Et aujourd’hui, je dis la même chose. Me voilà, débarrassé des déguisements et des inventions et des artifices du roman. Me voilà, sans mes tours de passe-passe, à nu et sans aucun de ces masques qui m’ont donné toute la liberté d’imaginer dont j’avais besoin pour écrire mes romans.
Je l’avoue, j’ai un peu de mal avec les romans de Philip Roth : ça résiste, je n’arrive pas à expliquer pourquoi. Et pourtant, l’écrivain lui-même et ses réflexions sur son travail m’intéressent beaucoup (du reste, dès qu’un écrivain réfléchit sur son travail, cela m’intéresse), et c’est la raison pour laquelle je me suis plongée dans ce recueil de textes.
Il se divise en trois sections. La première, « Du côté de Portnoy », est constituée de textes revenant sur telle ou telle oeuvre de l’auteur, notamment Portnoy et son complexe, ainsi que de textes plus généraux sur l’écrivains et le réel, Kafka ou la question du judaïsme. La deuxième section est « Parlons travail » dont nous avions déjà parlé. Enfin la partie « explications », celle qui m’a le plus intéressée, est constituée de conférences, discours et articles dans lesquels Roth se penche sur la réalité du travail d’écrivain.
Au-delà des problématiques précises sur tel ou tel roman ou sur tel ou tel thème, c’est la question ô combien épineuse du lien entre le réel et la fiction (qui m’occupe d’ailleurs beaucoup ces temps-ci) qui traverse tout le recueil ; si certains articles m’ont moins intéressée que d’autres, j’ai tout de même été passionnée par les réflexions que mène Roth. Surtout, une anecdote m’a littéralement scotchée et plongée dans des abîmes de réflexion et de perplexité. Je ne sais pas si elle est authentique ou si Roth s’amuse (j’ai essayé de faire des recherches mais cela n’a rien donné) : un jour, alors qu’il dîne dans un restaurant alors qu’il a failli ne pas sortir ce soir-là parce qu’il y a de l’orage, il trouve un papier sur lequel sont inscrites des phrases qui n’ont aucun lien les unes avec les autres (et dont certaines sont d’ailleurs prédictives par rapport à sa vie) : chacune de ces phrases est en fait la première de chacun de ses romans. Ceci expliquerait d’ailleurs pourquoi un jour il a décidé d’arrêter d’écrire des romans : il avait épuisé la liste. Ce qui est amusant, c’est que sous la plume de Paul Auster cette anecdote m’aurait beaucoup moins étonnée (c’est tout à fait le genre de trucs qui se passent dans les romans d’Auster). Mais en tout cas cela m’a donné des pistes supplémentaires pour mes recherches sur l’écriture prédictive !
En tout cas, un recueil passionnant dans l’ensemble, qui intéressera tous ceux qui ont envie d’en savoir plus sur la fabrique de la fiction !
Pourquoi écrire ?
Philip ROTH
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel et Philippe Jaworski, Josée Kamoun et Lazare Bitoun
Gallimard, 2019