il y a pléthore d’ouvrages sur EM, et quelque chose me dit que ça ne va pas aller en s’arrangeant. Donc pourquoi celui-là ? Tout simplement parce que j’ai confiance dans le regard critique de l’équipe du 1, et d’ailleurs on est loin ici de l’hagiographie. Deuxième raison : il s’intéresse au projet plus qu’à sa mise en oeuvre par programme. Or le programme ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

L’ouvrage est constitué de plusieurs articles : deux entretiens parus dans le 1, l’un sur la philosophie politique et l’autre sur la nécessité de réconciliation (les deux datant d’avant sa candidature à l’élection) ; deux éloges écrits par Emmanuel Macron, celui de Michel Rocard et celui d’Henry Hermand ; un entretien inédit datant du 3 février sur les livres et la culture ; une analyse de deux discours de Macron par Eric Fottorino ; enfin, trois regards croisés sur EM, celui de Marc Lambron, celui de Natacha Polony (très critique), et celui de Vincent Martigny.

Cela doit être mon côté élitiste, mais personnellement j’aime bien qu’on s’adresse à mon intellect, et qu’on hausse le niveau du débat au-dessus de la dimension pragmatique, pour aller dans la théorie (je ne suis pas pragmatique, comme fille). Alors je sais, un jour j’irai vivre en théorie, parce qu’en théorie, tout se passe bien. Et qu’on ne peut pas se contenter de la théorie, il faut la ramener au réel. N’empêche : on ne peut nier qu’il y a ici une vraie vision, appuyée sur une réflexion philosophique et politique parfois complexe, mais cohérente, avec laquelle on peut ne pas être d’accord, mais dont on ne peut nier l’existence sans mauvaise foi. Une idéologie au sens noble : une construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant un sens, et qui donne ainsi une direction à votre action. C’est un travail de formalisation du réel. Il s’agit donc, avant tout, de penser la politique. Ce qui est, somme toute, de plus en plus rare, les politiques ayant tendance à jouer sur la persuasion, l’appel aux affect et aux instincts, plus que sur la conviction, l’appel à la raison.

Du coup, cela donne quoi, plus précisément ? Une métaphore m’a particulièrement parlé : Moi je cours moins vite le cent mètres qu’Usain Bolt, mais ce n’est pas parce qu’on va ralentir Usain Bolt que je serai plus heureux. Et c’est exactement ça, l’idée qui sous-tend tout l’édifice : une société où les individus sont libérés de tout ce qui les fige et les maintient prisonniers afin de leur permettre d’évoluer, d’entreprendre, de construire des projets, d’être mobiles et non prisonniers d’une case. Chacun doit avoir les mêmes chances au départ de faire ce qu’il veut de sa vie, mais chacun fait ensuite ce qu’il veut (ou peut) de ces chances. Cela s’appelle le libéralisme égalitaire (rappelons au passage que « libéralisme » vient de liber, « homme libre »).

Evidemment, outre les leviers économiques, ce projet accorde une place de choix à l’éducation et à la culture, qui nous élève, par exemple avec la mise en place d’un pass culturel de 500€ pour tous les jeunes. Et d’autres choses encore.

Alors après on peut ergoter, et on ergotera (moi y compris : j’adhère à 100% à l’idéologie du projet, certains points pour le mettre en oeuvre me laissent plus sceptique). Pour ma part, évidemment, cette vision du monde correspond à la mienne : je suis un pur produit de l’école républicaine, la bonne élève typique qui n’est pas issue d’un milieu de notables mais qui, grâce à son travail et ses sacrifices, a aujourd’hui des revenus satisfaisants (et je refuse de culpabiliser pour ça). Et je suis convaincue que j’aurais pu aller plus haut, si je n’avais pas parfois été tirée vers le bas : j’ai souvent l’impression que la société aujourd’hui tend à fonctionner comme un lit de Procuste à sens unique, couper un bout de ceux qui dépassent au nom de l’égalitarisme*. C’est ce que je vois finalement tous les jours dans mon boulot de prof, où j’en ai plus que marre de toujours devoir sacrifier les bons élèves, les sérieux, ceux qui écoutent et travaillent, au profit de ceux qui freinent des quatre fers parce que travailler c’est trop pénible, ou tout simplement qui ne peuvent pas suivre**. Une des raisons pour lesquelles cela me fatigue, mais, CQFD, dans ce pays, quand on est dans une case, il est très difficile d’en sortir, d’évoluer, de changer de voie. C’est pour cela que j’appelle de mes vœux cette société de la mobilité !

