Je crois qu’une des raisons de mon ennui actuel (au sens baudelairien) (une, pas la principale non plus) c’est que Paris commence à me manquer ! Cela fera quatre ans en mars que je n’y suis pas allée (pour mes 40 ans), la pandémie n’est donc pas la seule raison : disons que j’avais besoin d’une coupure pour me recentrer et qu’ensuite la pandémie est venue. Mais là, je ressens de plus en plus le besoin d’un shoot d’inspiration, d’énergie, de mouvement, visiter des expositions, me nourrir, toutes ces choses que finalement seule la Capitale peut m’offrir. Alors ce n’est pas pour tout à fait tout de suite, mais je commence à en rêver, et c’est déjà pas mal : avoir un petit projet d’évasion ! Et ça me fait comme l’idée de retrouver une personne chère que je n’aurais pas vue depuis trop longtemps et à qui j’aurai tellement de choses à dire !
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Les uns, les autres
A chaque fois que je lis à son propos ou que je tombe sur une photo de lui, je vois quelqu’un qui est à côté du monde. Finalement un jour il en prend acte et il se tire une balle dans la tête. Voilà les raisons qui me conduisent à choisir Romain Gary comme camarade de discussion : la société de classe, la mauvaise réputation. Dernière chose : j’ai lu un témoignage d’un de ses amis qui disait : « Quand il est sûr que personne ne regarde, Romain Gary saute dans les flaques d’eau. » Peut-être qu’à deux on pourra sauter dans les flaques d’eau au grand jour, sous le regard de tous. (Martin Page, « Quand il est sûr que personne ne regarde… »)
Si on vous proposait de passer un moment avec un artiste disparu, qui choisiriez vous de rencontrer ? Et où ? C’est la question qui a été posée aux douze auteurs de ce recueil.
Nathalie Azoulai nous conduit au Pyla, avec le peintre Albert Marquet ; non loin de là, de l’autre côté du Bassin, Arnaud Cathrine nous plonge dans le quotidien de Cocteau et Radiguet au Piquey. Patrick Besson nous guide dans le Paris de Joseph Roth. Emmanuelle Delacomptée se plonge dans un film de Rohmer à Saint-Lunaire. A Omaha Beach, le détective Marlowe, le héros de Chandler, reprend vie sous la plume de Jean-Michel Delacomptée. Jean-Paul Enthoven croise Aragon à Paris. Yves Harté se lance sur les pas de Carlos Gardel à Bordeaux. Cecile Ladjali discute avec Baudelaire au Père-Lachaise (enfin plutôt au cimetière du Montparnasse a priori). Franck Maubert nous fait revivre Isabel Rawsthorne et Alberto Giacometti à Montparnasse. Celine Minard nous plonge dans un récit féérique au pays de Galle, avec Sylvia Townsend Warner. Eric Naulleau boit du saké avec Ozu à Tokyo. Martin Page déterre Romain Gary et le conduit à Mesquer…
Des textes d’une très grande variété, tantôt réalistes tantôt fantastique voire merveilleux, qui permettent de voyager, de retrouver des auteurs connus et d’en découvrir d’autres — qui nous font pénétrer dans l’univers d’artistes qui font ou non parti de notre univers. C’est un recueil peuplé de fantômes, j’ai grandement apprécié tous les textes, mais ma préférence va tout de même à la nouvelle d’Arnaud Cathrine : d’abord parce qu’elle se déroule au Piquey, juste à côté du Cap-Ferret, que je visualise parfaitement les lieux (d’autant que j’ai de mon côté commencé des recherches sur les écrivains sur la presqu’île et donc sur Cocteau et Radiguet), mais surtout parce que c’est une histoire qui mêle l’amour, un amour désespéré et douloureux, et l’écriture.
Cependant, d’après ce que j’ai compris, le projet de ce recueil est né et a été mené à Arcachon, et deux nouvelles se déroulent donc sur le Bassin, et je me demande si cela n’aurait pas été intéressant, du coup, vu le nombre d’artistes qui y sont passés dans ce petit bout de paradis, d’entièrement le localiser là. On aurait croisé Anouilh dans sa maison des pêcheurs, Marcel Aymé, D’Annunzio, Heredia, et pourquoi pas Babar, né sur l’île aux oiseaux ? Bon, là je refais l’histoire à ma sauce, mais ce recueil est un vrai plaisir de lecture tel qu’il est !
