La fille qui ne s’aimait pas sur la photo

C’est intéressant, de vieillir. On pose un autre regard sur soi.

L’autre jour, je suis retombée sur ces vieilles photos d’identité. J’ai 20 ans, c’est l’été. Je porte une robe que j’adorais, longue, vaporeuse, avec des fleurs rouges. J’aimerais beaucoup retrouver cette robe. Par contre, je n’aime pas ma coiffure. Et de toute façon, je déteste la photo. Je ne me trouve pas jolie dessus, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai encore, cette planche de photos : je ne les ai pas utilisées. Pourtant j’imagine que j’avais besoin de photos, sinon je ne serais jamais entrée dans un photomaton.

De toute façon, je déteste qu’on me prenne en photo, parce que 99% du temps je me déteste sur les photos. Ce qui est bien, avec les selfies, c’est que pour avoir une photo qui me plaît, je peux en prendre 100, afin d’en avoir une qui me convient. A l’époque, pour avoir une photo, on n’avait pas 50 essais : les téléphones portables étaient une invention récente (et j’en ai eu un très tôt, alors que c’était encore une originalité, de se promener avec un téléphone dans son sac). A l’époque de la photo, je crois que j’avais le fameux Nokia 3310 increvable.

A l’époque, pas de selfies. Seulement de véritables appareils photos, et les photomatons. S’installer dans la cabine, régler la chaise, s’accommoder de la luminosité désastreuse, prendre la pose. Un compte à rebours qui nous oblige à rester figé, les yeux grands ouverts pour éviter de les cligner au mauvais moment. Bien sûr, la photo se déclenche à la milliseconde exacte où on cligne quand même. On ne peut faire que trois essais, pas cent, pas mille. D’autant que, parfois, d’autres gens attendent.

Alors choisir la dernière tout en sachant déjà qu’on ne l’utilisera pas. Lorsque j’ai récupéré la planche, je l’ai rangée dans mon sac à main, puis dans un tiroir sitôt rentrée chez moi, où je l’ai oubliée pendant des années, jusqu’à retomber dessus.

Et en regardant ces photos, je ne me trouve pas si mal. Un air un peu trop figé, un sourire que je sais de façade, des cheveux qui rebiquent parce que je m’obstine à vouloir les lisser alors qu’ils veulent boucler et cascader sauvagement. Mais, vraiment, pas si mal, ce que je ne voyais pas à cette époque.

D’images et d’eau fraîche, de Mona Chollet : une bouffée d’air frais

En cas de baisse de moral, il m’arrive d’aller faire un tour sur la page de mon compte Pinterest où les images que j’ai épinglées apparaissent dans l’ordre chronologique inversé, pêle-mêle, indépendamment du tableau thématique que chacune est venue enrichir. Elles représentent mon équivalent de la liste des « choses qui font battre le coeur » dressée par Sei Shônagon, dame de compagnie de l’impératrice consort du Japon, dans ses Notes de chevet, au XIe siècle. Mon regard ricoche de l’une à l’autre, il bondit de ravissement en ravissement dans une surenchère infinie, il cabriole sur la palette et les nuances des couleurs, s’engouffre dans les perspectives, épouse les ombres et les lumières, embrasse les formes, se pâme devant les motifs en ranimant la signification qu’ils revêtent à mes yeux.

Je parlais l’autre jour de l’importance des images et de leur pouvoir. Sujet d’ailleurs dans l’air du temps : j’ai l’impression que jamais autant qu’en ce début d’année on n’a parlé de tableaux d’inspiration, de moodboards et autres vision board, dans le même temps que Pinterest redevient un réseau social de premier plan. Les images et le plaisir qu’elles procurent, c’est aussi le sujet du dernier essai de Mona Chollet.

Dans ce livre richement illustré, Mona Chollet interroge sa passion pour les collections d’images numériques, images faites par les autres mais qui, toujours, suscitent une émotion, un souvenir, allègent le quotidien et constituent un véritable musée imaginaire.

