Le Réconfort, de Pierre Daymé

Le Réconfort, de Pierre DayméMais l’histoire de Quentin et de Kristian Hansen telle que je la raconte, telle que je m’en souviens, n’a peut-être rien à voir avec ce qui s’est réellement passé. Je ne fais que rapporter les souvenirs de Quentin — je me souviens de souvenirs lointains. Ce que je crois savoir — mais la précision des faits n’en garantit pas l’exactitude —, c’est que Quentin a rencontré Kristian Hansen sur une application de rencontres vendredi 26 juin 2015, qu’il est arrivé à Malmö le jeudi 23 juillet de la même année et qu’il est rentré à Paris cinq jours plus tard, sans le dire à personne. Ce dont je suis certain, c’est que, pour lui, il y a eu un avant et un après. Aujourd’hui encore, je ne suis pas sûr d’avoir compris comment Kristian Hansen, en si peu de temps, avait pu jouer un rôle si décisif dans la vie de Quentin. Peut-être Quentin avait-il simplement besoin d’une raison pour tomber ? 

Comment résister à un roman qui porte un tel titre ?

Un roman qui commence par une fin, lorsque Quentin quitte Malmö et le lit de Kristian Hansen au petit matin, sachant qu’il n’y a pas de place pour lui. Le narrateur, lui, rencontre Quentin deux ans plus tard en Corse, puis le retrouve quelque temps après à Berlin, alors qu’il est lui-même l’amant de Kristian. Pour Quentin il est de toute façon trop tard, et, plusieurs années après, Quentin mort, le narrateur tente de rassembler les pièces du puzzle.

Je n’aurais pas forcément choisi ce titre pour ce roman, qui n’est pas vraiment réconfortant : au contraire, violent, sauvage, il se révèle extrêmement douloureux de par son thème, qui touche au plus sensible de notre être : l’obsession amoureuse, dont on ne sait finalement pas comment elle naît. Pourquoi des êtres que nous avons finalement peu vus nous marquent de leur empreinte indélébile, au point qu’on ne se remet jamais de les avoir croisés et d’avoir fait l’amour avec eux ? Quel point sensible ont-ils touché en nous ? Le roman creuse les failles et les fragilités de Quentin, cherchant à circonscrire le lieu en lui de la douleur. Celle de l’amour refusé, celle d’aimer qui ne nous aime pas. Ici le désir est triangulaire : le narrateur aime (est obsédé par) Quentin, qui aime Kristian, qui quelque part aime le narrateur. Malgré cette situation à bien des égards très particulière et spécifique, ce premier roman de Pierre Daymé a quelque chose de bien universel : comment parfois l’amour, au lieu de nous élever, nous fait plonger dans l’abîme.

Un roman sombre, âpre, mais qui, peut-être, si on le laisse voyager suffisamment longtemps en soi, peu réconforter…

Le Réconfort
Pierre DAYMÉ
Fayard, 2018

Respire, d’Anne-Sophie Brasme

RespireParler par pudeur, par violence, par colère, par douleur aussi. On écrit comme on tue : ça monte depuis le ventre, et puis d’un coup ça jaillit, là, dans la gorge. Comme un cri de désespoir.

Lorsque l’autre jour je vous ai parlé du dernier roman d’Anne-Sophie Brasme, beaucoup m’ont conseillé de lire son premier, Respire, qu’elle a écrit lorsqu’elle avait 17 ans, et qui vient de sortir au cinéma, adapté par Mélanie Laurent, donnant l’occasion au Livre de Poche de le rééditer. Bref, un beau faisceau de signes, n’est-il pas ?

Comme dans une tragédie grecque, on sait que tout va mal finir, puisque le roman commence en prison, où la narratrice est enfermée depuis deux ans pour meurtre. Âgée de dix-neuf ans, elle ne regrette pas son geste, mais décide de regarder enfin le passé et de mettre par écrit l’enchaînement des événements, en partant de la petite fille qu’elle était…

Ce roman m’a totalement bluffée par sa maîtrise absolue de l’engrenage fatal menant à la catastrophe et son utilisation très subtile de la métaphore filée : comme la narratrice dans son histoire, le lecteur est pris dans les filets du roman et ne peut qu’assister, impuissant, à ce qu’il sait inéluctable dès le départ. C’est presque pervers, d’ailleurs, mais cela permet au roman de gagner en profondeur : on ne se demande pas ce qui va se passer, on le sait, alors on peut mieux se concentrer sur l’analyse particulièrement fine des mécanismes psychologiques de la folie et de la dépendance affective, rendus encore plus bouleversants à cette période compliquée qu’est l’adolescence. Les souvenirs ici sont comme des bribes de passé à rassembler, des impressions, des flashs, des sensations diffuses, des émotions parfois, mais le pathos est étrangement absent. Le livre fait mal, est comme un coup de poing, mais pas tant par empathie pour la narratrice ou pour l’autre, même si parfois certains fait m’ont rappelé des petites choses douloureuses du passé ; non, si ce roman fait mal, c’est qu’il nous met face à nous-mêmes et nous oblige à regarder en face la complexité des rapports entre les êtres, la cruauté à un âge où on découvre le monde. C’est une histoire d’amitié et non d’amour et pourtant, tout y fonctionne exactement comme dans un couple, comme une histoire de passion amoureuse : le dominant et le dominé, le harcèlement, le pervers narcissique qui choisit sa proie et veut la détruire, la dépendance affective et obsessionnelle, comme une drogue. Et le sevrage, brutal, forcément.

