
Je suis en train d’écrire un livre sur cette fascination que la rousseur m’inspire. Il y est question d’un homme qui un jour rencontre une rousse, et dont les vies sexuelle, sentimentale, affective et sociale s’en trouvent passablement ébranlées. Soucieux de ne pas tomber dans l’autocomplaisance narcissique, ma démarche n’est pas de me limiter à l’exposé de mes propres ressentis, mais à les cadrer dans un contexte sociologique, historique, artistique, englobant toutes les vérités possibles relatives aux rousses : l’opprobre qu’elles ont suscité dans l’histoire, la fascination qu’elles ont exercée sur certains artistes, l’embarras qu’elles inspirent encore et toujours aux esprits les plus conformistes et manichéens… Et, en fin de liste, le désir qu’elles m’inspirent.
Les rousses ont depuis toujours hanté l’imaginaire masculin. Sulfureuses, volcaniques, incandescentes, elles sont entourées d’une aura de scandale et de danger qui fascine aussi bien les peintres que les écrivains, et s’est attiré les foudres de l’Inquisition, qui a longtemps considéré la chevelure flamboyante comme une marque d’un commerce coupable avec le démon. C’est dans ce sillage que s’inscrit Stéphane Rose avec ce livre qui tient à la fois du récit, de la confession et de l’essai.
Pourvu qu’elle soit rousse est l’histoire d’une obsession. Séparé d’Anaïs, sa première rousse, le narrateur cherche compulsivement à retrouver une part de ce qui faisait pour lui l’essence de sa compagne : sa rousseur. Il s’inscrit alors sur Meetic et commence à collectionner les femmes comme l’entomologiste les papillons. Avec certaines, il ne fait qu’échanger des messages, d’autres le renvoient paître en le traitant de malade, d’autres enfin couchent avec lui. Peu importe leur âge, leur corps, il les veut bien toutes. Toutes, pourvu qu’elles soient rousse.
Je dois avouer à ce stade que ce récit m’a laissée plutôt perplexe, et que je serais bien en peine de dire si j’ai aimé ou non, car en fait c’est beaucoup plus perplexe que ça : les divers aspects de ma personnalité ont apprécié à des degrés divers les différentes facettes de cet ouvrage. D’un point de vue intellectuel, c’est plutôt réussi, et j’ai vivement apprécié les passages autoréflexifs sur ce que l’auteur convient d’appeler une névrose, ou encore sur l’écriture. Très cultivé et érudit, l’auteur propose en outre de nombreux passages sur la rousseur elle-même, dans la littérature, les arts, la médecine ou l’histoire, et tout cela est véritablement passionnant, même si le sujet n’est pas non plus d’une originalité folle.
Néanmoins, toujours d’un point de vue intellectuel, certains passages m’ont mise mal à l’aise, car j’ai souvent eu l’impression que l’auteur considérait qu’il y avait bien une essence de la femme rousse, sexuellement insatiable et dégageant réellement cette odeur dont j’avais toujours considéré qu’elle était un mythe ; du coup, on a franchement l’impression que la femme est, dans ces pérégrinations érotiques, réduite a un pur objet qui n’aurait qu’une seule caractéristique : être rousse. Et c’est bien là le nœud du récit, puisque comme l’avoue l’auteur à la fin, ce qui n’était qu’un goût devient pathologique. Mais j’ai trouvé que l’auteur ne profitait pas assez du dispositif rétrospectif pour prendre ses distances avec son moi de cette période obsessionnelle, et qu’au contraire par moments (nombreux) l’identification était totale. Je vais prendre comme exemple un passage qui m’a franchement agacée : une longue diatribe contre les fausses rousses. Alors par honnêteté, je précise qu’en ce moment je suis « cuivré intense » et que par conséquent je me suis sentie directement visée. En fait, l’auteur postule (au présent d’actualité, donc cette théorie est supposée être toujours son opinion au moment où il écrit) que si une femme se teint les cheveux en roux, c’est en quelque sorte pour « voler » le côté sulfureux des vraies rousses, et leur reproche de ne pas aller jusqu’au bout de leur démarche en ne teignant pas aussi tout le reste. Et il a cette phrase absolument extraordinaire : « Quand l’ancienne châtaine teinte en rousse se retrouve nue face à son partenaire sexuel avec une chatte châtaine, à qui convient-il de faire l’amour, à la rousse ou à la châtaine ». J’avoue que j’en suis restée pantoise, car je ne savais pas qu’on faisait différemment l’amour à une femme en fonction de sa couleur de cheveux. Disons que dans ce passage, il y a vraiment l’affirmation de l’idée que l’identité est dans la couleur des cheveux, alors que cette différence elle est surtout dans le regard d’autrui : les femmes rousses ne sont pas plus sensuelles que les autres, à la base, c’est juste que les hommes les regardent comme telles ; je suis la même femme en châtain et en rousse, par contre, en effet les hommes ont tendance à être plus collants (oui parce que l’homme lambda ne fait pas la différence entre vraie rousse et fausse rousse ; l’homme lambda s’en fout, en fait ; en même temps je fais bien illusion : j’ai les yeux verts, la peau claire et des tâches de rousseur).
Bref, voilà pour le côté intellectuel. Passons maintenant, très rapidement, au côté animal et érotique, qui n’a pas eu le moindre effet sur moi. Bon, déjà j’ai trouvé cette obsession un peu triste, finalement. Disons que je comprends parfaitement qu’on soit plus attiré par tels ou tels traits physiques, mais qu’on en fasse une condition sine qua non, je trouve ça un peu bizarre. Et puis surtout, il faut bien avouer, l’ensemble est écrit d’un point de vue exclusivement masculin, donc peu susceptible de titiller mon imaginaire. D’où l’effet zéro.
Bref, un ouvrage que je conseillerai quand même aux curieux : il est plutôt bien écrit même si certains passages sont très crus, non dénué d’humour et dans l’ensemble plutôt lucide. Une curiosité, on va dire…
Pourvu qu’elle soit rousse
Stéphane ROSE
Archipel, 2010 (La Musardine, 2013)
L’avis de Stephie, positif même si assez différent du mien
By Stephie
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