Bloc Notes

Lecture, mon amour

© Francesca MANTOVANI / READING WILD
© Francesca MANTOVANI / READING WILD

J’imagine que vous connaissez Reading WildSinon, en quelques mots : il s’agit d’un site qui propose des rencontres, des interviews, des reading list, des chroniques, des lectures, et se démarque par la richesse et la variété de son contenu (texte, audio, photo, video…). C’est, aussi, un magnifique compte Instagram, qui propose notamment des photographies de personnalités en train de lire. De cela est né l’idée d’une exposition, « lecture mon amour » : les photos (sublimes) sont de Francesca Mantovani, et les modèles sont, entre autres, Anne Berest, Emma de Caunes, Bernard Lehut, Karine Tuil, Annie Ernaux, Nina Bouraoui ou encore Philippe Sollers… Le résultat, dont j’ai vu quelques exemples, est tout simplement magnifique, une ode à la lecture comme style de vie… C’est à voir à la Maison de la poésie, du 10 au 20 novembre !

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Les jeudis Arty

jeudisarty

Les JEUDIS ARTY reviennent pour une 8ème édition, le jeudi 3 novembre 2016 ! Associant un parcours nocturne dans une trentaine de galeries du Marais à une soirée de performances au Carreau du Temple, les Jeudis Arty proposent une immersion unique dans l’univers de l’art et de la création contemporaine. En fonction de ses envies, le public est amené à choisir sa formule de découverte (parcours libres, visites guidées thématiques, ambassadrices Jeudis Arty…). Artistes exposés, mais aussi galeristes, se prêtent au jeu des questions/réponses dans une ambiance conviviale. Cette nouvelle édition fera de nouveau la part belle à la création émergente ! L’occasion d’une jolie promenade, non ?
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La bibliothèque de Pierre Bergé

Gustave Flaubert. La Tentation de Saint Antoine. Paris, 1874. © Stéphane Briolant
Gustave Flaubert. La Tentation de Saint Antoine. Paris, 1874. © Stéphane Briolant

La deuxième partie de la vente consacrée à la fabuleuse bibliothèque de Pierre Bergé aura lieu les 8 et 9 novembre à Drouot. Elle sera entièrement consacrée à la littérature du XIXe siècle, depuis les préromantiques jusqu’en 1900 – autrement dit : de “l’affaire Sade” à l’affaire Dreyfus. On notera, entre autres, un magnifique ensemble consacré à Flaubert, avec des éditions originales dédicacées (comme celle qu’il a envoyée au « maître des maîtres, c’est-à-dire Victor Hugo), des manuscrits autographes ou encore des livres ayant appartenu à Gustave lui-même. Très remarquable également, une édition originale des Fleurs du Mal. Si vous faites comme moi et que votre banquier n’est pas d’accord pour que vous enchérissiez sur ces merveilles, vous pouvez tout au moins aller les admirer avant la vente, du 4 au 7 novembre à Drouot. *soupir de frustration*

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Spectaculaire Second Empire
Second EmpireEn marge de l’exposition Spectaculaire Second Empire dont nous reparlerons probablement bientôt, le musée d’Orsay  propose une large programmation d’événements. On notera en particulier le festival de cinéma Le Second Empire à l’écran (jusqu’au 29 octobre) avec par exemple Nana de Jean Renoir ou L’Histoire d’Alèle H de Truffaut. Le débat Faut-il réhabiliter de Second Empire ? avec Jean-Noël Jeanneney et Jean Tulard le jeudi 3 novembre à 19h30 et Le colloque « Sans blague aucune, c’était splendide » Regards sur le Second Empire les jeudi 24 et vendredi 25 novembre ! De quoi se cultiver agréablement !
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Les abeilles de Guerlain
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Pour la troisième année la maison Guerlain et le Cherche-midi organisent un concours de nouvelles, « les Abeilles de Guerlain », ouvert à tous les auteurs n’ayant jamais été publiés, sur le thème, cette fois, du toucher. Pour participer, il vous suffit d’envoyer votre texte, qui comprendra 12000 signes maximum, à abeillesdeguerlain@cherche-midi.com avant le 15 décembre. Les nouvelles seront ensuite soumises à un jury présidé par Laurent Boillot, président-directeur général de la Maison Guerlain, et composé entre autres d’Elisabeth Barillé ou Claire Castillon. Les nouvelles retenues seront éditées au Cherche-Midi en 2017, et l’ensemble des droits d’auteurs reversés aux Restos du Coeur pour leur atelier de lutte contre l’illettrisme. A vos plumes !

