California Dreamin’ de Pénélope Bagieu

California Dreamin' de Pénélope BagieuAll the leaves are brown (all the leaves are brown)
And the sky is grey (and the sky is grey)
I’ve been for a walk (I’ve been for a walk)
On a winter’s day (on a winter’s day)
I’d be safe and warm (I’d be safe and warm)
If I was in L.A. (if I was in L.A.)
California dreamin’ (California dreamin’)
On such a winter’s day

California Dreamin’ a toujours fait partie de mes chansons fétiches, surtout en hiver lorsque le ciel est effectivement gris, et que j’ai froid, et que franchement, je serais beaucoup mieux sous le soleil de la Californie (un peu comme au moment où j’écris cet article, en gros). En outre, j’adore le travail de Pénélope Bagieu, depuis les débuts, et j’aime beaucoup le tournant qu’a pris son oeuvre, dans laquelle elle met en lumière des figures féminines au destin fascinant. On peut du coup s’interroger sur les raisons pour lesquelles j’ai tant tardé à lire cet album, et la raison est toute simple (en plus d’être idiote) : je l’avais oublié. Heureusement, notre   Stephie nationale me l’a remis en mémoire dernièrement.

L’album raconte donc le parcours de Ellen Cohen, alias Cass Elliot, alias Mama Cass, de son enfance au premier tube du groupe The Mamas and the Papas, California Dreamin’. 

Sacré personnage que Pénélope Bagieu a choisi pour cet album : drôle, impertinente, dotée d’une immense confiance en elle et en son talent, elle aurait pu être l’une des Culottées. Du coup, l’ensemble se lit d’une traite, chapitre après chapitre consacrés chacun a un point de vue particulier ; on rit souvent, mais c’est parfois aussi un peu mélancolique ; pourtant, le graphisme de cet album peut dérouter au départ, car Bagieu a choisi le noir et blanc, choix qui n’est pas forcément évident vu le sujet, et qui pourtant fonctionne à merveille. En tournant la dernière page, on ne peut qu’aimer encore plus Mama Cass, et avoir envie d’écouter sa musique.

California Dreamin’
Pénélope BAGIEU
Gallimard, 2015

Et bien sûr :

Et puis celle-là aussi :

La sonate oubliée, de Christiana Moreau

La sonate oubliéeLorsque l’objet tant convoité était arrivé, Lionella l’avait accueilli, folle de joie, en le plaçant contre son coeur, avec un bonheur encore jamais éprouvé dans sa jeune existence. Déjà toute petite, elle se sentait en osmose avec cet instrument si sensuel qu’on enlace presque comme un corps. Le violoncelle était entré dans sa vie et ne la quitterait plus.
Dès lors avait commencé la longue initiation, les heures de travail et d’amusement, de découragement et d’allégresse.

Le violoncelle est sans aucun doute l’un des instruments que je préfère écouter, et notamment le prélude de la suite n°1 jouée par Mstislav Rostropóvich, qui a tendance à tourner en boucle dans mes oreilles tant elle me donne des frissons et dont je parle d’ailleurs dans une de mes nouvelles où je m’intéresse au pouvoir érotique de la musique (tout un programme, n’est-ce pas). Bref. Ici il n’est de toute façon pas question de Bach, mais de Vivaldi (que j’aime beaucoup aussi), de Venise et d’un violoncelle Goffriller.

La seule chose qui anime la jeune Lionella, c’est la musique, et le violoncelle en particulier. Inscrite par son professeur au prestigieux concours Arpèges, elle désespère de trouver une oeuvre originale qui lui permettra de se démarquer. C’est alors que son meilleur ami, Kévin, qui ne connaît rien à la musique mais aime profondément Lionella, déniche aux puces un mystérieux coffret, contenant entre autres choses la partition d’une sonate pour violoncelle. Serait-ce une oeuvre oubliée de Vivaldi, écrite pour une de ses élèves de l’Ospidale della Pietà di Venezia ? Intriguée, Lionella se plonge dans la lecture du journal qui accompagne la partition, celui d’Ada, une jeune pensionnaire de la Pietà qui fut l’élève du Maestro..

Un premier roman particulièrement réussi, qui nous fait voyager de Seraing, ville minière près de Liège, à la Venise du XVIIIe siècle avec beaucoup d’habileté. Les âmes des deux jeunes filles, Ada et Lionella, se répondent à travers l’espace et le temps, et communiquent grâce à la magie du violoncelle : toutes deux sont virtuoses, mais seule l’une des deux peut réellement achever son destin musical. L’aspect historique du roman est particulièrement passionnant, car il nous transporte aux côtés de Vivaldi et aborde un aspect de l’histoire assez méconnu (en tout cas de moi) : les figlie di coro, ces jeunes filles abandonnées à la naissance et recueillies par l’Ospidale della Pietà, où telles des nonnes elles étaient vouées entièrement à la musique, jouant dans l’église dans une galerie cachée de tous, et condamnées à l’enfermement. Si la musique vibre dans ce roman, c’est qu’elle y est associée au motif de la liberté. Les pages où l’auteur décrit la relation des jeunes filles à leur instrument sont d’une très grande sensualité.

