Dans le scriptorium, de Paul Auster : le romancier et ses personnages

Je suis peut-être ridicule, fait Flood d’une voix que la colère enfle, mais vous, Mr. Blank, vous êtes cruel… cruel et indifférent à la douleur d’autrui. Vous jouez avec la vie des gens et vous n’assumez pas la responsabilité de ce que vous avez fait. Je ne vais pas rester ici à vous accabler de mes ennuis, mais je vous en veux pour ce qui m’est arrivé. Je vous en veux très sincèrement, et je vous méprise. 

Cet été, j’ai lu plusieurs romans de Paul Auster. J’ai notamment enfin achevé la trilogie new-yorkaise dont je n’avais lu que le premier volet ; cela peut sembler étonnant pour une austeromane, mais le fait est que ces romans ne m’attiraient pas beaucoup, et de fait, je n’ai pas plus aimé que ça. Je crois que je préfère le Paul Auster de la maturité. Et puis, je suis tombée sur ce roman, Dans le scriptorium. Un drôle de roman, pour le coup : j’avais d’ailleurs commencé à le lire avant de terminer la trilogie, mais je me suis vite rendu compte qu’il manquait des pièces.

Un vieil homme, Mr. Blank, se réveille dans une chambre, sans souvenir de qui il est. Tout au plus ressent-il un vague sentiment de culpabilité, sans savoir pourquoi. Au fil de la journée des gens lui rendent visite, des gens dont il ne se souvient pas mais qui l’accusent de lui fait des choses horribles.

Prodigieux et vertigineux, ce roman est une gigantesque mise en abyme de tous les romans qui précèdent, et constitue donc un jeu de piste : qui est qui, qui vient d’où, de quel roman ? Mr. Blank, c’est bien sûr Auster lui-même, face à ces personnages qu’il a créés et qui veulent se venger de ce qu’il leur a fait. Cela donne au final une réflexion assez curieuse sur l’écriture et la création…

Dans le scriptorium
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2007

Le Carnet rouge/L’art de la faim, de Paul Auster

Le Carnet rouge/L'art de la faim, de Paul AusterIl y eut une période, en particulier vers le milieu des années soixante-dix, où j’ai éprouvé le vif désir de mettre à l’épreuve de la publication mes propres idées sur les écrivains. Lire et admirer l’oeuvre de quelqu’un est une chose, c’en est une autre que d’ordonner sous une forme cohérente ce qu’on pense de cet auteur. Les gens sur qui j’ai écrit — Laura Riding, Edmond Jabès, Louis Wolfson, Knut Hamsun et d’autres — étaient des auteurs qui m’inspiraient le besoin de réagir. Je ne me suis jamais considéré comme un critique, mais simplement comme un écrivain qui s’efforce de parler des autres. Je pense que l’obligation d’écrire en prose en vue d’une publication m’a discipliné et m’a convaincu qu’après tout j’étais capable de le faire. De sorte qu’en un sens, ces petits textes de journalisme littéraire ont constitué un terrain d’entraînement pour les romans. 

Oui, je sais, j’en suis à mon quatrième « Paul Auster de l’année », ce qui commence à faire beaucoup, d’autant que l’année n’en est même pas à sa moitié. Mais voilà, en pleine période de doutes sur plein de choses et notamment sur l’écriture, j’ai éprouvé le besoin de me ressourcer dans les textes de celui que, pour plein de raisons, je considère comme un de mes « maîtres », toutes proportions gardées bien sûr, et notamment dans ses textes critiques. J’ai donc choisi ce recueil, surtout à la base pour Le Carnet rouge, ayant déjà lu L’Art de la faim (le problème : je sais que je l’ai lu, mais je n’ai aucune trace de cette lecture, pas même dans ma bibliothèque, ce qui me laisse pour le moins perplexe, bref).

La première partie de ce recueil est donc Le Carnet rouge, c’est-à-dire « le livre des coïncidences » de Paul Auster, dans lequel il consigne les hasards, synchronicités, coïncidences amusantes ou troublantes dont il a été le témoin ou qu’on lui a racontées. On sait le rôle que ces coïncidences ont dans l’oeuvre austérienne, même si un roman se doit d’être vraisemblable, exigence dont la vie s’affranchit souvent : on en a la preuve dans ce recueil de faits bruts, qui ont parfois de quoi laisser perplexe.