Vraiment un grand roman, que je conseille à tous ceux qui ne l’ont pas déjà lu !

Respire
Anne-Sophie BRASME
Fayard, 2001 (LP 2002/2014)

Maladie d’amour, de Nathalie Rheims

Maladie d'amour Nathalie RheimsVous croyez que la médecine peut soigner l’amour ?

Ce que j’apprécie chez Nathalie Rheims, c’est sa capacité à écrire des choses très différentes. Avant le blog, je l’avais découverte avec un thriller ésotérique, Le Cercle de Megiddo. Et puis, il y a deux ans, j’avais été très touchée par Laisser les cendres s’envolerAujourd’hui, la revoilà avec un « thriller amoureux », qui ne m’a pas laissée indemne, pour de multiples raisons.

Alice, à 30 ans, est une grande amoureuse qui a la fâcheuse tendance de s’enticher d’hommes qui ne sont pas libres. Peu après sa rupture douloureuse avec Antonin, elle a un coup de foudre pour Daniel Costes, un chirurgien esthétique en vue. Mais sa meilleure amie Camille, à qui elle raconte tout, ne peut s’empêcher de s’inquiéter, d’autant que certains faits semblent étranges… elle se met alors à enquêter.

L’amour est-il une maladie contagieuse ?

J’avoue que ce roman m’a fortement perturbée, mais au départ pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à lui. A vrai dire, dès les premières pages, j’ai été prise de vertiges devant les correspondances entre ce que j’étais en train de lire, et ce que j’ai moi-même écrit : le sujet est sensiblement le même, l’héroïne porte le même prénom et a les mêmes travers, j’ai également un personnage qui s’appelle Camille et qui est très proche de mon héroïne (mais pas de la même manière), et certaines références sont les mêmes. Et je vous assure que toutes ces coïncidences m’ont pas mal désarçonnée. Je cherche d’ailleurs toujours une explication rationnelle, et j’attends un avis extérieur éclairé (Géraldine, help !). Mais bon, heureusement, Nathalie Rheims part ensuite dans une toute autre direction que moi, et j’ai pu me remettre d’aplomb, même si, forcément, mon lien avec l’héroïne a peut-être été un peu faussé. Bref.

Dans ce roman, Nathalie Rheims nous entraîne aux confins de la folie amoureuse, là où la frontière entre l’amour passion et la pathologie s’efface. Et ce de manière très habile, car dès le départ elle tisse une relation malsaine entre Alice et Camille, ce qui ne cesse de nous entraîner sur de mauvaises pistes et nous faire douter de tout, d’autant que les points de vue alternent au fil des chapitres. Car finalement, on ne sait pas vraiment laquelle est la plus déséquilibrée. A première vue, cela semble clair : Camille, mariée et mère de famille, incarne le versant lumineux et euphorique de l’amour ; Alice, elle, ne connaît que son côté sombre et douloureux. Jalousie ? Convoitise ? Sans doute, mais est-ce bien dans le sens que l’on imagine ? Laquelle vit par procuration ? Et puis, au milieu, ce Dan (Damne ?) peut-être pas si clair que ça… la fin ne peut que laisser perplexe, car le doute demeure : qui manipule qui ?

Très fine analyse d’une obsession plus que d’un amour, d’une maladie, l’érotomanie, plus que d’un sentiment, ce roman provoque un malaise indicible et nous pousse à nous interroger…

Maladie d’amour
Nathalie Rheims
Leo Scheer, 2014

Lu par Leiloona

Pourvu qu’elle soit rousse, de Stéphane Rose

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Je suis en train d’écrire un livre sur cette fascination que la rousseur m’inspire. Il y est question d’un homme qui un jour rencontre une rousse, et dont les vies sexuelle, sentimentale, affective et sociale s’en trouvent passablement ébranlées. Soucieux de ne pas tomber dans l’autocomplaisance narcissique, ma démarche n’est pas de me limiter à l’exposé de mes propres ressentis, mais à les cadrer dans un contexte sociologique, historique, artistique, englobant toutes les vérités possibles relatives aux rousses : l’opprobre qu’elles ont suscité dans l’histoire, la fascination qu’elles ont exercée sur certains artistes, l’embarras qu’elles inspirent encore et toujours aux esprits les plus conformistes et manichéens… Et, en fin de liste, le désir qu’elles m’inspirent.

Les rousses ont depuis toujours hanté l’imaginaire masculin. Sulfureuses, volcaniques, incandescentes, elles sont entourées d’une aura de scandale et de danger qui fascine aussi bien les peintres que les écrivains, et s’est attiré les foudres de l’Inquisition, qui a longtemps considéré la chevelure flamboyante comme une marque d’un commerce coupable avec le démon. C’est dans ce sillage que s’inscrit Stéphane Rose avec ce livre qui tient à la fois du récit, de la confession et de l’essai.