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<Le salon du patrimoine culturel>

salon du patrimoineUne idée de sortie pour ce week-end, au cas où vous seriez déjà allé au salon de la photo ? Le salon du patrimoine culturel qui se tient ce week-end au Carrousel du Louvre, et où 350 exposants sont là pour faire découvrir, apprécier et partager leur passion : la sauvegarde et la préservation de notre patrimoine culturel.

<« The forbidden sale » : Pierre Molinier, collection Emmanuelle Arsan>

Théo Lesoual’ch & Pierre Molinier, Emmanuelle Arsan, tirage argentique d’époque (estimation 1 500 – 2 000 € / 1 700 – 2 250 $)
Théo Lesoual’ch & Pierre Molinier, Emmanuelle Arsan, tirage argentique d’époque
(estimation 1 500 – 2 000 € / 1 700 – 2 250 $)

Si j’étais riche, je pense que je pourrais tout à fait devenir collectionneuse d’art et passer ma vie dans les ventes aux enchères, notamment celles qui sont consacrée à l’ars erotica. Comme celle-ci, par exemple : le 13 novembre prochain, pendant le Mois de la Photo, le département Photographie d’Artcurial proposera aux enchères une collection majeure : la collection de près de 200 œuvres de Pierre Molinier, réunies par Emmanuelle Arsan qui fut une des muses de l’artiste. Elle regroupe photographies, dessins, clichés d’œuvres et lettres personnelles, qui témoignent de l’admiration que se portaient les deux artistes, et leur passion commune pour le plaisir et l’amour.

<La bibliothèque de Pierre Bergé>

sadeSi j’étais riche, donc, et que je passais ma vie dans les ventes aux enchères, je ne louperais certainement pas celle de la bibliothèque de Pierre Bergé, qui se tiendra le 11 décembre à Drouot, organisée par Pierre Bergé et associés en collaboration avec Sotheby’s. Comme malheureusement il est peu probable que d’ici-là ma fortune se soit assez accrue pour cela, je me contente de musarder sur le site dédié, qui permet notamment de feuilleter le superbe catalogue et d’admirer les merveilles qui sont proposées à la vente et qu’il serait difficile de toutes citer. Pour ceux qui veulent admirer de plus près et qui éventuellement sont milliardaires et peuvent se permettre d’envisager d’investir, plusieurs expositions : à Londres du 6 au 9 novembre, à Bruxelles le 19 novembre et enfin à Drouot, juste avant la vente, du 8 au 10 décembre.

<Les Abeilles de Guerlain : concours de nouvelles>

Logo_Abeilles_Guerlain_V2_925x521Comme l’an dernier, la maison Guerlain et le Cherche-midi organisent un concours de nouvelles, « les Abeilles de Guerlain », ouvert à tous les auteurs n’ayant jamais été publiés, sur le thème, cette année, des couleurs. Pour participer, il vous suffit d’envoyer votre texte, qui comprendra 12000 signes maximum, à abeillesdeguerlain@cherche-midi.com avant le 15 décembre. Les nouvelles seront ensuite soumises à un jury présidé par Laurent Boillot, PDG de Guerlain, et composé, entre autres, de Grégoire Delacourt, Clara Dupont-Monod, Sylvie Germain, Olivia de Lamberterie et Christophe Ono-dit-Biot. Les nouvelles retenues seront éditées au Cherche-Midi en 2016, et l’ensemble des droits d’auteurs reversés aux Restos du Coeur pour leur atelier de lutte contre l’illettrisme. A vos plumes !

<Billet gratuit>

billetgratuitEnvie d’un bon plan ? Ne quittez-pas : je vous présente Billet Gratuit, qui propose des invitations gratuites pour des pièces de théâtre, concerts, spectacles, principalement sur Paris mais aussi en province. Chaque semaine des centaines d’invitations sont disponibles, il suffit de s’inscrire pour les voir : on peut alors réserver une date et obtenir une invitation valable pour deux personnes. Il faut être au taquet car les dates sont souvent courtes (la veille ou le jour même) mais c’est parfait pour découvrir de jeunes artistes et se faire plaisir même si on n’a pas trop les moyens !