Suit L’Art de la faim, recueil d’essais critiques parus entre 1970 et 1993 (mais pour l’essentiel dans les années 70) dans plusieurs revues et notamment The New York Review of Books, ainsi que sa préface de son anthologie de la poésie française du XXe siècle. Ce n’est pas de la critique littéraire au sens habituel : Paul Auster ne donne pas de bons ni de mauvais points, il laisse voguer son âme sur l’oeuvre des autres, et surtout il pose sur l’oeuvre des autres un regard d’écrivain : il n’écrit que sur des auteurs qui l’intéressent (essentiellement des poètes), et parler de leur oeuvre est l’occasion pour lui de réfléchir à ses propres idées sur l’écriture et la littérature, tout en travaillant l’écriture en prose (il écrivait surtout de la poésie à l’époque). Pour Paul Auster, la chronique littéraire est une propédeutique à l’écriture.

L’ouvrage se clôt sur trois entretiens absolument passionnants : le premier sur la traduction, puisqu’Auster a d’abord été traducteur, et là encore ce travail fut pour lui un exercice d’écriture avant tout : se fondre dans les mots des autres pour trouver sa voix ; les deux autres sont plus axés sur les œuvres fictionnelles, leur genèse, et les thèmes austériens.

Bref : que du bon, du passionnant, du nourrissant, du vivifiant !

Le Carnet Rouge / L’Art de la faim
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 1992-1993 (Babel, 1995)

4321, de Paul Auster

4321, de Paul AusterQuelle idée intéressante, se dit Ferguson, de penser que les choses auraient pu se dérouler autrement pour lui, tout en restant le même. Le même garçon dans une autre maison avec un autre arbre. Le même garçon avec des parents différents. Le même garçon avec les mêmes parents mais qui ne faisaient pas les mêmes choses qu’actuellement. 

Oui, le voilà enfin. Certains se sont interrogés sur le fait que je n’en avais pas encore parlé. Plusieurs explications se carambolent : d’abord, lorsqu’il est paru, je n’étais pas au mieux de ma forme, et je ne voulais pas me gâcher le plaisir avec mon humeur chagrine (ça va mieux, merci). Ensuite, c’est quand même une brique, et je voulais me lancer dans cette lecture avec suffisamment de temps pour m’y consacrer vraiment (et comme vous l’aurez remarqué, le temps est un peu ce qui me manque actuellement). Enfin, j’ai mis un temps fou à lire les 100 dernières pages, parce que je n’avais pas du tout envie de le terminer et de quitter Ferguson. Mais voilà, j’ai fini par me faire violence, et c’est avec un peu de chagrin tout en étant totalement émerveillée que j’ai refermé ce roman.

Un roman difficile à résumer, on va se contenter du minimum : quatre versions différentes d’un même personnage, Archie Ferguson, de sa naissance à son passage à l’âge adulte au début des années 70.

Et c’est un grand roman. Que dis-je, un prodigieux roman, dans lequel Auster exploite pleinement toute l’étendue de son talent. Un grand roman sur l’Amérique, un grand roman sur l’amour et le désir, un grand roman sur l’écriture. L’idée de départ paraît simple, celle de l’exploration grâce à la fiction des mondes possibles, des réalités alternatives. Nous nous sommes tous posé un jour la question : que serait ma vie si certaines choses s’étaient passées autrement, si j’avais pris un autre chemin ? Cela donne évidemment, à chaque instant, une multitude d’embranchements, et ici Auster en choisit 4, qui s’ouvrent au moment du choix des parents de Ferguson d’acheter une maison ici, ou là. Dans les quatre versions, Ferguson est toujours le même tout en étant, forcément, différent, et la richesse de la vie est parfaitement décrite, avec en toile de fond les grands événements de l’histoire américaine sur lesquels s’imprime la vie de Ferguson, les choses qui changent de l’un à l’autre mais aussi d’autres qui sont tellement essentielles qu’elles reviennent.