* C’est d’ailleurs pareil quand Macron lui-même s’exprime : souvent on l’accuse d’élitisme parce qu’il utilise des termes (palinodie !) ou des notions compliquées, parle de gens que tout le monde ne connaît pas (Ricoeur). Sous prétexte que tout le monde ne maîtrise pas ces références, il ne devrait pas les utiliser : ben si, zut, moi ça m’intéresse, moi je comprends, et je ne vois pas pourquoi je devrais être sacrifiée sur l’autel de la simplification de la pensée. Bref.

** Alors attention de ne pas caricaturer, je ne dis pas qu’il faut faire l’inverse. Néanmoins aujourd’hui, je vois des élèves issus de milieux modestes qui seraient capables de très belles réussites, mais qui sont freinés dans leur élan, parce qu’on ne peut pas assez les pousser et les porter. Or la justice, ce n’est pas de donner la même chose à tout le monde, c’est de donner à chacun selon ses besoins, certains ont besoin de plus, d’autres de moins. Prenons une métaphore alimentaire : je ne suis pas une grosse mangeuse, 3 toasts ça peut faire mon repas ; le grand gars de 2m et 100 kg, ça va juste lui caler une dent. La justice, ce n’est donc pas de donner 3 toasts à tout le monde !

Macron par Macron
Le 1/ Editions de l’Aube, 2017

NB : les commentaires ne sont pas un ring de boxe. Par conséquent, si je tolère la contradiction, en revanche je ne tolérerai pas les insultes, qui seront sauvagement censurées ! Et puis inutile de me traiter d’élitiste : je l’assume pleinement, pour les raisons évoquées plus haut !

Les Medicis, maîtres de Florence de Frank Spotnitz et Nicholas Meyer

Les MedicisAll men are capable of murder, under certain circumstances.

Une série sur laquelle je suis tombée par hasard, et qui contient les ingrédients de mon cocktail préféré : argent, pouvoir, politique, complots, trahisons, sexe (encore que finalement assez peu).

Florence, 1429. Giovanni de Medicis vient de mourir empoisonné. Pour ses fils, Cosimo et Lorenzo, la question se pose : faut-il réclamer justice, ou maintenir coûte que coûte les apparences ? De fait, la situation est compliquée, la famille est en pleine ascension, ce qui suscite bien sûr des jalousies.

Pour être honnête, j’ai mis du temps à entrer dans l’histoire. Deux épisodes. Alors qu’à la fin de la saison 1 j’en aurais facilement regardé 20 de plus tant j’étais ferrée. Il faut dire que tout, ici, est somptueux : les décors, les costumes, la reconstitution de l’époque. Quant à l’histoire, c’est un House of cards version renaissance italienne, qui mêle deux temporalités, celle de la jeunesse de Cosimo et celle du présent ou d’artiste il devient de plus en plus machiavélique. Pourtant, aussi fascinants que soient les Medicis, ce ne sont pas les personnages qui m’ont semblé le plus intéressants, mais deux « seconds » rôles totalement époustouflants : Contessina d’abord, l’épouse de Cosimo, qui non contente d’être d’une beauté absolue est une femme de tête dans une société patriarcale ; et puis Marco Bello, l’homme de main de Cosimo, pour lequel j’avoue un crush coupable (d’autant plus étonnant que j’ai plutôt tendance à préférer les aristocrates, d’habitude), qui incarne une loyauté et une honnêteté absolue malgré les circonstances.

La série a néanmoins un gros défaut : elle donne envie de sauter dans un avion pour Florence. Ah, voir le Duomo dont la construction est un des fils rouges de cette première saison, quoi de mieux ?

