Le roman d’Esther, de Pauline Flepp

Le roman d'EstherLorsque mon éditeur est venu me voir en prison et m’a glissé subrepticement : « As-tu pensé à écrire votre histoire, je veux dire, à Esther et à toi ? », je me suis dit que l’humanité était décidément plus laide encore que je ne le pensais. Mais je n’ai rien laissé paraître, et j’ai répondu quelque chose comme : « D’un point de vue juridique, c’est plutôt limite. » Il devait bien y avoir une loi interdisant d’écrire sur une fille qu’on a tuée. Et l’idée de nous jeter en pâture, comme ça, au premier venu, m’était douloureuse. Ce livre d’Esther, si je l’écrivais, combien de personne qui n’avaient jamais rien lu de moi le liraient ?

C’est amusant comme parfois la vie fait venir à nous exactement ce dont on a besoin, plus précisément le roman qui aborde parfaitement une thématique qui nous obsède. C’est ce qui s’est passé pour moi avec ce Roman d’Esther, second roman de Pauline Flepp que je découvre à l’occasion, et qui dissèque la passion amoureuse sur fond de création littéraire. Un peu ce que je suis en train d’écrire actuellement, bien que d’une toute autre manière.

Antoine Gardel, le narrateur, est écrivain. Un écrivain qui est en prison pour avoir tué Esther Monod, sa très jeune petite amie de 21 ans, dont il était tombé amoureux quelques mois plus tôt, lorsqu’elle était venu le trouver car elle écrivait un mémoire de master sur la sincérité dans ses romans.

Comme dans une tragédie, l’issue fatale est connue dès les premières lignes : point de suspens, on sait que ça finira mal, reste à savoir pourquoi et comment, et tout l’enjeu est dans l’analyse d’une passion amoureuse qui mène aux pires extrémités. Pauline Flepp parle superbement du désir, qui ici naît du texte et d’une intercommunication des âmes avant de devenir physique, de se muer en obsession puis en passion. Dès le départ, Esther, qui porte un prénom chargé de résonances bibliques, apparaît comme un personnage trouble, aux contours flous, impossible à cerner, face auquel la fragilité de l’écrivain est totalement mise à nu, car on lit en lui, à travers ses personnages, comme dans un livre ouvert, et Esther ressemble trop à un personnage de roman pour qu’il n’en devienne pas aussitôt dépendant. La passion devient jalousie, et le roman marche sur ce fil ténu entre l’amour et la haine qui pousse l’amant malheureux à se venger de l’autre, à se haïr lui-même de tant aimer et vouloir faire payer à son bourreau tout le mal qu’il lui fait, et qui finit par le rendre fou. Eros et thanatos, toujours.

Comme dans une tragédie, la fatalité broie les personnages. Parce qu’il aurait été tellement facile qu’elle se termine autrement, cette histoire d’amour et de littérature. Comme dans une tragédie, les personnages ne sont ni tout à fait coupables, ni tout à fait innocents. Et comme dans une tragédie, ils ne peuvent que susciter terreur et pitié…

Un roman qui, au final fait froid dans le dos à mesure que la machine infernale avance et que le puzzle se dessine pour montrer tout le gâchis que peut être la vie. Un roman que l’on referme submergé par une insondable tristesse. A lire absolument !

Le Roman d’Esther
Pauline FLEPP
Flammarion, 2016