<Bibliothèque « sous-titre »>

etagere-fixations-invisible-pJe suppose que vous avez le même problème que moi : les livres qui petit à petit colonisent tous les espaces disponibles de votre foyer. Pour ma part, je n’ai plus de place dans mes bibliothèques, et plus de place non plus pour ajouter de nouvelles bibliothèques. Damned ! Je fais des piles, des petites piles, des grandes piles, qui parfois s’écroulent lamentablement. Et là, je tombe sur ça : la manufacture nouvelle propose des étagères à fixation invisible, conçues exprès pour les livres, et qui peuvent s’installer un peu partout, au dessus d’un canapé par exemple. L’idée est ingénieuse : de faux-livres, réalisés en bois et dont la tranche est recouverte d’un titre, d’un nom d’auteur, se dissimulent  parmi les vrais,  faisant aussi office à la fois de serre-livres et de fixation ! C’est joli et pratique, ça ne va évidemment pas sauver mon appartement de l’invasion mais j’aime beaucoup !

<Prix du polar auto-édité>

prix du polarPour son édition 2016 du prix du polar auto-édité, Thebookedition.com (Premier site d’autoédition français) s’associe au Furet du Nord (Une des plus grandes Librairies Physiques d’Europe) pour promouvoir et distribuer des auteurs indépendants afin de faire reconnaître l’autoédition comme un acteur incontournable du marché du livre d’aujourd’hui. Ce prix s’adresse donc à tous les auteurs indépendants ayant un livre déjà écrit et/ou publié depuis moins de deux ans, qui peuvent déposer leur texte avant le 31 décembre sur www.prixdupolar.com. 3 prix seront remis : le prix du jury, un prix encouragement du président du jury, et un prix des lecteurs ! A vos plumes (again) !

<48h pour écrire>

Affiche 48 heures pour écrire LDCette année encore, les Editions Edilivre organisent le concours d’écriture « 48 heures pour écrire« , qui en est à sa troisième édition. Organisé en partenariat avec Post-it, Studyrama, Didactibook, Youscribe et le magazine Books, il est ouvert à tous (il y a eu 2100 participants l’an dernier) et ce sont des milliers d’euros de lots que se partageront les quatre lauréats. Pour participer, rendez-vous le vendredi 20 novembre à 19h sur Edilivre.com pour connaître le thème : vous aurez alors 48 heures pour écrire et envoyer votre texte de 10 000 caractères maximum.

<Ecrire en Gallimard>

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© M. Martin Delacroix-Gallimard

Vous en rêviez, Gallimard l’a fait (et a mon avis, d’autres éditeurs suivront) : toute une ligne de carnets d’écriture aux couleurs de la mythique Blanche de la prestigieuse maison : des petits, des grands, des moyens, reprenant les titres des grands auteurs (« souvenirs personnels », « exercices de style »…) pour accueillir vos propres mots. Moi, j’ai déjà craqué :

gallimardEt vous ?

<La journée des auteurs à Sciences Po>

sciencespoLa Journée des Auteurs, anciennement la Journée des Dédicaces, le salon littéraire de Sciences Po, se déroulera à Sciences Po le 21 novembre. Le thème de cette année est particulièrement intéressant : « L’écrivain : sa vie versus son œuvre ». Plusieurs conférences, ateliers et concours seront organisés en amont, afin de préparer au mieux cette journée littéraire, et je jour-même vous pourrez retrouver de nombreux auteurs. L’événement est gratuit et ouvert au public. Pour en savoir plus, c’est par ici.