Les Medicis, maîtres de Florence
Frank SPOTNITZ et Nicholas MEYER
2016 (en cours de production)

La plus folle de nous deux, d’Hélène Risser

La plus folle de nous deux d'Hélène RisserBon courage, me dit-elle, l’air soudain mystérieux. Je ne peux pas tout te dire, mais elle est totalement folle. Ils ont tous un problème, un traumatisme enfoui. A tous, la politique sert en fait de thérapie. Si les gens savaient ça, ils seraient horrifiés. La politique n’est pas et n’a jamais été entreprise pour les autres, ni pour changer le monde, comme ils le prétendent tous. Elle est, dès le début, une béquille pour les fous, et ça, je ne suis pas sûre que tu l’écrives dans ce livre. 

J’avais beaucoup aimé Les Amants spéculatifs de la même auteure, et j’étais donc très curieuse de lire celui-ci, qui a un peu le même point de départ, une femme qui écrit un livre sur une autre femme, mais explore cette fois les liens entre la politique et les médias — et la folie.

Journaliste culturelle à l’origine d’un festival de cinéma, la narratrice tombe en fascination pour une jeune figure montante de la politique qui vient de se lancer dans la course aux primaires, et accepte le projet d’écrire un livre sur elle. Il faut dire qu’il y a de quoi être fasciné : belle, talentueuse, impertinente, séductrice, intelligente, Noémie Leblond semble tout réussir. Mais les sujets sur lesquels on choisit d’écrire ne sont pas innocents, et révèlent nos failles intimes en même temps qu’elles mettent au jour celles du sujet de l’enquête.

En ces temps plus que troublés d’élections à venir, le roman nous dévoile les arcanes de la politique : le désir de pouvoir, le désir de séduction. Se faisant analyste de ce pouvoir et de ceux qui l’exercent, de leur relation à leur image et aux médias, Hélène Risser montre comment ceux qui font de la politique le font sans doute, avant tout, pour combler leurs failles intimes. Mais ils ne sont pas les seuls : celui qui écrit le fait aussi. Les deux femmes se construisent en miroir, l’une qui observe, l’autre qui est observée, et leurs failles se répondent sur fond de folie, exprimée notamment avec le motif du zombie. Mais qu’est-ce que, finalement, la folie ? Faut-il être fou pour faire de la politique, ou est-ce la politique qui rend fou ?

Même si les analyses sont parfois un peu simplistes, on ne peut qu’être fasciné par ce roman parfaitement maîtrisé, tableau assez inquiétant et sombre du monde politique où chacun joue un rôle et où tous sont morts à l’intérieur. Evidemment, on cherchera à savoir s’il s’agit d’un roman à clés, on croira percevoir des indices, reconnaître tel ou telle, notamment peut-être Noémie Leblond. Pourtant, ce n’est pas important. D’ailleurs, l’auteure désamorce cette correspondance avec le réel, Jacques Chirac est « le défunt président » — du reste, là n’est pas l’essentiel.

La plus folle de nous deux
Hélène RISSER
Plon, 2017

Les Sorcières de la République, de Chloé Delaume

Les Sorcières de la République2017, la peur, la précarité, la colère. Le besoin d’avenir qui fait tout accepter, le storytelling qui acquiert un statut institutionnel. Les changements qui s’opèrent par pactes de lecture, la lassitude qui mène à la curiosité. La percée du Parti du Cercle et son ascension fulgurante. Réseau radicalement antiphallocratique, il se revendiquait d’Héra, exigeait que les pouvoirs fussent tous rendus aux femmes, et les sources de leur oppression enfin neutralisées. Le monothéisme en faisait partie. Le Parti du Cercle, pour certains : un remède à l’islamisation, efficace en périphérie. Une secte dite d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. Et dont la candidate a récolté sans peine les cinq cents signatures d’élus nécessaires à l’investiture.

J’avais noté ce roman depuis sa parution, vu le sujet, vous pensez bien : moi qui pense fermement que la sorcière est l’icône féministe ultime ! Mais je n’avais pas dû le noter assez gros, et il était un peu passé à la trappe. Mais l’autre jour, piqûre de rappel : Chloé Delaume est passée à la Grande Librairie, elle m’a enchantée, et dès le lendemain j’ai acheté le roman et l’ai commencé, attablée au Flore.

