Haute fidélité, de Nick Hornby

Haute fidélité, de Nick HornbyIl me semble que si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui vous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, il faut y picorer, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut-être que nous vivons tous de façon trop aiguë, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. Peut-être qu’Al Green est directement responsable de beaucoup plus que je ne pensais. 

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman ! Mais je ne sais pas pourquoi (pas seulement le manque de temps), quelque chose me retenait. Et puis l’autre jour, une petite voix (oui, nous sommes un certain nombre dans ma tête) m’a dit que c’était le moment, alors soit. Et puis ça tombe bien, c’est le mois anglais.

Rob, le narrateur, tient un magasin de disques dans le nord de Londres, et vient de se faire plaquer pour la trèsnombreusième fois de sa vie, après des années de vie commune avec Laura. Et il essaie de s’en remettre comme il peut, en écoutant de la musique, et en faisant la liste de ses ruptures inoubliables, dont ne fait pas partie celle avec Laura, essaie-t-il de se convaincre : non, il est trop vieux pour avoir le coeur brisé, et ses ruptures les plus douloureuses étaient forcément les cinq premières…

Voilà un roman qui ne trahit pas sa réputation d’être extrêmement drôle, et plein d’autodérision. Mais, je l’avoue, aussi pathétique et lâche qu’il soit parfois, Rob m’a surtout éminemment attendrie et j’avais envie de le prendre dans mes bras pour consoler ce pauvre petit oiseau tombé du nid. Parce que, mine de rien, au-delà de l’humour ravageur, Nick Hornby analyse à la perfection le précaire masculin, subordonné au culte de la virilité et de la performance (alors qu’ils sont des pauvres petites choses fragiles, au fond), et le conditionnement amoureux : est-ce que nos histoires présentes se jouent dans nos histoires passées, nos amourettes d’adolescent et de jeune adulte même si elles ont duré deux jours ? Les cinq premières histoires qui conditionnent toute notre vie ? C’est, finalement, un roman sur l’abandon : en ayant été abandonné ou trahi (dans sa tête du moins) par ses cinq premières copines, Rob a développé une mauvaise image de lui-même, ne cesse donc de répéter un schéma identique, et refuse de s’engager. Sauf que ça, bien sûr, il ne le comprend pas vraiment. Et c’est vrai que nous sommes tellement conditionnés, hommes comme femmes, que nous ne nous en apercevons pas toujours, mais si ce constat est valable pour les deux sexes, je finis par me demander si malgré les apparences et la société qui les oblige à jouer aux durs, les hommes (certains en tout cas) ne sont pas plus sensibles et fragiles émotionnellement que nous, en particulier ceux qui se comportent comme de parfaits c*** (oui je sais, je ne viens pas de découvrir le fil à couper le beurre et ce n’est pas avec ça que je vais gagner un prix Nobel, mais tout de même). Et ce roman, imprégné de musique (c’est même une véritable playlist), en est la parfaite illustration : si Rob agit parfois comme un tocard, c’est qu’il est au fond trop sensible…

Bref un roman drôle, très, mais pas seulement. Je l’offrirais bien à quelqu’un…

Haute fidélité
Nick HORNBY
Traduit de l’anglais par Gilles Lergen
Feux Croisés/Plon, 1997 (10/18, 1999)

Le mois anglais