Tour de force narratif, 4321 est surtout un roman éminemment austerien, dans lequel une nouvelle fois l’auteur explore l’identité en la fragmentant, et les liens entre la fiction et le réel. Si on connaît suffisamment Paul Auster, on s’aperçoit vite que chacun des Ferguson (surtout le dernier bien sûr, mais pas seulement) est une version partielle de lui-même, et on reconnaît certains éléments biographiques, ce qui lui permet, une nouvelles fois, de brouiller les frontières entre la fiction et le réel, avec des clins d’oeil non seulement à sa vie donc, mais aussi à ses autres romans. Je pense néanmoins que l’on peut apprécier le roman sans ces dimensions, qui apportent une richesse supplémentaire (peut-être une sorte de cadeau pour les addicts) mais le roman est d’une éblouissante richesse sans ça.

Est-ce qu’il y a un Ferguson que je préfère ? Je les aime tous, follement, mais c’est le dernier qui m’a le plus touchée (si vous avez lu cela ne vous étonnera pas), surtout la fin parce qu’évidemment, à la fin, Auster fait exactement ce que je pensais qu’il ferait (vu que c’est ce que j’aurais fait moi-même).

Alors lisez-le, c’est tout simplement indispensable, c’est un immense roman, un chef d’oeuvre. Il se mérite, c’est sûr, ce n’est pas pour les dilettantes car il faut lui consacrer du temps chaque jour (si on lit moins d’un chapitre et ils sont parfois longs on se perd), je conseille même de prendre des notes au début pour ne pas s’embrouiller (après quand il grandit ça va mieux), il est proprement intransportable, mais la récompense est à la hauteur : un très très grand bonheur de lecture.

4321
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Gérard Meudal
Actes Sud/Leméac, 2018

Bloc Notes

Trouvez votre éditeur : le Mazarine Book Day revient

Bonne nouvelle : le Mazarine Book Day revient pour la troisième année consécutive ! Pas de changement : toujours à l’Alcazar, le jury d’éditeur et le jury blogueur vous attendront pour que vous leur parliez de votre manuscrit et essayiez de les convaincre de le publier ! Pour les inscriptions c’est ici, la date c’est le 17 mars soit le lendemain de mes 40 ans donc je compte sur vous pour passer me faire un bisou !

Livre Paris

Le même week-end, soit du 16 (le jour-j) au 19 mars 2018, porte de Versailles. Cette année, le pays invité est la Russie, et mon petit doigt me dit qu’il y aura plein de surprises !

America n°4America n°4

Vous ne pensiez quand même pas y échapper ! America vient donc de fêter son premier anniversaire, et ce quatrième numéro est encore une fois absolument passionnant de la première à la dernière page. A noter, évidemment, l’entretien exceptionnel de François Busnel avec mon grand maître Paul Auster !

Deux animations

Récemment, je suis tombée sur deux petits films d’animation qui m’ont totalement bouleversée, et que j’avais vraiment envie de partager avec vous. Le premier, Extinguished, a été réalisé par Ashley Anderson et Jacob Mann, et se déroule dans un monde où l’amour est représenté par des flammes. Parfois on se brûle et on n’a plus envie d’essayer, mais voilà, on ne peut pas résister…

Le deuxième s’intitule Inner workings, de Leonardo Matsuda, un réalisateur brésilien qui nous montre que parfois, il ne faut pas trop écouter son cerveau pour être heureux : la déraison, ça a du bon !

L’Histoire de ma machine à écrire, de Paul Auster et Sam Messer

L'Histoire de ma machine à écrire, de Paul Auster et Sam MesserJusqu’à cette époque, je n’avais pas éprouvé pour ma machine à écrire un attachement particulier. C’était un simple outil qui me permettait de faire mon travail, mais dès lors qu’elle était devenue une espèce en danger, l’un des derniers artefacts survivants de l’homo scriptorus du XXe siècle, je me mis à nourrir pour elle une certaine affection. Bon gré, mal gré, je me rendais compte que nous avions le même passé. Avec le temps, je finis par comprendre que nous avions aussi le même avenir. 

Cet été, j’ai écrit L’Histoire de ma machine à écrire, avant de percuter que Paul Auster avait écrit un texte portant exactement le même titre, qui était dans ma liste depuis une éternité et que j’avais très bizarrement oublié. Evidemment, j’ai pensé que c’était un prétexte idéal pour enfin jeter un oeil à ce petit album.