Pourvu qu’elle soit rousse est l’histoire d’une obsession. Séparé d’Anaïs, sa première rousse, le narrateur cherche compulsivement à retrouver une part de ce qui faisait pour lui l’essence de sa compagne : sa rousseur. Il s’inscrit alors sur Meetic et commence à collectionner les femmes comme l’entomologiste les papillons. Avec certaines, il ne fait qu’échanger des messages, d’autres le renvoient paître en le traitant de malade, d’autres enfin couchent avec lui. Peu importe leur âge, leur corps, il les veut bien toutes. Toutes, pourvu qu’elles soient rousse.

Je dois avouer à ce stade que ce récit m’a laissée plutôt perplexe, et que je serais bien en peine de dire si j’ai aimé ou non, car en fait c’est beaucoup plus perplexe que ça : les divers aspects de ma personnalité ont apprécié à des degrés divers les différentes facettes de cet ouvrage. D’un point de vue intellectuel, c’est plutôt réussi, et j’ai vivement apprécié les passages autoréflexifs sur ce que l’auteur convient d’appeler une névrose, ou encore sur l’écriture. Très cultivé et érudit, l’auteur propose en outre de nombreux passages sur la rousseur elle-même, dans la littérature, les arts, la médecine ou l’histoire, et tout cela est véritablement passionnant, même si le sujet n’est pas non plus d’une originalité folle.

Néanmoins, toujours d’un point de vue intellectuel, certains passages m’ont mise mal à l’aise, car j’ai souvent eu l’impression que l’auteur considérait qu’il y avait bien une essence de la femme rousse, sexuellement insatiable et dégageant réellement cette odeur dont j’avais toujours considéré qu’elle était un mythe ; du coup, on a franchement l’impression que la femme est, dans ces pérégrinations érotiques, réduite a un pur objet qui n’aurait qu’une seule caractéristique : être rousse. Et c’est bien là le nœud du récit, puisque comme l’avoue l’auteur à la fin, ce qui n’était qu’un goût devient pathologique. Mais j’ai trouvé que l’auteur ne profitait pas assez du dispositif rétrospectif pour prendre ses distances avec son moi de cette période obsessionnelle, et qu’au contraire par moments (nombreux) l’identification était totale. Je vais prendre comme exemple un passage qui m’a franchement agacée : une longue diatribe contre les fausses rousses. Alors par honnêteté, je précise qu’en ce moment je suis « cuivré intense » et que par conséquent je me suis sentie directement visée. En fait, l’auteur postule (au présent d’actualité, donc cette théorie est supposée être toujours son opinion au moment où il écrit) que si une femme se teint les cheveux en roux, c’est en quelque sorte pour « voler » le côté sulfureux des vraies rousses, et leur reproche de ne pas aller jusqu’au bout de leur démarche en ne teignant pas aussi tout le reste. Et il a cette phrase absolument extraordinaire : « Quand l’ancienne châtaine teinte en rousse se retrouve nue face à son partenaire sexuel avec une chatte châtaine, à qui convient-il de faire l’amour, à la rousse ou à la châtaine ». J’avoue que j’en suis restée pantoise, car je ne savais pas qu’on faisait différemment l’amour à une femme en fonction de sa couleur de cheveux. Disons que dans ce passage, il y a vraiment l’affirmation de l’idée que l’identité est dans la couleur des cheveux, alors que cette différence elle est surtout dans le regard d’autrui : les femmes rousses ne sont pas plus sensuelles que les autres, à la base, c’est juste que les hommes les regardent comme telles ; je suis la même femme en châtain et en rousse, par contre, en effet les hommes ont tendance à être plus collants (oui parce que l’homme lambda ne fait pas la différence entre vraie rousse et fausse rousse ; l’homme lambda s’en fout, en fait ; en même temps je fais bien illusion : j’ai les yeux verts, la peau claire et des tâches de rousseur).

Bref, voilà pour le côté intellectuel. Passons maintenant, très rapidement, au côté animal et érotique, qui n’a pas eu le moindre effet sur moi. Bon, déjà j’ai trouvé cette obsession un peu triste, finalement. Disons que je comprends parfaitement qu’on soit plus attiré par tels ou tels traits physiques, mais qu’on en fasse une condition sine qua non, je trouve ça un peu bizarre. Et puis surtout, il faut bien avouer, l’ensemble est écrit d’un point de vue exclusivement masculin, donc peu susceptible de titiller mon imaginaire. D’où l’effet zéro.

Bref, un ouvrage que je conseillerai quand même aux curieux : il est plutôt bien écrit même si certains passages sont très crus, non dénué d’humour et dans l’ensemble plutôt lucide. Une curiosité, on va dire…

Pourvu qu’elle soit rousse
Stéphane ROSE
Archipel, 2010 (La Musardine, 2013)

L’avis de Stephie, positif même si assez différent du mien

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