2017. Elisabeth Ambrose, du parti du Cercle, formation pagano-féministe, arrive au pouvoir, portée par l’espoir de changer la société, éradiquer le patriarcat et les monothéismes, et rendre leur pouvoir au femme. Mais trois ans plus tard, 98% des électeurs votent l’amnésie collective : toutes les archives sont détruites, et un sort d’oubli est jeté sur tout le monde. C’est le « grand blanc », qui cause de graves traumatismes. Alors, en 2062, le Président de la République décide qu’il est temps de savoir enfin ce qui s’est passé durant ces trois années. La Sibylle, arrêtée, doit répondre de ses actes au cours d’un grand procès…

Absolument fascinant et porté par une voix originale qu’on croirait véritablement être celle de la Sibylle, ce roman interroge notre société et ses ressorts, mais sur un mode mi-désinvolte mi-burlesque. Tout l’enjeu est de montrer comment une utopie, éminemment séduisante tout en restant assez fantaisiste dans les faits (Chloé Delaume fait preuve d’une inventivité assez folle) et grandement iconoclaste, peut se transformer en cauchemar. C’est un livre très politique, qui s’appuie sur une grande culture à la fois populaire et canonique, et grâce au dialogisme, pose des questions fondamentales : le rôle du monothéisme patriarcal dans l’oppression des femmes (ça ce n’est plus à prouver) mais aussi plus généralement dans la catastrophe à laquelle nous arrivons, mais aussi les différentes pensées féministes. Et c’est ce qui est le plus intéressant : le roman est féministe, mais un féminisme suffisamment ouvert pour que tout le monde s’y retrouve, les différents discours comme ceux ceux de Judith Butler sont mis en perspective, discutés, interrogés, débattus. Chloé Delaume met en scène les déesses de l’Olympe et chacune, finalement, incarne une manière d’être femme et d’être féministe, sans culpabilisation, et malgré ces différences elles parviennent à s’unir : c’est bien cela qui manque au féminisme actuel pour réussir politiquement et changer le monde. Bon, après ça tourne mal, mais la société qui sort de tout ça est dans un premier temps plus que séduisante. En tout cas, je vote pour !

Un roman très sérieux dans ses questionnements, mais en même temps follement drôle (les échanges d’emails entre Artémis et J.C ou encore les débats entre les déesses sont des moments d’anthologie) et même jouissif : je le conseille sans réserves. A tout le monde. Pour moi c’est un coup de coeur !

Le Nouveau Commencement, c’est maintenant !

Les Sorcières de la République
Chloé DELAUME
Seuil, 2016

challenge12016br10% Rentrée Littéraire 2016 – 39/60
By Lea et Herisson

Journal rêvé d’un président amoureux, de François H

journal rêvé d'un président amoureuxQuand ils se repaissent de ma vie privée, les journalistes anglo-saxons évoquent inlassablement ces « sacrés français » et les maîtresses de Louis XIV ou de Louis XV. Quelle erreur de jugement ! Ce n’est pas le passé que j’incarne, mais l’avenir. Oui, l’avenir d’une humanité dont la vie amoureuse, affranchie des carcans religieux et des contraintes familiales, étirée dans le temps grâce aux progrès de la médecine, sera fatalement plus libre ou, en tout cas, plus compliquée. 

Un jour d’octobre 2015, un petit éditeur reçoit par la Poste un manuscrit accompagné d’une lettre présentant un texte « un peu particulier » pour une « maison indépendante et discrète », écrit par un auteur qui tient farouchement à conserver son anonymat. Le projet a de quoi séduire : le journal d’un président, qui parle de politique à travers le filtre de l’amour…

Effet, François H est Président de la République. Un soir, désœuvré, il s’amuse avec un paquet de cartes, dont il tire les quatre dames, sur lesquelles se surimpose le visage des quatre femmes qui ont fait de lui l’homme qu’il est : Ségolène, Maria, Valérie et Julie. Il se met alors à écrire un journal dans lequel il raconte sa vie amoureuse et son rôle au sommet de l’Etat, sans bien savoir ce qu’il en fera.