Les uns, les autres
Robert Laffont, 2018
Irving Penn au Grand Palais
I myself always stood in awe of the camera. I recognize it for the instrument that it is, part Stradivarius, part scalpel.
Irving Penn fait partie des photographes dont le travail m’a toujours bouleversée. S’il est surtout connu pour ses séries dans les publications Condé-Nast et en particulier ses photos de mode pour Vogue, ce n’est là qu’une partie seulement de son travail, et inutile de dire que j’étais dans les starting-blocks pour voir cette rétrospective qui lui est consacrée au Grand Palais, rétrospective que j’ai vue début novembre mais que j’ai laissé décanter en moi. A vrai dire, je ne trouvais pas tellement les mots pour en parler, et d’ailleurs, je ne les trouve toujours pas.
En partenariat avec le Metropolitan Museum of Art de New York, le Grand Palais rend hommage au travail d’Irving Penn, dont l’année 2017 marque le centenaire de la naissance, par une rétrospective qui permet de saisir l’ampleur et la diversité de son travail : des photos de mode, bien sûr, mais aussi des natures mortes, des portraits de célébrités et d’anonymes avec de très belles séries sur les petits métiers, ainsi qu’une splendide série de nues féminins absolument sublime, car elle propose de vrais corps de femmes, avec leurs formes et leurs défauts.
L’exposition, très épurée avec ses murs noirs et gris, sa lumière tamisée, met parfaitement en valeur le travail en noir et blanc de Penn, dont l’essence tient dans la composition et la lumière. Tous les clichés sont d’une beauté inouïe, mais ce sont surtout les portraits qui m’ont subjuguée, car ils parviennent de façon saisissante à capter l’âme du sujet, et en particulier les portraits d’artistes et surtout d’écrivains : rares, il faut bien le dire, sont les photographes qui y parviennent, et Irving Penn était de ceux-là.
Une exposition donc à voir absolument !
Irving Penn
Grand Palais
Jusqu’au 29 janvier 2018
En mots et en images : novembre 2017
Les mots…
Novembre, le mois le plus détesté (de moi en tout cas) de l’année // Ma parenthèse parisienne avec un temps acceptable. Ma dose d’inspiration et de belles choses. Un petit déjeuner en terrasse. Trois magnifiques expositions. Baguenauder un peu dans la ville curieusement calme et presque déserte. Passer à la librairie Gallimard acheter mon agenda littéraire pour placer 2018 sous les meilleurs auspices. Et puis mon rituel devenu immuable : un café au Flore // Au restaurant ce soir. Revoir des perdus de vue // Un endroit original et un burger bio à tomber // Orléans by night. Ce n’est pas Paris, mais c’est joli // Pleine Lune. Où sont les loups-garous ? // Ouvrir grand les fenêtres et laisser entrer le monde // En mode Bree van de Kamp (i.e grand ménage d’automne) (qui est aussi une forme de procrastination) // En attendant le Goncourt // Entre consternation et agacement // Moment cocooning // Les feuilles mortes se ramassent à la pelle… les souvenirs et les regrets aussi // Certains jours, je m’agace tellement que je me demande comment les autres font pour me supporter // Avoir l’impression d’être à la fois Frédéric Moreau et le regard ironique de Flaubert sur Frédéric Moreau // Tomber dans la marmite de Schokobons. Si je continue, c’est moi qu’on va manger à Noël // Heureusement il y a aussi les clémentines // S’envelopper de douceur alors que dehors il fait moche. Fantasmer un feu de cheminée, mais ne pas avoir de cheminée. Fantasmer d’un bain, mais ne plus avoir de baignoire. Alors allumer des bougies et se glisser sous la couette avec une infusion fumante // Tu me vertiges // De Profundis Clamavi. D’humeur ténébreuse et mélancolique // Beaujolais nouveau. Célébrer Bacchus, pour changer de Saturne // Se mentir à soi-même, suffisamment bien pour ne plus savoir ce qui est vrai et ce qui est faux // Ecrire, furieusement. Ce qui a visiblement des répercussions émotionnelles. Je prie mon entourage de m’en excuser // Vouloir une réponse à une question que je ne pose pas // Allez hop, dans la boîte (aux lettres) // Sursum corda // Les bonnes choses de la vie…
Sur une idée originale de Moka
Les images…
Souvenirs dormants, de Patrick Modiano
Un jour, sur les quais, le titre d’un livre a retenu mon attention, Le Temps des rencontres. Pour moi aussi, il y a eu un temps des rencontres, dans un passé lointain. A cette époque, j’avais souvent peur du vide. Je n’éprouvais pas ce vertige quand j’étais seul, mais avec certaines personnes dont justement je venais de faire la rencontre. Je me disais pour me rassurer : il se présentera bien une occasion de leur fausser compagnie. Quelques-unes de ces personnes, vous ne saviez pas jusqu’où elles risquaient de vous entraîner. La pente était glissante.