Et puis, j’avoue, un détail m’a amusée : celui du Goffriller. Souvenez-vous : dans On dirait nousSoline a un Goffriller de 1701, prêté par un fond de pension anglais ; ici, Ada possède elle aussi un Goffriller, de 1725, et surtout, une banque prête à Lionella… Un Goffriller, fabriqué entre 1695 et 1715. Pas le même, donc, mais tout de même, la coïncidente est rigolote.

Bref : un très bon premier roman, que je recommande chaudement !

La Sonate oubliée
Christiana MOREAU
Préludes, 2017

Like a Nobel Prize. La querelle de Bob Dylan

bobdylanDepuis jeudi, je ne sais toujours pas quoi en penser.

J’étais tout à fait persuadée que, pour des raisons pas uniquement littéraires d’ailleurs, Salman Rushdie serait cette année le lauréat du Prix Nobel de Littérature. Oates, cela m’aurait un peu révoltée, attendu qu’un écrivain qui signe une pétition pour qu’on ne remette pas un prix de la liberté d’expression à des journalistes assassinés, je trouve que ça affiche mal ; Roth je pense que plus personne n’y croit ; Adonis ça me ferait plaisir, me donnant l’occasion de le lire (parce que sans occasion… ; Kundera, cela me ravirait mais j’y crois de moins en moins ; enfin, bref, il y avait de multiples possibilités, certaines moins surprenantes que d’autres.

Lorsqu’une notification est arrivée sur mon téléphone (cette année je n’ai malheureusement pas pu suivre en direct l’annonce) pour me dire que c’était Bob Dylan, j’ai ri. D’abord parce que j’ai cru à une blague. Ensuite parce que j’ai compris que c’était vrai, et c’était un rire un peu jaune. Et je me suis dit que les jurés se moquaient quand même un peu du monde.

Après, je me suis rendu compte que cet avis (les jurés se moquent du monde) n’était pas unanimement partagé dans le petit univers littéraire, et qu’au contraire on assistait à un début de bataille rangée, de querelle comme l’histoire des lettres en compte tant. Passant outre les malotrus d’un bord ou de l’autre, se traitant qui de décérébré, qui de vieux hippie, qui d’assassin de la littérature, qui d’ignorant, je me suis intéressée d’un peu plus près aux arguments de ceux qui trouvaient ça chouette, que Bob Dylan ait le Prix Nobel. 

Mon point de vue de départ était déjà que la chanson est de la littérature, en particulier lorsqu’elle est écrite par quelqu’un de talent (Bob Dylan, Leonard Cohen, Patti Smith ou autres). Mon souci (et ma perplexité) était sur la question de la hiérarchie. Pas que la chanson soit un art mineur, je ne suis pas d’accord avec Gainsbourg sur ce point. Mais hiérarchie entre l’oeuvre de Dylan et celle des écrivains recalés.

L’idée, on le comprend, est d’interroger la définition même du champ littéraire et de ses frontières ; c’était déjà le cas l’an dernier avec Svetlana Alexievitch, qui écrit du reportage et non ce que l’on a l’habitude d’appeler « littérature ». Manifestement, les jurés du Nobel entendent mettre fin à la confusion, à l’identification littérature/roman ou plus largement fiction. Soit. De fait, pendant longtemps, la littérature, les Belles lettres, c’était un petit peu tout ce qui s’écrivait, finalement, des sermons de Bossuet aux chroniques de guerres en passant par les tragédies de Racine. Si l’on remonte encore plus loin, la littérature n’était pas écrite, mais orale et chantée. Que l’on pense à Homère, aède des aèdes.

De ce point de vue, le choix de Dylan fait évidemment sens : rappeler les sources orales et musicales de notre littérature. Rappeler que le champ littéraire est plus vaste que ce qu’on entend habituellement. Et à bien des égards, ce rappel est évidemment salutaire.

Est-il pour autant opportun ? C’est sur ce point, véritablement, que je reste sceptique. Le Nobel vise à récompenser un écrivain ayant rendu de grands services à l’humanité grâce à une œuvre littéraire qui « a fait la preuve d’un puissant idéal ». Est-ce le cas de Dylan ? Je veux bien acquiescer sur ce premier point. Même si, tout de même, je butte toujours sur cette histoire de hiérarchie. Sauf à considérer que le service rendu est d’autant plus grand que l’oeuvre circule mieux. Admettons.