Prenons d’abord ce texte comme un pur roman. C’est extrêmement savoureux, dans la manière dont l’auteur interroge les rapports entre l’énergie politique et l’énergie amoureuse, cet éros/pulsion de vie qui a, de tout temps, été intrinsèquement lié au pouvoir, et le texte montre, sur le « thème de la maîtresse royale », le rôle des femmes et leur ascendant, leur influence sur les hommes qui le détiennent. Le pouvoir est érotique, mais pourtant le narrateur n’est pas à strictement parler un libertin, contrairement à un certain Dominique : c’est un « amoureux pluriel », qui revendique la liberté amoureuse et en fait l’éloge ; les femmes comptent pour lui, il les aime, mais ne veut pas rester enfermé dans une relation lorsqu’il n’aime plus. Rien de plus normal, en somme. C’est donc un roman très tendre, et en même temps très satirique : ça dézingue à tout va sur fond de références nombreuses aux Tontons Flingueurs, et c’est, du coup, extrêmement drôle : certains ne sont vraiment pas épargnés.

Le problème (qui n’en est pas vraiment un, mais un peu tout de même), c’est la situation d’énonciation : qui a écrit ce roman ? On pourrait presque croire à certains moments que c’est véritablement François H., ou au moins l’un de ses proches ; en tout cas, probablement un auteur reconnu : c’est extrêmement bien écrit et témoigne d’une grande maîtrise de l’exercice littéraire, c’est souvent fin et tissé de références. Mais alors, dans quel but ? Le fait est que le texte analyse quelle pourrait être l’utilité politique d’une telle confession si elle était bien utilisée : cet effet de mise en abyme est assez troublant, dans la mesure où ce François H., comme personnage de roman, comme homme, est finalement assez attachant, et au final on eut avoir un peu l’impression de s’être fait balader voire manipuler…

A lire donc pour ses grandes qualités littéraires et son analyse de la comédie du pouvoir, tout en gardant à l’esprit que ce n’est pas complètement n’importe quel roman… Je m’étonne d’ailleurs, au passage, que la presse ne parle pas de ce qui constitue tout de même, à de nombreux égards, une réponse cinglante à Merci pour ce moment !

Journal rêvé d’un président amoureux
François H
Cent Mille Milliards, 2016

Le Bon Plaisir, de Françoise Giroud

Le bon plaisirMais il s’était senti soudain vieux. La guerre ? Elle reviendrait. Secrètement, fugitivement, il désespérait du pouvoir de la culture sur les instincts, donc de la civilisation, bien que, publiquement, il en fît grand cas.

Cela faisait un moment que j’avais envie de lire ce roman de Françoise Giroud, sans pour autant en trouver l’occasion (que de livres ne sont pas lus faute d’occasions !). Mais la renaissance des éditions Mazarine l’a remis en avant, avec une réédition, et j’en ai donc profité.

Une nuit, en rentrant chez elle, Claire se fait agresser et voler son sac à main. Mésaventure qui est, sinon banale, du moins courante. Ce qu’il l’est moins, c’est que ce sac contenait une lettre écrite par son amant dix ans auparavant, au sujet de l’enfant qu’elle attend et dont il ne veut pas entendre parler. L’amant en question, elle ne l’a plus revu, mais il est aujourd’hui Président de la République, et la lettre, si elle tombait entre de mauvaises mains, pourrait bien se révéler dangereuse.

Evidemment, on ne lit pas aujourd’hui ce roman comme on pouvait le lire en 1983 : à l’époque, l’existence d’un enfant caché du Président de la République était un secret (de Polichinelle, mais secret tout de même) qui ne serait révélé que dix ans plus tard, et la publication de ce livre aux éditions Mazarine sonnait pour ceux qui en étaient informés comme un clin d’oeil, sinon pour une provocation. Nonobstant, là n’est pas du tout l’intérêt, car si l’existence de cet enfant (un garçon dans le roman) est bien le point de départ, la fiction prend un tour tout autre que la réalité : d’après une histoire vraie, mais pas tant que ça, et après tout, on s’en moque. Car Françoise Giroud avec ce roman propose un vrai travail littéraire, tissé de mythes antiques, qui aboutit à une réflexion sur le pouvoir et l’exercice du pouvoir assez universelle par-delà l’anecdote. Une sorte de House of cards, dont le personnage présidentiel est un homme charismatique et despotique, qui a tout du Roi Soleil et se considère comme tel, et manque cruellement de scrupules — voire de morale : finalement, on voit bien ici combien la fonction présidentielle a encore, en France, quelque chose d’éminemment monarchique.