<Les vendredis d’Apostrophes>

© CINÉTÉVÉ / FRANCE 2
© CINÉTÉVÉ / FRANCE 2

Vendredi soir, France 2 proposait un documentaire réalisé par Pierre Assouline sur les « années Apostrophes », émission culte s’il en est. Des passages plus ou moins célèbres, sous forme d’abécédaire, et commentés par Pivot lui-même : l’émission sur l’amour avec Barthes et Sagan, Jean d’Ormesson qui mouche sévèrement Alain Peyrefitte, Bukowski rond comme un boulon, Cohen qui veut lire lui-même un extrait de Belle du Seigneur (« oh, je voudrais le lire moi »), Nabokov qui faisait semblant de boire du thé mais sifflotait du whisky, la première télé de Modiano, Kirk Douglas qui remet en place Séguéla venant de dire une ânerie (oh !), Gainsbourg qui explique à Beart que la chanson est un art mineur… Bref, des moments chargés d’émotions, du rire, de l’impertinence, de l’intelligence, de l’étonnement aussi devant la liberté qui régnait : tout le monde fume, tout le monde boit, et on y tient des propos qui feraient scandale aujourd’hui. Une petite madeleine (à moins que ce ne soit une biscotte) vintage, à voir absolument en replay (moi-même je pense me faire une deuxième séance).

 

Saint Laurent, de Bertrand Bonello

Saint LaurentLes Français, vous êtes tellement mélodramatiques !

Les nominations pour les Césars m’ont rappelé que je n’avais toujours pas vu ce film, ce qui, nous sommes bien d’accord, est une honte absolue. Mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais, et je lui ai donc consacré ma soirée de vendredi, en essayant autant que faire se pouvait de ne pas le comparer avec le biopic de Jalil Lespert, objectif qui s’est au final avéré totalement irréalisable. Mais j’anticipe.

Dans ce film, Bonello choisit de se consacrer à la période 1967-1976, une décennie de liberté, riche d’un point de vue créatif et mouvementée d’un point de vue personnel, avec notamment la rencontre de Jacques de Basher.

Le grand mérite de ce film est d’accorder une vraie place à la mode, qui est plus ici qu’un simple contexte : on voit le travail des petites mains, le travail des toiles, les larmes, la sueur, la minutie nécessaires pour donner vie aux idées du Maître, que l’on voit en plein travail de création à de nombreuses reprises. Le film a beaucoup de style, et les scènes de défilé (et notamment la dernière) sont des moments de grâce, qui mettent en évidence le génie d’Yves Saint-Laurent, authentique artiste comme il en existe peu, et incarné par un Garspard Ulliel impeccable.

Reste que je suis perplexe sur l’ensemble du film, qui jouit d’un critique meilleure que celui de Lespert, alors que personnellement je le trouve beaucoup moins bon : j’ai eu l’impression d’une juxtaposition de scènes et non d’un film réellement construit sur un véritable fil directeur ; certains moments se répondent, se font écho et font sens, mais d’autres semblent là simplement pour passer le temps car elles ne construisent rien, alors même que dans l’ensemble le film est très elliptique et très allusif : ce n’est en tout cas pas un film qui me semble accessible à qui ne connaîtrait rien de la vie de Saint-Laurent, car des clés extérieures sont indispensables pour comprendre certaines scènes, certaines références, certains symboles. C’est toujours le cas avec ce type de film extra-référentiel, mais ici, l’effet me semble amplifié. J’ai envie de dire que c’est un film pour initiés.

En outre, je trouve le traitement du personnage même de Saint-Laurent moins intéressant que chez Lespert qui en faisait une véritable figure du génie torturé et insistait sur sa part d’ombre. Je trouve cet aspect moins bien traité par Bonello, dont le film, beaucoup moins décadent et sulfureux, gomme un peu la violence autodestructrice du personnage. Et cela tient à mon avis au fait que Bonello a totalement sacrifié le personnage de Bergé, et qu’il ne creuse pas sa relation avec Saint-Laurent. Il ne fait, finalement, que passer, et je trouve de plus que Jérémie Rénier est peu inspiré dans le rôle (surtout par rapport à Guillaume Gallienne) ; du reste, même si j’ai trouvé Gaspard Ulliel totalement excellent dans l’illusion, il est moins excellent que Niney.

Donc, au final, j’ai trouvé ce film assez froid et distancié, un film qui manque de décadence, de sexe, de chair, de passion, de violence, qui ne creuse pas assez ses personnages et souffre d’une narration elliptique. Une déception pour moi, d’autant qu’on me l’avait vendu comme meilleur que le film de Jalil Lespert que j’avais trouvé magnifique, et que j’en attendais donc beaucoup. Pour moi, j’ai choisi mon Saint Laurent, et ce n’est pas celui-là !