Mais justement : l’oeuvre circule, partout. C’est bien. Mais. A l’heure où le livre, l’écrit est en danger, est-ce un bon signal de primer un auteur dont les gens pourront dire qu’ils connaissent son oeuvre parce qu’ils sont allés écouter cinq chansons sur youtube ? En un sens, c’est une bonne chose, cela désacralise le Nobel ; mais cela sonne aussi, un peu, démago. La littérature à portée de ceux qui ne lisent pas. Tous les ans, le Nobel fait vendre des livres, parce qu’il y a toujours des curieux pour s’intéresser à cet auteur lauréat que dans la plupart des cas ils ne connaissaient pas. Dans le cas présent, quand bien même le support livre existe (textes des chansons mais aussi chroniques) je crois que les gens vont surtout, dans le meilleur des cas, télécharger ses albums. Et ils auront raison, car la chanson ne se lit pas, elle s’écoute, sinon elle perd une grande partie de sa magie.

Du coup, après toutes ces réflexions, je reste profondément perplexe et partagée…

Et vous ?

Une question d’harmonie, de Bérengère de Chocqueuse

Une question d'harmonieComment voulez-vous vous sentir seul quand vous êtes entouré de livres et que surtout vous avez pour compagne une magnifique contrebasse ?  

Encore un premier roman, encore un roman délicat et léger qui pourra agréablement accompagner votre été.

Julia n’a pas eu de grands-parents. C’est pour cette raison qu’elle s’est inscrite dans une association qui vise à tisser des liens entre les générations, en proposant à des jeunes d’entrer en contact et de s’occuper de seniors isolés. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Paul Varande, 80 ans et ancien musicien à l’Orchestre National de France. Mais la communication est au départ un peu difficile : Paul est attaché à sa solitude et voit Julia comme une intruse.

Un très joli roman, dans lequel le présent de Julia et le passé de Paul alternent afin de nous montrer les échos entre les personnages, qui petit à petit s’apprivoisent autour de l’amour de l’art et de la musique. Ce qui est en jeu, ici, outre le lien entre les générations et les liens très forts qui peuvent se tisser malgré les années d’écart, c’est de trouver sa voie : si Paul a tout de suite su que la contrebasse était son destin, Julia elle hésite beaucoup ; de la même manière, en amour, comment sait-on qu’on a rencontré la bonne personne ?

Bref, un roman très agréable, sur lequel il n’y a pas grand chose à dire, mais qui permet de passer un bon moment…

Une question d’harmonie
Bérengère de CHOCQUEUSE
Belfond, 2016

Sea, sex and sun (and music, and fun)

C’est l’été, et donc c’est le retour de la radio de l’été de Lolobobo. Comme on me l’a demandé gentiment, je vous livre la chanson qui m’accompagnait, m’accompagne et m’accompagnera : Sea, sex and sun de Gainsbourg. Pourquoi ? Parce que je suis d’humeur décadente en ce moment, j’ai envie de trucs caliente pour accompagner l’écriture de textes qui le sont tout autant, en particulier une nouvelle aventure de Salomé très estivale mais qui me donne un peu de fil à retordre. Voilà.

Par contre, je déteste taguer les gens donc je ne le fais pas, mais si d’aventure vous voulez vous lancer, voici les règles :

1/ tu choisi une chanson, une musique une reprise, qui accompagne ton été, ou qui a accompagné ton été il y a quelque années, ou qui accompagnera un été futur

2/ Tu fais un billet sur ton blog et dans ce billet tu indique:

  • La vidéo Youtube (ou un lien vers la vidéo youtube) de ta chanson de l’été
  • Si tu veux (c’est mieux) tu racontes pourquoi c’est ta chanson de l’été, tu peux parler de la chanson partager une anecdote qui fait le lien entre toi et la chanson.
  • Tu désigne 1 ou 2 blogueuses ou blogueurs (ou plus ou moins, c’est toi qui vois) que tu voudrais voir prendre ta suite dans la chaine
  • Tu rappelle cette règle
  • et tu fais un lien sur le billet de Lolobobo

3/ tu préviens tout le monde

Musique : trois filles à découvrir

Cela fait un moment que je ne vous avais pas parlé de musique, et ce n’était pas faute d’avoir des choses à vous faire découvrir puisque deux de ces albums attendaient depuis des mois que je trouve un moment pour les écouter. Le troisième est arrivé plus récemment, et m’a donné l’impulsion nécessaire. Le fait est que, si les trois ont en commun d’être des albums féminins (au sens où chantés par une femme), ils proposent des univers radicalement différents.