Plus qu’une histoire d’amour à laquelle on voudrait parfois le réduire, Le bon plaisir est avant tout un roman de morale politique, qui met en évidence ce que le pouvoir fait aux hommes, tout en prenant la forme d’un thriller dont le titre aurait pu être La lettre volée. C’est en tout cas passionnant, émaillé de quelques scènes assez drôles avec l’enfant, et à lire absolument si ce n’est pas encore fait !

Le Bon Plaisir
Françoise GIROUD
Mazarine, 1983 (Fayard/Mazarine, 2016)

Charles, la revue politique (autrement)

CharlesMes chers compatriotes, je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas.

Dirigé par Arnaud Viviant, Charles (comme Charles de Gaulle) est l’équivalent français du magazine américain George (comme George Washington), lancé au milieu des années 1990 par John John Kennedy (peut-on plus glamour ?), et considéré comme une sorte de Vanity Fair de la politique.

Totalement exempt de publicité, le magazine se présente d’abord comme un bel objet : une maquette recherchée, une mise en page soignée, du beau papier, des illustrations originales, pour beaucoup des dessins (ici, François Mitterrand par Isaac Bonan). Un magazine, donc, que l’on a plaisir à feuilleter, à conserver dans sa bibliothèque ou sur sa table basse : ça fait chic.

Mais le chic ne fait pas tout, et c’est bien le contenu, ici, qui fait tout l’intérêt de cette publication dont l’objectif est de parler de politique autrement. Autrement ? Loin de la politique politicienne, des querelles de partis et des prises de position à chaud, Charles entend faire bouger les lignes en offrant un autre regard, en multipliant les points de vue, en suscitant la réflexion. D’où l’idée de construire chaque numéro autour d’un dossier thématique : politique et télévision, dynasties, politique et justice, culture et politique, politique et sexualité… le dernier numéro est consacré au « roman Mitterrand ».

Quelques articles sont hors dossier : une réflexion (un peu trop dithyrambique) sur Emmanuel Macron, un entretien (passionnant) avec Ali Badou concernant l’exercice de l’interview politique, un autre entretien (tout aussi passionnant) assez philosophique avec Tristan Garcia, et un portrait de Sébastien Lecornu, très « House of Cards ». Mais l’enjeu essentiel est bien le personnage de François Mitterrand, sur lequel les points de vue sont démultipliés afin d’aboutir à un portrait complexe du personnage : chacun apporte sa petite pierre à l’édifice, pose un regard différent. Au cours de longs entretiens ou articles on découvre Mitterrand dans les yeux de Jean-Luc Mélanchon, Mazarine Pingeot, son fils Gilbert, Michel Charasse, ses biographes, Philippe Sollers ou encore Elizabeth Tessier. Le mystère de Baltique nous est enfin dévoilé. En complément, « le petit Mitterrand illustré », abécédaire de petites phrases, ou encore une analyse des différentes affiches de campagne.

Last but not least, la revue publie des nouvelles inédites, avec en ce moment une série de politique-fiction consacrée à la présidentielle de 2017. Dans ce numéro, C’est Jérémy Collado qui s’y colle, avec une nouvelle, « les Quatre Mercenaires », absolument excellente… et terrifiante !

Bref, un magazine comme on les aime : beau, riche, intelligent, qui pose un regard non partisan sur la politique et donne la parole à des personnalités vraiment diverses (notamment issues du monde de la culture) et ne manque pas de susciter la réflexion. A découvrir absolument, notamment pour ceux que la politique a tendance à fatiguer (genre moi). Le peut sembler élevé mais franchement, il les vaut : il y a beaucoup à lire et, rappelons-le, il n’y a pas de pub !

Charles
Trimestriel
Editions La Tengo
En kiosque et en librairie
16€