En 1974, Paul Auster rentre en Amérique après son séjour en France. Mais, à l’arrivée, sa machine à écrire, une Hermes, est cassée. Il n’a pas trop les moyens d’en acheter une neuve, mais comme le destin veille, un de ses amis lui propose de lui vendre à un prix raisonnable une vieille Olympia portable dont il ne se sert pas. Depuis, l’écrivain ne s’est pas séparé de cette machine, sur laquelle il a écrit tous ses livres, et qu’au fil du temps il s’est mis à considérer comme une véritable personne, notamment grâce à son ami Sam Messer, peintre, qui ne cesse de la dessiner et d’en faire le sujet de ses tableaux et à qui, vraisemblablement, elle confie des secrets…

Cet album est un magnifique objet, parfait exemple de collaboration entre deux artistes, un écrivain et un peintre. D’un côté, Paul Auster nous conte l’histoire de la relation particulière qu’il entretien avec cette machine à écrire (histoire qu’il a écrite sur cette machine) : position de principe face à la modernité dont il se méfie, l’usage de cette machine mécanique aux temps du règne de l’ordinateur tout puissant a aussi quelque chose de l’ordre de la superstition et du symbolique, et il y a quelque chose de très poétique dans ces pages. De l’autre, le travail de Sam Messer, peintre que je ne connaissais pas et c’est bien dommage : les tableaux sont absolument extraordinaires, et montrent une véritable fascination pour cet objet, peint d’une multitude de façons. Je n’ai pu m’empêcher de me dire que ces tableaux iraient parfaitement avec ma décoration, mais je crois que malheureusement, c’est hors budget pour le moment.

Reste que je ne peux que conseiller vivement à tous les amoureux de Paul Auster, amoureux d’objets, amoureux de l’écriture de se procurer cet album résolument réjouissant !

L’histoire de ma machine à écrire
Paul AUSTER et Sam MESSER
Traduit de l’Américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2003

Léviathan, de Paul Auster

Léviathan, de Paul AusterSachs aimait ces ironies, les vastes folies et les contradictions de l’histoire, la façon dont les faits ne cessaient de se retourner sur eux-mêmes. A force de se gorger de tels faits, il arrivait à lire le monde comme une oeuvre d’imagination, à transformer des événements connus en symboles littéraires, tropes quelque sombre et complexe dessein enfoui dans le réel. 

Oui, je sais, j’avais déjà lu mon Paul Auster annuel. Mais nonobstant le fait que je l’avais lu un peu tôt alors que d’habitude je l’emmène avec moi en voyage, il se trouve que j’avais été un peu frustrée par Le voyage d’Anna Blumenon pas par ses qualités, c’est un très grand roman, mais parce que ce que j’aime chez Paul Auster, c’est qu’il me parle d’écriture et d’écrivains, et qu’en l’occurrence ce n’était pas le cas. Or cela faisait très longtemps que je voulais lire Léviathan, depuis que j’avais vu le travail coopératif de Sophie Calle et de Paul Auster suite à ce roman à Beaubourg, travail qui m’avait fascinée. Voilà comment Paul Auster s’est retrouvé à Lisbonne…

Peter Aaron est écrivain. Lorsqu’un jour, par hasard, il lit un entrefilet dans le journal racontant qu’on a retrouvé le corps non identifié d’un homme tué en manipulant des explosifs, il sait, malgré l’absence totale d’indices, qu’il s’agit de son ami Benjamin Sachs. Il décide alors, dans l’urgence, avant que la police ne progresse dans l’enquête, d’écrire un livre où il raconte ce qu’il sait de son ami…

Du très, très grand Paul Auster. Comme il le fait souvent et notamment dans Le livre des illusions, il s’amuse avec la référentialité, brouillant les pistes de l’identité. Paul Aaron a en effet bien des points communs avec Paul Auster, et pas seulement ses initiales : toute sa ligne biographique est calquée sur celle de l’auteur, les dates, certains événements, sa femme Iris (anagramme de Siri). Pourtant, évidemment, ce qui nous est raconté ici est de la pure invention, mais par ce procédé devient vraisemblable, et permet de réfléchir aux liens entre la vie et l’art, au monde réel comme s’il était un roman dans lequel chercher des signes. Et de fait, cela fonctionne au-delà des espérances de l’auteur : foisonnant de personnages d’artistes, le roman met notamment en scène Maria, dont certaines des oeuvres qu’il lui attribue sont inspirés de travaux de Sophie Calle qui elle-même, en retour, a réalisé des travaux de Maria qui avaient été imaginées par Auster. Et finalement, tout est comme ça dans le roman : jeux de miroirs et d’illusions, mise en abyme, vertige identificatoire… Cela donne un formidable roman sur la création, mais aussi sur l’Amérique, dont il interroge les valeurs et les symboles, sur l’engagement politique et le terrorisme !