Saint Laurent
Bertrand BONELLO
2014

Yves Saint Laurent, de Jalil Lespert

YSL LespertTu veux vivre ou tu veux mourir ? Parce que, si tu veux mourir, moi je ne peux rien faire pour toi.

Il était évident que, passionnée d’histoire de la mode devant l’Éternel (c’est une expression !) et en particulier d’Yves Saint Laurent dont la personnalité à fleur de peau me fascine et me touche, je verrais ce film dès qu’il sortirait en VOD. Ce qui donne d’ailleurs un timing parfait, vu que le second biopic sur Saint Laurent vient de sortir est est présent à Cannes. Mais concentrons-nous sur ce film-là, qui a reçu l’aval de Pierre Bergé.

Paris, 1957. Alors que la guerre fait rage dans son Algérie natale, Yves Saint Laurent est appelé à la mort de Dior à prendre en main la prestigieuse maison de haute couture alors qu’il a à peine 21 ans. Lors de son premier défilé triomphal, il fait la connaissance de Pierre Bergé, une rencontre qui va bouleverser sa vie aussi bien sur le plan amoureux que sur le plan de sa carrière. Les deux hommes s’associent trois ans plus tard pour créer la société Yves Saint Laurent. Mais si Saint Laurent est un génie qui va révolutionner l’histoire de la mode, c’est un génie torturé, qui ne cesse de se détruire et de détruire ceux qu’il aime. L’histoire est racontée du point de vue de Pierre Bergé et de ses Lettres à Yves qui m’avaient tant bouleversée.

C’est résolument un film absolument magnifique que celui-ci, servi par une double performance d’acteur absolument exceptionnelle : Pierre Niney n’incarne pas Yves Saint Laurent, il est Yves Saint Laurent, et certaines scènes donnent tout simplement l’impression d’avoir été sorties des archives tant la silhouette, la démarche, les poses donnent le sentiment de voir surgir un fantôme ; quant à Guillaume Gallienne, il est une nouvelle fois époustouflant, parvenant parfaitement à se glisser dans les costumes d’un Pierre Bergé encore bien vivant.

C’est, donc, une histoire de création, et certaines scènes de défilé sont absolument magnifiques, surtout quand on pense que les robes utilisées ont été sorties des musées pour l’occasion. On aime voir Saint Laurent dessiner, donner vie aux costumes. Mais ce n’est pas un film d’histoire de la mode, et c’est sur la part sombre du génie qu’insiste Jalil Lespert, ainsi que cette histoire d’amour extrêmement touchante avec Bergé. D’un côté, un Saint Laurent inapte au quotidien, perdu dans son monde, cédant aux sirènes de la drogue, de l’alcool et des gigolos. Il y a une véritable dimension christique chez Saint Laurent, celle de l’artiste qui ne peut vivre que dans la création et que ses démons intérieurs finissent par briser. De l’autre côté, on a un Pierre Bergé qui porte tout sur ses épaules, obligé de se colleter le réel que refuse l’artiste, et qui se démène comme un diable pour que l’homme qu’il aime puisse faire ce dont il a un besoin vital, qui accepte tout jusqu’à ne plus en pouvoir. Mais ce n’est pas pour autant une hagiographie de Bergé : il apparaît à l’occasion mesquin, odieux, cruel, et tyrannique bien sûr, puisque c’est ce qu’on lui reproche toujours, mais s’il est tyrannique, c’est bien pour protéger Saint Laurent, et surtout de lui-même.

Je craignais un peu que l’approbation de Bergé pour le film ne conduise le réalisateur à édulcorer certaines choses, et pas du tout : le film est honnête, sans fard, il s’en dégage un vrai parfum de souffre, de scandale et de luxure (qui a choqué quelques néandertaliens qui ont quand même traité le film de « porno gay » — c’est gay, oui, mais enfin porno, je ne vois pas…). Le parti pris est de se concentrer sur certaines années, ce qui conduit à certaines ellipses, et c’est la seule chose que je reprocherai au film : son aspect un peu elliptique sur certains points : si je comprends la relégation à l’arrière-plan du personnage de Karl Lagerfeld pourtant important dans la vie de Saint-Laurent à cette époque (mais on connaît Karl : prompt au procès), je regrette le traitement un peu allusif de certains faits, l’histoire avec Jacques de Basher notamment. J’ai un peu l’impression que si on ne connaît pas au préalable l’histoire de Saint Laurent, on doit se sentir un peu perdu à certains moments.