Cela faisait trois ans, soit depuis qu’il a été couronné par le prix Nobel de littérature, que l’on attendait que Patrick Modiano poursuive son lent travail d’exploration de la mémoire et des souvenirs. C’est chose faite avec ces très troublants Souvenirs dormants, dont le titre m’a tout de suite fait penser à mon conte fondateur : comment alors résister à ce petit texte ?
Il s’agit donc d’un livre de souvenirs des gens rencontrés, et notamment des femmes mais pas uniquement — des noms et des êtres aujourd’hui disparus, évanouis, enfuis, oubliés, et qui font une dernière apparition.
Dire que ce texte est totalement modianesque n’éclairera sans doute pas beaucoup, et pourtant : on y retrouve bien sûr les thèmes obsédants de l’auteur, le passé et la mémoire, qui s’échappent toujours, une temporalité un peu floue, qui ne suit pas l’ordre chronologique mais adopte celui du surgissement aléatoire du souvenir et des fantômes qui resurgissent, comme le plan lumineux du métro, métaphore qui revient à plusieurs reprises ; un Paris labyrinthique et intime dans lequel erre le narrateur à la poursuite de lui-même, des personnages mystérieux surgis d’un passé enfui — mystérieux voire, pour certains, un peu louches, à la marge. Souvenirs Dormants est donc une pièce de plus au puzzle que constitue l’oeuvre de Modiano, développant notamment tout un pan qu’il ne me semble pas avoir déjà trouvé chez lui (mais je n’ai pas tout lu), autour de la spiritualité et de l’occulte, une société secrète autour de Georges Ivanovitch Gurdjieff, mais revenant aussi sur des faits racontés ailleurs et tissant un réseau intertextuel avec d’autres de ses romans, et notamment Quartier Perdu. Du coup, on s’interroge face au brouillage référentiel : qui parle ? Modiano lui-même ? Jean D ? Quelqu’un d’autre ? A qui sont ces carnets dont il parle ? Le lecteur part à la chasse aux indices. Et c’est, forcément, vertigineux.
Un roman au charme absolu qui ravira bien sûr les adeptes de l’auteur. Pour ceux qui ne l’ont jamais lu, je déconseille tout de même de commencer par celui-là , car très codé et intertextuel, il risquerait de les perdre, et ce serait dommage de louper sa rencontre avec ce magnifique auteur !
Souvenirs Dormants
Patrick MODIANO
Gallimard, 2017
Allez lire l’article de Galléa, modianophile absolue !
Picasso 1932, année érotique au musée Picasso
L’oeuvre qu’on fait est une façon de tenir son journal.
Si j’admire beaucoup Picasso, j’ai plus l’habitude de le fréquenter à Beaubourg (enfin « fréquenter »… on se comprend) que dans son (pourtant superbe) musée, où je n’avais pas reposé les pieds depuis une visite effectuée alors que j’étais en classe de première, ce qui ne rajeunit personne et surtout pas moi. Mais évidemment, avec un titre pareil, cette exposition ne pouvait que m’attirer comme le Nord attire l’aiguille de la boussole. On le sait, le sexe attire les visiteurs dans les expositions, et les musées rivalisent d’inventivité pour proposer des contenus plus sulfureux les uns que les autres, en tout cas sur le papier, je ne ferai pas la liste. Mais avec Picasso, cela n’a rien d’étonnant, puisque le sujet l’intéressait aussi bien sur le plan créatif que sur le plan personnel.