L’autrice parvient ici à mêler la réflexion théorique et la confession personnelle concernant sa manière de s’immerger dans les images, numériques mais pas seulement. Et j’ai pris énormément de plaisir à me plonger dans cette exploration, qui constitue une véritable bouffée d’air frais, m’a donné beaucoup d’envies de lectures et m’a permis de découvrir nombre d’œuvres émerveillantes. Bien évidemment, les images que nous aimons en disent beaucoup sur nous, et cela a quelque chose de très intime de livrer ses préférences ; il est aussi question, pêle-mêle, de l’utilité des moodboards pour les écrivains, des albums Panini, des role models et de la métalepse, et des images comme lieux où habiter et se sentir en sécurité

Bref, un ouvrage d’une grande richesse, parfait prolongement finalement de L’Art qui guérit en tant qu’ils nous invite à constituer notre propre exposition personnelle d’images qui font du bien !

D’Images et d’eau fraîche
Mona CHOLLET
Flammarion, 2022

Désirs, Haïkus érotiques de Patrick Gillet et Nina Egée : habiter érotiquement le monde

Les rubans du vent
S’engouffrent sous sa robe
Tourbillons du tissu…

L’autre jour, je suis allée à un salon du livre organisé au Jardin des Plantes d’Orléans, et parmi les multiples tentations, j’ai jeté mon dévolu sur deux ouvrages. Je vous parlerai du deuxième dans quelque temps, mais commençons par ce recueil de haïkus érotiques. Il y avait d’ailleurs d’autres thématiques que l’érotisme, mais enfin, vous me connaissez, c’est celui-là qui a attiré mon œil…

Il s’agit d’abord d’un très bel objet artistique, imprimé sur du papier de grande qualité et assemblé à la main, ce qui le rend dès le départ très sensuel, agréable à toucher, à caresser, à sentir aussi. Quant aux textes, je les ai trouvés délicieux et délicats, autant d’instantanés de désir : le vent qui soulève une jupe, des seins qui pointent, une bretelle qui glisse, des talons qui frappent le sol, un parfum qui flotte dans l’air… c’est un monde sensuel et chargé d’érotisme que nous offre Patrick Gillet, et j’ai vraiment apprécié sa manière de regarder le monde et les femmes.

J’ai un peu moins aimé les photographies, ou plutôt je les ai diversement aimées : j’en ai trouvé certaines vraiment très poétiques et à propos, alors que d’autres m’ont laissée perplexe par leur banalité. Dans l’ensemble il y a un joli travail, mais certains clichés m’ont semblé d’une part décalés, et de l’autre un peu en-dessous du talent évident de la photographe.

Mais dans l’ensemble j’ai vraiment beaucoup apprécié ce recueil très poétique et sensuel !

Désirs. Haïkus érotiques
Patrick GILLET et Nina EGEE
Editions du petit véhicule, 2018

Ecrire la lumière

Il y a quelques années, j’avais fait des séances de Communication Profonde Assistée. Pour faire simple, c’est un moyen de communiquer directement avec votre moi profond (ou votre âme) sans la barrière de l’égo, des croyances, des masques que l’on met pour correspondre à ce que les autres veulent de nous. Vous êtes assis, les yeux fermés, le praticien soutient votre poignet qui tape sur le clavier d’un ordinateur. Ce qui donne au final une sorte de flux de pensées totalement décomplexé. Mais d’une force de vérité incroyable. La première séance m’avait beaucoup secouée, car elle avait mis le doigt sur quelque chose dont j’avais connaissance, mais dont je n’avais pas conscience que ça pesait dans ma vie. Et il est impossible que la praticienne ait induit quoi que ce soit : c’est précis, il n’y a pas d’effet barnum, ni faux souvenir.

Ensuite, j’ai fait plusieurs séances, sur des sujets divers. J’aimerais les relire, mais je ne suis pas sûre de les avoir gardées. Ce dont je me souviens, c’est qu’à la dernière, nous avons interrogé ce qui m’appelait vraiment. Je venais de commencer à écrire mon premier roman. La réponse a été « écrire la lumière ». Ce qui est, aussi, l’étymologie de photographie. Et je trouve que c’est une très belle mission de vie !

L’autre jour, j’ai hérité de cet appareil photo. Il appartenait à ma grand-mère, ou plutôt au frère de ma grand-mère, qui l’avait rapporté d’Allemagne après le STO. Mais on va considérer qu’il était à elle. Et c’est moi qui l’ai parce que moi, tout le monde le sait, j’adopte les vieux objets.

