Il existe une double mythologie du journaliste : d’une part, le journaliste indépendant, calme, voyageur qui n’a qu’une parole — la même face au pouvoir et à la calomnie. Ce journalisme-là porte quelques noms célèbres : Henry Morton Stanley, Albert Londres, Ernest Hemingway, Henri Rochefort ou Joseph Kessel. Et puis il y a celui qui ne se conjugue qu’au pluriel, se conçoit en multitude impersonnelle et fait varier les cancans au gré des ventes. « Est-ce nouveau ? m’a demandé mon ami naïf. Est-ce lié à internet ? Qu’est-ce qui, dans les nouveaux médias, pourrait inspirer cet étrange dédoublement de personnalité ? »
Roland Barthes, dans ses Mythologies, entendait « réfléchir régulièrement sur quelques mythes de la vie quotidienne française » qui se trouvaient être, dans les années 50, le strip-tease, le catch, la Citroën DS ou encore le steak-frites. Le propos de la collection « Nouvelles mythologies » chez Robert Laffont, dirigée par Mazarine Pingeot et Sophie Nordmann, est d’effectuer un travail similaire sur notre époque : quelles sont les mythologies d’aujourd’hui ? L’un des deux premiers essais publiés, celui de Lauren Malka, se propose donc de déconstruire les mythes qui entourent le métier de journaliste, sujet qui me passionne absolument.
Le point de départ est la mutation violente qu’a subi le journalisme avec l’arrivée du numérique, aboutissant à une véritable crise d’identité. Sur ce sujet s’établit un dialogue, abordant de multiples aspects, et s’interrogeant sur l’image d’Épinal que l’on a tendance à avoir sur le métier de journaliste, ses permanences et ses mutations : finalement, les évolutions actuelles, plus qu’une révolution, ne consistent-elles pas tout simplement à pousser jusqu’au bout des logiques qui étaient présentes dès les origines du métier, et à les rendre plus évidentes, mais sans changer fondamentalement les choses ?
Passionnant, cet essai a pour mérite premier de ne pas être un exposé didactique de l’histoire du journalisme et de son image dans la société, mais de se situer au contraire quelque part entre le conte philosophique et le dialogue argumentatif entre le journaliste qui estime que le numérique et Google ont détruit ce qui faisait l’intérêt de sa profession, et l’historien qui explique, sources à l’appui, que le journalisme tel que le conçoit le premier n’a jamais existé. Chemin faisant, c’est donc une véritable histoire du journalisme que nous approchons à travers plusieurs thèmes, et notamment cette tarte à la crème qu’est la dé-professionnalisation du métier à cause d’internet et notamment des vilains blogueurs qui volent leur travail aux vrais journalistes : or, l’essai le montre bien, définir ce qu’est un « vrai » journaliste s’apparente à une gageure. La profession a toujours eu des contours flous, et cela ne date pas d’internet : le journaliste, est-ce celui qui a fait une école de journalisme (ce qui exclut bien des gens et pas des moindres ) ? Celui qui a le statut administratif de journaliste, travaille comme tel et détient la fameuse carte de presse (même remarque) ? Celui qui écrit des articles, indépendamment de son statut administratif ? Celui qui respecte la charte de déontologie du journalisme ?
Bref, c’est compliqué, et Google, qui tient évidemment une grande place dans les réflexions, à la fois Dieu et Démon tout puissant, n’est pas le seul responsable de la crise d’identité actuelle des médias. En revanche, c’est certain, il oblige la profession à s’interroger sur elle-même et sur ses pratiques, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose : sortir de l’idéalisation du métier pour avancer. C’est en tout cas ce à quoi invite ce petit essai, plutôt optimiste (mutation ne veut pas dire mort), à placer entre toutes les mains, celles des journalistes comme celles de ceux qui s’intéressent aux médias !
Les journalistes se slashent pour mourir, la presse face au défi numérique
Lauren MALKA
Robert Laffont, « Nouvelles mythologies », 2016
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