Vanille

VanilleVanille (de son nom complet Vanille Leclerc) propose un EP de cinq titres sur lesquels elle fait tout : paroles, musique et interprétation, sauf le titre « juste comme ça » qu’elle a composé en collaboration avec Adrien Gallo. La voix est intéressante, fraîche, en revanche j’ai trouvé les paroles pas toujours transcendantes, sauf celles du titre que j’ai le plus apprécié : « Emma », mais qui n’est pas celui qui est disponible pour l’instant !

Moi Garçon
Vanille
Barclay

Cecile Delaurentis

DeLaurentisLà encore il s’agit d’un EP, de 6 titres cette fois, entièrement composé et chanté (et même produit) par la jeune femme sur la photo, Cécile Delaurentis, qui bien qu’elle écrive et chante en anglais est bel et bien française. Une très très belle voix, des morceaux assez planants, de la musique électro pop mais de qualité (pas le boum boum boum insupportable des sets électros qui nous arrachent les tympans), j’ai vraiment adoré cette ambiance rêveuse et épurée ! Bon, elle a sorti depuis un autre EP, mais vraiment, elle est à découvrir absolument !

EP DE LAURENTIS

Florence + The Machine
« How big, how blue, how beautiful »

Florence + The MachineAlors ça c’est mon gros coup de coeur (elle est déjà assez connue apparemment), je l’ai écoutée plusieurs fois dans la voiture avec un bonheur indicible (et pourtant, j’allais bosser…) : une voix sublime, 16 chansons dynamiques dans lesquelles ont sent des influences diverses mais moi ça m’a surtout fait penser à Patti Smith sur certains titres !

How big, how blue, how beautiful
Florence + The Machine
Island Records

Parkeromane, d’Eric Naulleau

ParkeromaneSans négliger ce que ces occasions manquées doivent à ma vieille amie procrastination, les principales difficultés à surmonter se situaient toutefois sur un tout autre plan. Comment évoquer un artiste dont les chansons servent de bande originale à votre existence depuis trois décennies ? Comment rendre hommage à un auteur expert en mots de passe, ainsi que vous avez pu le vérifier dans plusieurs circonstances décisives (et notamment chaque fois que le sphinx revient se planter en travers de votre chemin, histoire de vérifier que vous n’avez pas égaré la clé de l’énigme — car jamais sa question ne change, il arrive seulement que vous ne l’entendiez plus de la même oreille) ?

On sait Eric Naulleau inconditionnel de Graham Parker, il le dit suffisamment souvent pour que cela n’ait pas échappé à qui le suit. Et quand je dis inconditionnel, je pèse mes mots : il s’agit d’une véritable passion, d’une manie, presque une drogue. De celles qui vous font traverser les océans pour assister à un concert, collectionner tous les disques, et finir par connaître l’oeuvre mieux que l’artiste lui-même.

Pour ma part (ne me jetez pas de caillou), je ne connaissais pas Graham Parker, mais je suis curieuse et j’avais très envie de le découvrir à travers les yeux de celui qui est son plus grand fan avec Bruce Springsteen (qui dit qu’il est le seul artiste pour lequel il serait prêt à payer une place de concert — ce qui, venant du Boss, est tout de même une référence).

Il ne s’agit pas ici d’une biographie mais bien d’un hommage voire, soyons fous, d’une déclaration d’amour (ou tout du moins d’amitié, car au fil du temps les deux hommes ont fini par tisser des liens, au point que Parker soit capable de s’arrêter en plein concert pour demander à Naulleau confirmation que tel titre se trouve bien sur tel album). Une collection de petits moments, souvenirs, articles, anecdotes, qui finit par constituer un portrait autant du modèle que de l’artiste. On s’amuse, on admire, on est parfois attendri, et on découvre.

La deuxième partie de l’ouvrage, quant à elle, est une playlist. Assez bienvenue d’ailleurs dans un livre parlant de musique : sur chaque album studio de Parker, Naulleau a choisi une chanson et le chanteur/auteur explique où il a trouvé l’inspiration et plus généralement tout ce qu’il veut dire de cette chanson. C’est passionnant : on découvre un véritable artiste, donc les textes profonds, parfois un peu mystiques, en tout cas très spirituels, résonnent en chacun de nous. Comble de la modernité : grâce à un flashcode, la playlist est directement disponible sur spotify, ce qui permet de s’imprégner totalement de l’univers de Parker.

J’ai particulièrement aimé cette découverte et cette plongée dans l’univers d’un artiste que je ne connaissais pas. J’ai aussi aimé découvrir Naulleau intime, comme un petit garçon dont les yeux brillent à la vue de son idole. Je ne crois pas devenir Parkeromane à mon tour, mais il est probable que certaines chansons de Graham Parker rejoindront ma playlist.

Parkeromane
Eric NAULLEAU
Belfond, 2015