Et c’est un peu comme un clin d’œil. Encore une fois, écrire la lumière…

Quand le passé reprend vie en couleurs, de Wolfgang Wild et Jordan Lloyd : photographies colorisées du monde de 1839 à 1949

Pour bon nombre d’entre nous, le passé est en noir et blanc.
Bien entendu, nous savons que le passé n’était pas vraiment en noir et blanc, pas plus que les gens de la Belle Epoque n’avaient l’allure saccadée qu’on leur voit dans les tout premiers films. Et pourtant, face à une vieille photo en noir et blanc, c’est ainsi que nous imaginons le passé.

L’idée peut sembler tout d’abord étrange, voire sacrilège : coloriser des clichés en noir et blanc, parfois parmi les plus connus : le train qui déraille en gare de Montparnasse en 1895, la construction de la tour Eiffel, la série de portraits de Florence Thompson par Dorothea Lange, le portrait d’Abraham Lincoln, le naufrage du Titanic… On a toujours connu le passé, les images du passé, en noir et blanc, pourquoi vouloir leur donner de la couleur ?

Et bien parce que ça change tout : alors qu’avec le noir et blanc le passé semble lointain (ce qu’il est) et irréel, comme si les gens sur la photo n’étaient pas de vraies personnes, en chair et en os, comme on en croise tous les jours, ici il prend vie, grâce au travail exceptionnel et minutieux de Jordan Lloyd dont on pourrait dire que c’est de la magie : pour les photographies qu’on connaît (et même les autres puisque les clichés originaux sont à la fin, mais c’est plus frappant pour ceux qu’on a déjà vus souvent), on a l’impression de les avoir toujours connues en couleur tant c’est naturel.

J’ai vraiment adoré me plonger dans ce livre et remonter le temps (l’ordre choisi pour les 130 photos est antichronologique), au fil des événements historiques, croiser des personnages connus et des lieux qui ont bien changé : un voyage qui ravira les amateurs d’histoire et/ou de photographie (c’est bientôt Noël), et un livre de table basse absolument parfait !

Quand le passé reprend vie en couleurs. Photographies colorisées du monde de 1839 à 1949
Wolfgang WILD et Jordan LLOYD
Glénat, 2020

Instantané #103 (les ballons blancs)

Dimanche dernier, mes pas m’ont menée en centre-ville et sur une impulsion je suis allée découvrir l’exposition de Charles Pétillon à la collégiale Saint-Pierre-le-puellier, dont j’avais vu passer des images sur Instagram. Bien sûr je n’étais pas allée visiter d’exposition depuis des mois et ce n’était pas tellement dans mes intentions à la base même si cela me manque, de nourrir ma créativité dans les musées et les expositions. Mais bien m’a pris de suivre mon impulsion : j’ai été totalement émerveillée. Le travail de Charles Pétillon, que l’on pourrait qualifier de Haïku visuel, est à la fois du land art et de la photographie : il installe des ballons blancs dans des paysages urbains ou en pleine nature. Le résultat est follement poétique et en ce sens Charles Pétillon contribue à réenchanter le monde, mais ce n’est pas juste de la beauté : il nous interpelle et nous fait réfléchir sur notre lien à la nature, l’empreinte de l’homme sur son environnement, l’impermanence.

C’est absolument sublime, et si vous êtes ou passez à Orléans, filez y faire un tour, en plus c’est gratuit (jusqu’au 23 août) !

Instantané #100 (juste quelque chose de joli)

Pour mon challenge photo, jeudi il fallait que je photographie des coquillages. Et quel merveilleux moment j’ai passé à les assembler comme ça : je les ai toujours sous les yeux puisque certains sont dans un bocal dans la bibliothèque, d’autres dans une coupelle (en forme de coquille d’huître) dans l’entrée, d’autres dans mon bureau, d’autres dans un vase dans la chambre et… un peu partout en fait. Mais je ne prends jamais le temps de les sortir, de les toucher, de les contempler, de m’émerveiller de leur beauté, de leur diversité, de leur variété de formes, de tailles, de couleurs ! C’est pourtant ce que j’avais prévu en septembre en mettant ma moisson estivale dans le bocal : consacrer les saisons intérieures à l’inventaire de mes petits trésors. J’avais même acheté un livre. Mais voilà, les saisons intérieures sont passées, elles ont même eu une prolongation, j’ai fait mille choses, mais je n’ai pas consacré de temps à mes coquillages.

Alors, c’est ce que j’ai fait jeudi. Et c’est tellement apaisant, de les arranger comme ça en tableau d’art éphémère, une sorte de mandala ! Quelle joie, et quelle beauté ces petits bijoux façonnés par la mer ! Ça m’a remplie de gratitude !