La Femme-Tambour, de Layne Redmond : le rythme du monde

La Femme-Tambour raconte l’histoire d’un pan de l’héritage spirituel féminin enfoui et oublié. Nous y découvrons un instrument rituel qui a retenti des grottes sacrées de l’ancienne Europe jusqu’aux cultes à mystères romains. Nous apprenons comment l’Occident, en bannissant les percussions féminines de la vie religieuse, est parvenu à dépouiller la femme de son pouvoir. Nous verrons enfin comment le tambour sur cadre est en train de redevenir l’outil de guérison et de transformation individuelle et culturelle qu’il était à l’origine. 

Cela faisait des semaines que j’avais envie de m’acheter un tambourin, en tout cas que j’y pensais : j’imaginais (et c’est une hypothèse qui n’en exclut pas d’autres) qu’après le dessin et la peinture, la mosaïque et la « sculpture » en pâte auto-durcissante, j’avais besoin de franchir une étape de plus dans l’ancrage, et d’une activité créatrice mettant encore plus en jeu le corps. Aussi, lorsque dernièrement je suis allée dans une grande enseigne culturelle pour faire le plein de matériel de dessin, j’ai aussi embarqué un tambourin (pour enfants). Et bim ! Quelques jours plus tard, à ma plus grande surprise, j’apprends sur Instagram la sortie de ce livre datant de 1997 et enfin traduit en français, une référence (mais qui m’avait échappé malgré la longue bibliographie d’ouvrages non traduits sur le sujet que j’ai lus pour ma thèse) qui aborde le thème du féminin sacré sous l’angle de la musique rythmique et du tambour sur cadre, famille dont fait partie mon tambourin (que j’ai du coup, sur une impulsion, repeint en rouge, pour une raison qui est dans le livre). La vie n’est-t-elle pas absolument fascinante ?

Le fait est que dès que j’ai tenu le livre dans mes mains (un jour comme par hasard qui s’était déjà distingué par d’importantes découvertes sur mon cheminement personnel) ça s’est mis à vibrer de l’intuition profonde (qui s’est vérifiée) que cet essai allait m’apporter beaucoup.

Dans cet essai, remarquablement préfacé par Camille Sfez, Layne Redmond s’intéresse à ce qui n’est guère abordé dans les essais sur le féminin sacré comme ceux de Merlin Stone ou Marija Gimbutas, entre autres : la vie des prêtresses sacrées de la Déesse au son du tambourin. Elle revient donc d’abord sur cette Déesse Mère primordiale et protéiforme et à son culte, des rituels fondés sur la musique rythmique célébrant l’énergie de vie. Puis vient le temps du déséquilibre et de la séparation avec les religions monothéistes patriarcales, qui condamnent à peu près tout. Aujourd’hui, avec l’effondrement des structures sociales et religieuses, on assiste à un retour et une affirmation de la puissance féminine, et des musiques rythmique.

Un essai qui n’est pas très long mais qui m’a fait l’effet d’une secousse sismique de forte magnitude tant il m’a permis de rassembler des idées éparses qui flottaient dans mon esprit. Il complète parfaitement les autres ouvrages sur le sujet (ou les introduit, c’est selon) en adoptant un angle précis qui loin d’être restrictif permet au contraire d’élargir la vision. C’est donc absolument passionnant, et surtout, j’ai acquis la conviction, au fur et à mesure que je prenais de multiples notes et que jaillissaient tant d’idées que je crois bien tenir un projet de livre, que je n’avais peut-être pas fait ma thèse pour rien, finalement, et qu’elle était la première pierre d’autre chose. Mais ça, c’est une autre histoire…

En tout cas, voilà un essai passionnant, inspirant, enrichissant, que je vous conseille vraiment, et qui sera parfait sous le sapin (avec ou sans tambourin) !

La Femme-Tambour
Layne REDMOND
Traduit de l’anglais et illustré par Marie Ollier
Leduc.s, 2019

Stayin’ Alive, de Christian Moguérou

T’écrire me procure de la joie, il y a comme une jouissance avouée qui ponctue mes phrases. C’est le bonheur de l’écriture, celui qui me hisse, qui m’enveloppe, qui m’aide à ne pas céder à cette paresse si habile, si maligne, si présente depuis toujours. J’ai voulu être danseur classique pour la discipline et la souffrance, j’ai voulu être champion de tennis pour la gloire et pour Björn Borg, j’ai voulu être écrivain pour te faire rire et pleurer. 

J’ai rencontré Christian Moguérou l’été dernier, à l’occasion de la sortie de son livre co-écrit avec Pascal Bataille sur le Cap-Ferret. Evidemment, entre amoureux de ce bout de terre sauvage, on se comprend, et j’avais donc très envie de lire ce roman (qui ne se déroule pas du tout au Cap-Ferret, du reste), d’autant plus que comme le héros de ce roman, je suis née à la sortie de Stayin’ Alive (enfin à peu près, et je ne crois pas que ça ait eu une quelconque influence sur ma vie…)

Qu’est-ce qu’être vivant ? Faut-il mourir pour le savoir ? C’est l’expérience que fait Robin, né avec le tube des Bee Gees et dont le prénom est un hommage à l’un des frères Gibb, et dont le coeur lâche…

