Voyages en absurdie, de Stéphane de Groodt

voyages en absurdieD’une simple touche sur mon clavier à spirales j’ai rencontré Reza Pahlavi, le fils de feu le Shah et de la chatte, ai vu danser Régine le twist à gaine, me suis transporté de la baraque d’Obama au jacuzzi de Silvio, me suis encastré dans Fidel, suis entré dans la reine, ai fait marcher Delon en large, ai été à la peine avec Jean-Marine, et laissé à terre Mitt…

Vu que les ouvrages de la rentrée littéraire sont assez ruineux en mouchoirs en papier, j’ai eu envie d’un peu plus de gaieté, et je me suis plongée avec délices dans ce recueil des chroniques de Stéphane de Groodt pour la Matinale et pour le Supplément de Canal+.

Ces chroniques, j’adore les écouter, mais mon problème, c’est que je suis encore en train de rire d’un jeu de mot que deux ou trois autres sont passés et je les ai loupées. Frustrant. Alors qu’à l’écrit, on peut s’en délecter, les faire tourner longtemps en bouche, comme du bon vin, parfois s’y arrêter pour comprendre (certaines ne sont pas saisissables du premier coup, d’autant qu’il y en a parfois deux en une). Stéphane de Groodt manie la langue comme personne, de manière absolument fascinante, c’est totalement absurde, irrévérencieux, insolent, parfois un petit peu de mauvais goût, mais on lui pardonne tant on s’amuse.

Bref, un ouvrage jouissif, à ne pas lire dans les transports en commun si on ne veut pas avoir l’air complètement zinzin (après, c’est vous qui voyez !).

Voyages en absurdie
Stéphane de GROODT
Plon, 2014

Dictionnaire de l’impossible, de Didier Van Cauwelaert

12031050814_27306fd933_oCe qui m’importe avant tout, c’est la libre circulation de l’information. Ma seule certitude ? La vie a une imagination débordante. Le monde est un scénario en cours d’écriture et de réécriture permanente, un terrain de jeu où la réalité et la fiction se dépassent l’une l’autre. Mais laquelle est partie en premier ? La vie est-elle le produit d’un canevas initial, ou le simple reflet de l’histoire que chacun de nous se raconte ?

Didier Van Cauwelaert et moi avons un point commun (enfin, disons, au moins un) : une fascination assumée pour l’étrange, l’inexpliqué peut-être inexplicable, l’invraisemblable pourtant vrai. Disons que de mon côté, je pars de loin : lorsqu’on m’a annoncé que le Père Noël n’existait pas, j’ai considéré que le reste, à savoir tout ce qui était du domaine de la croyance non vérifiable, non plus (soyons logique), et j’ai longtemps tenu pour farfelue toute idée ayant trait à l’existence de quelque chose qui nous dépasse, pour faire simple. Mais voilà : la vie est parfois facétieuse, et mes convictions ont parfois été sapées par des événements que j’ai du mal à mettre dans mes textes tant ils paraissent invraisemblables, des événements auxquels je ne crois pas vraiment mais que je ne peux pourtant pas expliquer. Enfin bref, il m’en est venu un intérêt profond pour tout ce qui dépasse les règles du monde tel qu’on croit le connaître. Y croire, ne pas y croire, telle n’est pas la question, certaines choses seront peut-être éclaircies un jour par la science, peut-être demeureront-elles mystérieuses, mais en tous les cas, elles apparaissent aujourd’hui comme impossibles, et sont pourtant.

Et c’est bien là l’objet de ce dictionnaire, qui nous propose un panorama éclectique et passionnant de phénomènes inexpliqués, allant des guérisons miraculeuses aux phénomènes de bilocation en passant par la télékinésie du poussin, le linceul de Turin ou les médiums de l’armée. Tout cela avec un talent de conteur évident, qui fait que l’ouvrage se lit comme un roman aux frontières du réel, et un humour ravageur : même lorsqu’il aborde d’épineuses questions scientifiques (et il le fait avec beaucoup de sérieux, comme en témoignent les notes qui forment une très riche bibliographie), l’auteur adopte un ton primesautier et n’hésite pas à plaisanter. Tout cela est donc passionnant, déconcertant, voire à l’occasion inquiétant, mais jamais dogmatique : même s’il raconte à l’occasion quelque anecdote personnelle, Didier Van Cauwelaert s’attache surtout à poser les questions, pointer les invraisemblances et les incohérences de la rationalité à tout prix, et inviter le lecteur à réfléchir… et à rêver. Car l’intérêt qu’il trouve à tous ces phénomènes est avant tout un intérêt d’écrivain et de romancier, pour lequel la vie est l’inspiratrice la plus féconde.

D’ailleurs, les artistes en général et les écrivains en particulier sont souvent ceux qui sont les plus prédisposés à vivre des choses invraisemblables, et j’ai particulièrement été intéressée par les articles où l’écrivain est confronté dans le monde réel à des événements qu’il a écrits, ces « précognitions littéraires » dont la liste pourrait constituer un nouveau volume du dictionnaire. Et si ça m’intéresse, c’est aussi parce que c’est le sujet d’une nouvelle que j’ai écrite récemment, et d’une autre en chantier (j’appelle ça « autofiction par anticipation »). Du coup, je fais attention à ce que j’écris, on ne sait jamais…

En bref, est-il utile de redire que j’ai trouvé cet ouvrage passionnant, que je l’ai lu presque d’une traite ? Il m’a donné au passage envie de développer un don de bilocation qui me serait bien utile, et vous serez sans doute ravis, comme moi, d’apprendre que La Mort d’Isolde de Wagner est un bon déclencheur d’orgasmes féminins…

Dictionnaire de l’impossible
Didier VAN CAUWELAERT
Plon, 2013