Designated Survivor, de David Guggenheim

Designated Survivor, de David GuggenheimAux Etats-Unis existe une tradition assez originale, celle du Survivant désigné : un membre du cabinet, choisi par le Président pour ne pas assister à un événement où sont réunis les principaux représentants du pouvoir américain, afin que le pouvoir ne reste pas vacant en cas de catastrophe. C’est le cas notamment pour le discours sur l’Etat de l’Union ou l’investiture présidentielle. Cette charge est plus folklorique qu’autre chose, mais une telle tradition ne pouvait qu’inspirer des scénaristes…

Suite à un attentat au Capitole durant le discours sur l’Etat de L’Union, qui a tué à peu près tout le monde, le Président, le vice-Président, le Cabinet, le Congrès et la Cours Suprême, c’est le Survivant Désigné, Tom Kirkman, Secrétaire d’Etat au logement qui était d’ailleurs sur le point de se faire virer, qui devient Président des Etats-Unis, alors qu’il n’en a a priori pas la carrure, et que ce n’était de toute façon pas son ambition…

Vraiment une excellente série, qui propose un mélange intéressant entre thriller et politique fiction : l’idée est de mettre au pouvoir un homme droit, pas pourri par la politique (en somme un anti-Frank Underwood) à la tête de l’Etat et de voir comment il va se débrouiller dans ce chaos — et chaos est vraiment le mot : 11 septembre puissance mille, l’attentat a totalement non seulement décimé l’Etat mais totalement fragilisé le peuple (ce qui donne d’ailleurs des scènes assez dures émotionnellement, qui m’ont mis les larmes aux yeux). Et évidemment, ce n’est pas simple : Kirkman a du mal à asseoir sa légitimité, certains font comme s’il n’y avait pas de président, et bien sûr, quoiqu’il arrive et le monde pourrait s’écrouler il doit faire face aux opportunismes, aux basses manœuvres, à l’hypocrisie, à la politique politicienne — heureusement, il y a aussi des gens loyaux, et sa famille, aspect essentiel de la série. Bref : un président honnête et loyal, qui fait ce qu’il peut et apprend vite, mais se pose beaucoup de questions éthiques : la série interroge alors les valeurs américaines et les problèmes de société, le contrôle des armes, les libertés civiques, et la lutte contre le terrorisme, ainsi que quelques autres points dont certains m’ont laissée perplexe parce que je n’ai pas trop vu où était le problème, mais passons. Ça c’est le premier axe : une réflexion sur l’exercice du pouvoir.

Le deuxième axe est tout aussi intéressant, et nous conduit dans une espèce de thriller à base de théorie du complot, car il faut bien trouver les responsables de l’attentat. Coupables évidents : les islamistes. Mais on se rend très vite compte, ce n’est même pas spoiler de le dire, que c’est un peu trop facile, et qu’il y a sans doute autre chose derrière. Mais je n’en dirai pas plus.

Bref : une excellente série, parfaitement interprétée ( Kiefer Sutherland est époustouflant de justesse), parfaitement scénarisée, qui se suit avec grand intérêt tout en suscitant de vraies réflexions. A ne pas manquer !

Designated Survivor
David GUGGENHEIM
2016 – en cours de production

Les Sorcières de la République, de Chloé Delaume

Les Sorcières de la République2017, la peur, la précarité, la colère. Le besoin d’avenir qui fait tout accepter, le storytelling qui acquiert un statut institutionnel. Les changements qui s’opèrent par pactes de lecture, la lassitude qui mène à la curiosité. La percée du Parti du Cercle et son ascension fulgurante. Réseau radicalement antiphallocratique, il se revendiquait d’Héra, exigeait que les pouvoirs fussent tous rendus aux femmes, et les sources de leur oppression enfin neutralisées. Le monothéisme en faisait partie. Le Parti du Cercle, pour certains : un remède à l’islamisation, efficace en périphérie. Une secte dite d’intérêt public, qui prônait la sororité, l’autonomie orgasmique et les enseignements du Nouveau Commencement. Une cellule d’activistes pagano-féministes, qui pratiquaient la magie à des fins politiques. Et dont la candidate a récolté sans peine les cinq cents signatures d’élus nécessaires à l’investiture.

J’avais noté ce roman depuis sa parution, vu le sujet, vous pensez bien : moi qui pense fermement que la sorcière est l’icône féministe ultime ! Mais je n’avais pas dû le noter assez gros, et il était un peu passé à la trappe. Mais l’autre jour, piqûre de rappel : Chloé Delaume est passée à la Grande Librairie, elle m’a enchantée, et dès le lendemain j’ai acheté le roman et l’ai commencé, attablée au Flore.

2017. Elisabeth Ambrose, du parti du Cercle, formation pagano-féministe, arrive au pouvoir, portée par l’espoir de changer la société, éradiquer le patriarcat et les monothéismes, et rendre leur pouvoir au femme. Mais trois ans plus tard, 98% des électeurs votent l’amnésie collective : toutes les archives sont détruites, et un sort d’oubli est jeté sur tout le monde. C’est le « grand blanc », qui cause de graves traumatismes. Alors, en 2062, le Président de la République décide qu’il est temps de savoir enfin ce qui s’est passé durant ces trois années. La Sibylle, arrêtée, doit répondre de ses actes au cours d’un grand procès…