Je suis très curieuse, en tout cas, de voir quelle recette a préparé Bertrand Bonello à partir des mêmes ingrédients (mais sans l’approbation de Pierre Bergé).

Géraldine elle n’a pas été conquise…

Yves Saint Laurent
Jalil LESPERT
France, 2013

Lettres à Yves, de Pierre Bergé

C’est à toi que je m’adresse, à toi qui ne m’entends pas, qui ne me réponds pas. Tous ceux qui sont ici m’entendent, mais toi seul ne le peux.

L’autre jour, en musardant à l’espace librairie de la fondation Yves Saint-Laurent, je suis tombée sur ce livre qui m’a attirée comme un aimant. L’intuition sans doute, je ne sais pas, quelque chose de l’ordre de l’impératif qui me disais « prends-le ». Donc je l’ai pris.

La situation d’énonciation de ce recueil de lettres est un peu particulière. Ce sont des lettres d’amour, mais des lettres d’amour à celui qui vient de mourir et qui ne pourra donc jamais les lire, sauf à penser qu’il y a un au-delà. Comme un besoin impérieux, vital, de dire son amour une dernière fois. Saint-Laurent meurt le 1er juin 2008, la première lettre date du 5. La seconde ne sera écrite que le 25 décembre, puis elles s’enchaînent jusqu’en août 2009. Un peu plus d’un an donc, d’une correspondance à sens unique, pour faire le deuil de l’amour d’une vie.

Que dire de ce petit recueil, si ce n’est qu’il m’a tellement émue qu’en écrivant cette chronique, j’ai à nouveau la gorge qui se serre ? Oui, j’ai été touchée jusqu’au plus profond de mon âme par ce texte qui a fait résonner en moi de déchirants échos. Je connais trop ce besoin d’écrire des lettres, cette graphomanie dirigée vers l’Absent (même un absent bien vivant), pour ne pas comprendre et ressentir une empathie profonde envers Pierre Bergé, souvent stigmatisé mais qui ici m’a arraché des larmes. Il est dans l’hyperconscience, et c’est presque ce qui est le plus touchant : le dialogue est rompu, irrémédiablement, et il sait que finalement c’est à lui-même qu’il s’adresse en écrivant à Yves. Il lui écrit, une magnifique déclaration d’amour. Car quoi de plus beau, finalement, que de continuer à faire vivre dans son coeur celui qui n’est plus là ? Cet amour se remémore, avec sincérité et lucidité, sans en occulter les difficultés, et notamment la caractère profondément mélancolique de Saint-Laurent (très bien traité dans le livre d’Alicia Drake, qui m’a d’ailleurs servi pour comprendre certaines allusions), incapable de s’ancrer dans le réel (ce qui me rappelle quelqu’un d’ailleurs), et faisant souffrir malgré lui ceux qu’il aimait et qui l’aimaient, au premier rang desquels Pierre Bergé, qui finalement avait tout accepté (mais aimer, n’est-ce pas accepter ce qu’on ne peut pas toujours comprendre ?). L’écriture est en outre très belle, très littéraire, et dans les références, philosophiques et littéraires, on sent l’homme d’une grande culture, ce qui lui permet aussi d’atteindre, malgré le caractère éminemment biographique et intime, une sorte de lyrisme universel. Il se dégage de ce texte une grande mélancolie, celle de la fin d’un monde, symbolisée par la vente de la collection d’art contemporain du couple, et les multiples décès qui viennent meurtrir un peu plus Bergé – qui est d’ailleurs solide, d’autres se seraient laissés submerger.

Ce texte, que j’ai lu d’une seule traite, comme mue par une sorte d’urgence, est de ceux qui restent dans la mémoire, et c’est bien son propos : ériger un mausolée à l’être auquel on a consacré toute une vie. Il n’a pas été sans me rappeler, d’ailleurs,  Lettre à D de André Gortz et surtout  Edwige, l’inséparable d’Edgar Morin.

Lettres à Yves
Pierre BERGÉ
Gallimard, 2010

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