L’idée de l’exposition, qui s’ouvre sur une chronologie récapitulant tout ce que Picasso a fait en cette année 1932, est de déployer sa débordante activité quotidienne, comme si on visitait une sorte de bullet journal géant, avec tous ses tableaux évidemment, qui ne sont pas tous là mais sont néanmoins indiqués, et aussi des lettres, des tickets de spectacles, des télégrammes, et jusqu’aux notes d’épiciers et la liste de ses invités au réveillon de Noël : il faut dire que Picasso gardait tout, et que sa vie est donc parfaitement documentée, et pas seulement le clou de cette année 1932, à savoir la première rétrospective de son oeuvre, sur laquelle la documentation est d’une grande richesse.
C’est absolument fascinant : on a, réellement, l’impression de pénétrer au coeur de la vie de l’artiste, et finalement ses tableaux ne sont pas ici ce qu’il y a de plus spectaculaire même si c’est toujours un bonheur de les voir, en particulier certains : non, ce sont vraiment toutes ces traces de la vie quotidienne qui m’ont passionnée, les lettres, les cartes postales, tous ces petits vestiges intimes. L’exposition est en outre très claire et aérée, épurée, et c’est un plaisir d’y circuler.
Néanmoins, comme je m’y attendais un peu parce que ce n’est pas à Lucifer qu’on apprend à faire des grillades (ne cherchez pas, c’est ma nouvelle expression), « érotique » est un peu exagéré : certes, Picasso peint beaucoup de femmes nues, de situations d’abandon, mais cela n’a rien de sulfureux, et vous pouvez sans problème y aller avec des enfants (ce que d’ailleurs certains font). Je trouve donc dommage de survendre cette exposition avec un titre racoleur, alors qu’elle n’en a absolument pas besoin !
Une excellente exposition donc, passionnante et inspirante, à voir absolument !
Picasso 1932. Année érotique
Musée Picasso
Jusqu’au 11 février 2018
Bonnes adresses parisiennes : La Belle Hortense et Les Philosophes
Il est des lieux qui donnent immédiatement l’impression d’être un habitué, tant l’on s’y sent comme chez soi et tant l’accueil est parfait. C’est le cas de La Belle Hortense : j’avais noté cette adresse proposée par François Busnel dans son Paris littéraire et m’étais promis de tester dès que l’occasion se présenterait. Elle s’est présentée l’autre jour, lors du week-end du Forum Fnac. Idéalement située entre la Halle des Blancs Manteaux et mon hôtel, l’adresse était incontournable, et Benoît, Leiloona et moi y sommes allés deux fois. Et nous avons adoré !
Le lieu est cosy — autrement dit, tout petit : un bar et, à l’arrière, une petite salle confortable mais pour s’y installer, il faut bien tomber car il n’y a guère de place, mais si on a de la chance, qu’est-ce qu’on y est bien, au milieu des rayonnages couverts de livres soigneusement choisis et de bonnes bouteilles de vin — mention spéciale pour le blanc « à bouche que veux-tu » (à consommer avec modération), dont le nom à lui seul est tout un programme, et qui ne déçoit pas. Pour manger, soit dans l’arrière-salle soit tranquillement installé au bar, la maison propose notamment des assiettes mixtes parfaitement équilibrées (d’un point de vue gustatif, pas tellement nutritionnel) d’exquis fromages et de goûteuses charcuteries. Bref : un endroit parfait pour les soirées entre amis, un café-librairie comme on les aime !
En face, Les Philosophes. En réalité, le patron, Xavier Denamur, possède tout le carré : La Belle Hortense et Les Philosophes, donc, mais aussi La Chaise au plafond, l’Etoile manquante, et Le Petit Fer à cheval, ce qui permet notamment de prendre l’apéritif d’un côté en attendant qu’une table se libère de l’autre — du reste, c’est une question d’ambiance, car le menu est le même et les serveurs vont et viennent de l’un à l’autre. Nous n’avons pas pu dîner aux Philosophes car il y avait trop de monde, par contre le lendemain (dimanche) j’y ai pris un petit déjeuner très agréable : terrasse sympathique et calme (la rue n’est pas très passante), personnel aux petits soins. J’y ai aussi repris un dernier verre avec Benoît.
Bref, deux adresses à retenir pour mes prochaines pérégrinations dans le quartier : on s’y sent bien comme chez soi !
La Belle Hortense
31 rue Vieille-du-Temple
75004 Paris
Les Philosophes
28 rue Vieille-du-Temple
75004 Paris
Le site commun de tous les restaurants de Xavier Denamur ici !