Absolument fascinant et porté par une voix originale qu’on croirait véritablement être celle de la Sibylle, ce roman interroge notre société et ses ressorts, mais sur un mode mi-désinvolte mi-burlesque. Tout l’enjeu est de montrer comment une utopie, éminemment séduisante tout en restant assez fantaisiste dans les faits (Chloé Delaume fait preuve d’une inventivité assez folle) et grandement iconoclaste, peut se transformer en cauchemar. C’est un livre très politique, qui s’appuie sur une grande culture à la fois populaire et canonique, et grâce au dialogisme, pose des questions fondamentales : le rôle du monothéisme patriarcal dans l’oppression des femmes (ça ce n’est plus à prouver) mais aussi plus généralement dans la catastrophe à laquelle nous arrivons, mais aussi les différentes pensées féministes. Et c’est ce qui est le plus intéressant : le roman est féministe, mais un féminisme suffisamment ouvert pour que tout le monde s’y retrouve, les différents discours comme ceux ceux de Judith Butler sont mis en perspective, discutés, interrogés, débattus. Chloé Delaume met en scène les déesses de l’Olympe et chacune, finalement, incarne une manière d’être femme et d’être féministe, sans culpabilisation, et malgré ces différences elles parviennent à s’unir : c’est bien cela qui manque au féminisme actuel pour réussir politiquement et changer le monde. Bon, après ça tourne mal, mais la société qui sort de tout ça est dans un premier temps plus que séduisante. En tout cas, je vote pour !

Un roman très sérieux dans ses questionnements, mais en même temps follement drôle (les échanges d’emails entre Artémis et J.C ou encore les débats entre les déesses sont des moments d’anthologie) et même jouissif : je le conseille sans réserves. A tout le monde. Pour moi c’est un coup de coeur !

Le Nouveau Commencement, c’est maintenant !

Les Sorcières de la République
Chloé DELAUME
Seuil, 2016

challenge12016br10% Rentrée Littéraire 2016 – 39/60
By Lea et Herisson

Journal rêvé d’un président amoureux, de François H

journal rêvé d'un président amoureuxQuand ils se repaissent de ma vie privée, les journalistes anglo-saxons évoquent inlassablement ces « sacrés français » et les maîtresses de Louis XIV ou de Louis XV. Quelle erreur de jugement ! Ce n’est pas le passé que j’incarne, mais l’avenir. Oui, l’avenir d’une humanité dont la vie amoureuse, affranchie des carcans religieux et des contraintes familiales, étirée dans le temps grâce aux progrès de la médecine, sera fatalement plus libre ou, en tout cas, plus compliquée. 

Un jour d’octobre 2015, un petit éditeur reçoit par la Poste un manuscrit accompagné d’une lettre présentant un texte « un peu particulier » pour une « maison indépendante et discrète », écrit par un auteur qui tient farouchement à conserver son anonymat. Le projet a de quoi séduire : le journal d’un président, qui parle de politique à travers le filtre de l’amour…

Effet, François H est Président de la République. Un soir, désœuvré, il s’amuse avec un paquet de cartes, dont il tire les quatre dames, sur lesquelles se surimpose le visage des quatre femmes qui ont fait de lui l’homme qu’il est : Ségolène, Maria, Valérie et Julie. Il se met alors à écrire un journal dans lequel il raconte sa vie amoureuse et son rôle au sommet de l’Etat, sans bien savoir ce qu’il en fera.

Prenons d’abord ce texte comme un pur roman. C’est extrêmement savoureux, dans la manière dont l’auteur interroge les rapports entre l’énergie politique et l’énergie amoureuse, cet éros/pulsion de vie qui a, de tout temps, été intrinsèquement lié au pouvoir, et le texte montre, sur le « thème de la maîtresse royale », le rôle des femmes et leur ascendant, leur influence sur les hommes qui le détiennent. Le pouvoir est érotique, mais pourtant le narrateur n’est pas à strictement parler un libertin, contrairement à un certain Dominique : c’est un « amoureux pluriel », qui revendique la liberté amoureuse et en fait l’éloge ; les femmes comptent pour lui, il les aime, mais ne veut pas rester enfermé dans une relation lorsqu’il n’aime plus. Rien de plus normal, en somme. C’est donc un roman très tendre, et en même temps très satirique : ça dézingue à tout va sur fond de références nombreuses aux Tontons Flingueurs, et c’est, du coup, extrêmement drôle : certains ne sont vraiment pas épargnés.

Le problème (qui n’en est pas vraiment un, mais un peu tout de même), c’est la situation d’énonciation : qui a écrit ce roman ? On pourrait presque croire à certains moments que c’est véritablement François H., ou au moins l’un de ses proches ; en tout cas, probablement un auteur reconnu : c’est extrêmement bien écrit et témoigne d’une grande maîtrise de l’exercice littéraire, c’est souvent fin et tissé de références. Mais alors, dans quel but ? Le fait est que le texte analyse quelle pourrait être l’utilité politique d’une telle confession si elle était bien utilisée : cet effet de mise en abyme est assez troublant, dans la mesure où ce François H., comme personnage de roman, comme homme, est finalement assez attachant, et au final on eut avoir un peu l’impression de s’être fait balader voire manipuler…

A lire donc pour ses grandes qualités littéraires et son analyse de la comédie du pouvoir, tout en gardant à l’esprit que ce n’est pas complètement n’importe quel roman… Je m’étonne d’ailleurs, au passage, que la presse ne parle pas de ce qui constitue tout de même, à de nombreux égards, une réponse cinglante à Merci pour ce moment !

Journal rêvé d’un président amoureux
François H
Cent Mille Milliards, 2016