Quarantièmes rugissants, cinquantièmes hurlants, soixantièmes déferlants

On vient de franchir le quarantième jour du confinement (une quarantaine au sens strict, donc). 40 jours de réflexions, de plongée en soi, de secousses émotionnelles. 40 jours. Dans la Bible c’est le temps de l’épreuve : 40 jours de déluge, 40 jours dans le désert, 40 jours de carême, 40 jours entre la résurrection et l’ascension. C’est beaucoup, 40 jours, et en même temps c’est peu pour se retrouver face à soi, faire le bilan, affiner ce que l’on veut et ce que l’on ne veut plus.

Et ça m’a fait penser à la navigation, parce que je me sens en pleine tempête, au cours de ce qui est un voyage que je considère comme spirituel (enfin pas que : je mange beaucoup aussi, mais restons sur le spirituel). Aux quarantièmes rugissants et cinquantièmes hurlants et soixantièmes déferlants : ces vents mythiques de l’océan austral qui constituent des obstacles redoutables lors des courses océaniques, des épreuves à traverser et qui façonnent à jamais le navigateur. Le Cap Horn, au 56e degré, en est le symbole. Un rite de passage.

Et, oui, ça rugit. C’est comme une déferlante. Les peurs. La tristesse. Et encore la colère : plus je creuse, et plus je trouve des couches de colère, ça s’agite, ça remue, ça gronde, ça explose parfois sous des prétextes bizarres, et puis ça se calme, et ça revient. C’est épuisant, d’autant que certaines de ces colères sont archaïques, remontent à la nuit des temps et ne m’appartiennent pas vraiment. D’autres sont vraiment à moi, mais j’ai du mal à savoir quoi en faire. En alchimie, on parle de transmutation : comment transmuter ma colère, ma rage contre ce qui ne me convient pas dans ma vie (et qui est ce qui va y revenir le plus vite malheureusement), mon sentiment d’impuissance, en quelque chose de créateur et d’utile ?

Je ne sais pas encore. Pour l’instant je brave la tempête : il y a encore du chemin avant le Cap Horn. Traversons. AtraversiamoGardons le cap, surtout : ne dévions pas du chemin, ne pensons pas au naufrage et avançons droit devant, en nous focalisant sur les petits moments de joie pour casser cette spirale infernale des sentiments négatifs et ne pas nous laisser engloutir par les vagues. Fluctuat, nec mergitur dit la devise de Paris, alors faisons pareil même si chaque jour semble un peu plus compliqué que le précédent.

Fred Buyle – Rencontres sous-marines de Fred Buyle & Alexandrine Civard-Racinais

rencontres sous-marinesCes images pleines de beauté et de grâce nous parlent en effet d’un monde où la cohabitation pacifique entre l’homme et les créatures marines est possible ; d’un monde où l’animal cesse d’être considéré comme une « ressource » à exploiter ou un « stock » à gérer, pour redevenir un être singulier doté d’une personnalité propre.

Je n’usurpe absolument pas mon signe astrologique de « poissons » : nulle part je me sens aussi bien que dans l’eau, et en particulier dans la mer, qui me fascine. Une de mes lubies d’enfant fut même de devenir « océanographe », avant que je n’envisage que pour cela, il fallait faire des études scientifiques. Et puis, bien sûr, j’ai vu Le Grand Bleu. Pour autant, je ne me suis jamais essayée à la plongée sous-marine, faute d’occasion plus que par manque d’envie car, réellement, je pense que j’adorerais. C’est donc avec beaucoup de curiosité que j’ai découvert Fred Buyle et ses splendides clichés sous-marins.

Le parcours de Fred Buyle est assez intéressant : après plusieurs années d’apnée de compétition, il a décidé de changer de cap, et de se consacrer à la photographie.

L’ouvrage, constitué d’entretien et d’images sous-marines, nous emmène donc à la rencontre d’un homme qui a fait de sa passion son activité professionnelle. Passion est un mot presque faible : on peut même parler de vocation, car Fred Buyle a toujours su que sa vie était sous l’eau. Il nous parle donc du monde de l’apnée de compétition et de l’importance du mental qui prend presque le pas sur le physique, et puis bien sûr de la photographie, l’apnée permettant une grande liberté de mouvement et un contact plus aisé avec les animaux. Ce que souhaite Fred Buyle, c’est transmettre cette sensation d’être libre, comme un poisson, dans ses clichés, et de mettre en scène les animaux dans leur vie quotidienne, ce travail n’étant pas uniquement esthétique, mais permettant aussi une meilleure connaissance de la vie sous-marine, et une réflexion particulièrement intéressante sur l’écosystème et la place de l’homme dans la nature.

Les photographies sont à couper le souffle. L’homme et l’animal, fût-il le plus impressionnant, semblent presque danser un ballet, comme en symbiose. On ne peut s’empêcher de rêver devant cette parfaite harmonie, mais on ne peut également que constater la petitesse de l’homme face aux géants.

Bref, un très beau livre à mettre sur la table basse, et à offrir à tous les amateurs de nature et de mer !

Fred Buyle – Rencontres sous-marines
Fred BUYLE et Alexandrine CIVARD-RACINAIS
Glénat, 2014