Qu’auriez-vous aimé comprendre plus tôt dans la vie ?

Je ne sais plus à quelle occasion je réfléchissais l’autre jour au fait qu’en vieillissant, j’avais compris beaucoup de choses, notamment sur moi, sur mes croyances (fausses), et que peut-être, cela n’aurait pas été plus mal de comprendre tout cela lorsque j’étais plus jeune.

Bien sûr, il y a cette croyance au sujet du travail et de l’argent dont je parlais l’autre jour. Il y a aussi toutes mes croyances au sujet de l’amour et du couple.

Il y a aussi les croyances à propos de moi. J’aurais aimé comprendre que je ne dysfonctionnait pas : je fonctionne autrement, c’est tout. Oui, je suis souvent perdue dans mes pensées, et il est difficile de m’atteindre. Oui, mon cerveau est en ébullition constante, j’ai mille idées qui « popent » constamment, et il est difficile de me suivre. Oui, je suis hypersensible, je ne supporte pas le bruit et l’agitation, je pleure devant les pubs Ricoré, et c’est très déconcertant. Oui, je suis passionnée, excessive, et cela peut faire peur. Oui, j’ai des centres d’intérêt extrêmement divers, parfois étranges, j’ai souvent connaissance de faits sans pouvoir expliquer d’où me vient ce savoir, et c’est étonnant. Mais je ne dysfonctionne pas.

J’aurais aimé savoir tout ça, comprendre que ceux qui me harcelaient et me rejetaient ne le faisaient que par peur ou incompréhension. Que ceux qui m’aimaient m’aimaient et m’aimeraient comme je suis, et pour les autres tant pis, ce n’est pas grave, ce n’est pas une grosse perte que de perdre ceux qui conditionnent leur amour à notre soumission à la norme et à ce qu’ils veulent de nous. J’aurais aimé comprendre que je n’étais pas obligée de me contorsionner, de couper des bouts de moi pour entrer dans une boîte trop petite, pas de la bonne forme, pour être acceptée. J’aurais aimé comprendre que si je voulais être aimée, je voulais l’être pour la personne que je suis, et pas pour un personnage que j’aurais créé.

Si j’avais compris tout cela plus tôt, sans doute certains de mes choix auraient-ils été différents.

Mais ce n’est pas comme cela que la vie se passe. La vie n’a pas de mode d’emploi : on apprend en vivant. En faisant des expériences. En vieillissant. On apprend les choses lorsqu’on est prêt. Et il vaut mieux comprendre les choses tard que de ne jamais les comprendre, et passer son existence entière dans les vêtements de quelqu’un d’autre…

Et vous, il y a des choses que vous auriez aimé comprendre plus tôt dans votre vie ?

Murmures dans un mégaphone, de Rachel Elliott

Murmures dans un megaphonePrincipal problème ? Les autres gens. Ça a toujours été le problème. Les autres gens paraissent tout savoir. Ils savent de quoi une vie doit être faite, toutes les choses simples et compliquées, comme les courses de la semaine, la zumba, l’intimité physique avec un corps étranger. Ils connaissent les règles, savent les appliquer. Miriam a trente-cinq ans et lorsqu’elle regarde par la fenêtre, tout ce qu’elle voit c’est un monde rempli de gens qui savent des choses qu’elle ne saura jamais.

Attention, roman étonnant qui, sous ses airs de feel good novel, interroge la société et notre rapport aux autres.

Miriam a trente-cinq ans et n’est pas sortie de sa maison depuis trois ans. Ralph, lui, a fui sa femme et ses enfants le jour de son anniversaire, et s’est réfugié au milieu des bois. Il faut dire que tous les deux ont toutes les raisons du monde de vouloir se protéger des autres êtres humains. Pourtant, ils se sentent inadaptés, anormaux. Mais n’est-ce pas plutôt le monde qui est fou ?

Assez déconcertant de prime abord, ce roman marche en équilibriste sur le fil tendu entre la fantaisie la plus débridée (comme savent si bien le faire les Anglais) et la mélancolie douloureuse. On rit souvent, mais certaines scènes auraient plutôt tendance à faire pleurer, au fur et à mesure que les deux personnages centraux, extrêmement touchants et attachants, révèlent leur histoire, leurs failles, leurs blessures et leur difficulté à vivre dans le monde tel qu’il est. Un monde dans lequel, finalement, tous les individus sont plus ou moins toqués, ou en tout cas névrosés, mais où on ne considère comme fous que ceux qui ne parviennent pas à s’adapter à cette folie dominante. Avec beaucoup d’acuité, le roman travaille donc à faire exploser ces frontières entre la norme et la folie, le centre et la marge : roman de la résilience, de la reconstruction, de la réparation et de la réconciliation avec soi, il se révèle finalement d’un grand optimisme, et ça fait un bien fou.

Un roman qui plaira à tous ceux qui se croient anormaux, à savoir sans aucun doute beaucoup de monde !

Murmures dans un mégaphone
Rachel ELIOTT
Traduit de l’anglais par Mathilde Bach
Payot/Rivages, 2016