Du très grand Paul Auster donc (oui, j’aime insister), ce roman prend sa place aux côtés de ceux que j’ai préférés de l’auteur (je les ai tous aimés, mais il y en a qui me nourrissent plus que d’autres et celui-là en fait partie) !

Léviathan
Paul AUSTER
Traduit de l’américain par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 1993

Le Voyage d’Anna Blume, de Paul Auster

Le Voyage d'Anna Blume, de Paul AusterNe perds pas patience envers moi. Je sais qu’il m’arrive de m’écarter du sujet, mais si je n’écris pas les choses telles qu’elles se présentent à moi, j’ai l’impression que je les perdrai définitivement. Mon esprit n’est plus tout à fait ce qu’il était. Il est plus lent, pesant et moins alerte, et suivre très loin ne serait-ce que la plus simple des pensées m’épuise. C’est donc ainsi que ça commence, malgré mes efforts. Les mots ne me viennent que lorsque je crois ne plus pouvoir les trouver, au moment où je désespère de pouvoir jamais les reprononcer. Chaque jour apporte la même lutte, le même vide, le même désir d’oublier et puis de ne pas oublier. Quand ça commence, ce n’est jamais ailleurs qu’ici, jamais ailleurs qu’à cette frontière, que le crayon se met à écrire. L’histoire commence et s’arrête, avance et puis se perd, et, entre chaque mot, quels silences, quelles paroles s’échappent et s’évanouissent pour ne jamais reparaître.

Mon Paul Auster annuel, en attendant le prochain qui, si mes informations sont exactes, devrait sortir début 2018 (et depuis le temps qu’il n’a pas sorti de roman, je piaffe). Celui dont je vais vous parler aujourd’hui, néanmoins, est très étrange…

Anna Blume écrit à son ami d’enfance depuis « le pays des choses dernières » (le titre original), où elle s’est rendue pour se lancer à la recherche de son frère William, journaliste, mystérieusement disparu. Ce qu’elle a découvert ressemble à l’Enfer : une ville en totale désagrégation, et où règnent la faim, la misère, les prédateurs et la mort, qui n’est peut-être pas finalement ce qu’il y a de pire.

Un roman assez effrayant, qui prend la forme d’un récit de voyage et en respecte globalement les codes, mais un voyage en dystopie, une sorte de post-apocalypse où toute une civilisation s’est effondrée et où les hommes sont revenus dans une sorte d’état sauvage, luttant âprement pour leur survie. De ce qui a mené à cette situation, nous ne saurons mais rien, de même que nous ne saurons jamais quel est ce pays (ou plutôt cette ville) même si quelques indices peuvent mener à penser qu’il s’agit des Etats-Unis : ce qui importe, ce sont les conséquences de cet effondrement, la description d’un monde chaotique où les choses disparaissent et s’oublient, ne sont même plus nommées. L’ensemble est profondément déstabilisant, à la fois finalement assez réaliste et peut-être prophétique sur l’avenir du monde, et profondément métaphorique et symbolique : en tout cas, le roman invite à la réflexion, montrant la fragilité de la civilisation qui peut s’effondrer à tout moment et ramener les hommes à l’état animal. Même Anna, qui vient d’ailleurs, a toujours vécu dans le confort, finit par être gagnée par cette déliquescence. Et pourtant, le roman distille une lueur d’espoir : même dans ce chaos, il reste des êtres profondément humains et altruistes.

Ce roman ne se classera pas parmi mes favoris de l’auteur : je préfère largement lorsqu’il nous parle d’écriture et de création (il y a des moments ici où il le fait un peu, cela dit). Mais cela reste un roman à lire parce qu’il interroge le monde, même si probablement il n’existe aucune réponse à ses questionnements.

In the Country of Last Things (Le Voyage d’Anna Blume)
Paul AUSTER
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Ferragut
Actes Sud, 1989 (Livre de Poche 1994)