Le point de vue utilisé dans ce roman peut paraître déstabilisant, puisque son narrateur est mort — mais pas un fantôme, comme dans un roman de Didier van Cauwelaert, non, simplement, il est mort. Mais il pense (à ses parents, à son enfance, à sa femme, à sa fille…), il aime, il ressent, il a du chagrin, il pleure, et cela donne une étrange sensation, celle d’un roman débordant de vie et d’amour (et qui m’a fait penser à cette définition de l’érotisme par Bataille — l’autre, Michel —, « l’approbation de la vie jusque dans la mort »), de musique disco, d’écriture parce qu’elle est essentielle, et de souvenirs. Désespérant juste ce qu’il faut, mais surtout lumineux, et émaillé de trouvailles linguistiques superbes : une très belle découverte que ce petit roman, qui se dévore d’une traite, et réserve des choses surprenantes ! Parfait pour l’été !

(Et pour l’anecdote : vous saviez que le rythme de Stayin’Alive est un bon moyen de se souvenir du rythme à tenir lors d’un massage cardiaque ? Moi non, je l’ai appris grâce à cette lecture)

Stayin’ Alive
Christian MOGUÉROU
Erick Bonnier, 2018

Haute fidélité, de Nick Hornby

Haute fidélité, de Nick HornbyIl me semble que si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui vous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini. Il faut y picorer, la maintenir en vie, l’agiter, il faut y picorer, la dérouler jusqu’à ce qu’elle parte en lambeaux et que vous deviez tout recommencer. Peut-être que nous vivons tous de façon trop aiguë, nous qui absorbons des choses affectives tous les jours, et qu’en conséquence nous ne pouvons jamais nous sentir simplement satisfaits : il nous faut être soit malheureux, soit violemment, extatiquement heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide. Peut-être qu’Al Green est directement responsable de beaucoup plus que je ne pensais. 

Depuis le temps que j’entends parler de ce roman ! Mais je ne sais pas pourquoi (pas seulement le manque de temps), quelque chose me retenait. Et puis l’autre jour, une petite voix (oui, nous sommes un certain nombre dans ma tête) m’a dit que c’était le moment, alors soit. Et puis ça tombe bien, c’est le mois anglais.

Rob, le narrateur, tient un magasin de disques dans le nord de Londres, et vient de se faire plaquer pour la trèsnombreusième fois de sa vie, après des années de vie commune avec Laura. Et il essaie de s’en remettre comme il peut, en écoutant de la musique, et en faisant la liste de ses ruptures inoubliables, dont ne fait pas partie celle avec Laura, essaie-t-il de se convaincre : non, il est trop vieux pour avoir le coeur brisé, et ses ruptures les plus douloureuses étaient forcément les cinq premières…

Voilà un roman qui ne trahit pas sa réputation d’être extrêmement drôle, et plein d’autodérision. Mais, je l’avoue, aussi pathétique et lâche qu’il soit parfois, Rob m’a surtout éminemment attendrie et j’avais envie de le prendre dans mes bras pour consoler ce pauvre petit oiseau tombé du nid. Parce que, mine de rien, au-delà de l’humour ravageur, Nick Hornby analyse à la perfection le précaire masculin, subordonné au culte de la virilité et de la performance (alors qu’ils sont des pauvres petites choses fragiles, au fond), et le conditionnement amoureux : est-ce que nos histoires présentes se jouent dans nos histoires passées, nos amourettes d’adolescent et de jeune adulte même si elles ont duré deux jours ? Les cinq premières histoires qui conditionnent toute notre vie ? C’est, finalement, un roman sur l’abandon : en ayant été abandonné ou trahi (dans sa tête du moins) par ses cinq premières copines, Rob a développé une mauvaise image de lui-même, ne cesse donc de répéter un schéma identique, et refuse de s’engager. Sauf que ça, bien sûr, il ne le comprend pas vraiment. Et c’est vrai que nous sommes tellement conditionnés, hommes comme femmes, que nous ne nous en apercevons pas toujours, mais si ce constat est valable pour les deux sexes, je finis par me demander si malgré les apparences et la société qui les oblige à jouer aux durs, les hommes (certains en tout cas) ne sont pas plus sensibles et fragiles émotionnellement que nous, en particulier ceux qui se comportent comme de parfaits c*** (oui je sais, je ne viens pas de découvrir le fil à couper le beurre et ce n’est pas avec ça que je vais gagner un prix Nobel, mais tout de même). Et ce roman, imprégné de musique (c’est même une véritable playlist), en est la parfaite illustration : si Rob agit parfois comme un tocard, c’est qu’il est au fond trop sensible…

Bref un roman drôle, très, mais pas seulement. Je l’offrirais bien à quelqu’un…

Haute fidélité
Nick HORNBY
Traduit de l’anglais par Gilles Lergen
Feux Croisés/Plon, 1997 (10/18, 1999)

Le mois anglais

Ma playlist

Mind the Gap a adapté ce questionnaire de Quotidien, et de la rubrique « playlist des invités ». Je me suis dit que ça serait rigolo d’essayer d’y répondre.

1. Quel morceau écoutez-vous en boucle en ce moment ?
Alors en ce moment, j’écoute beaucoup de chansons d’amour (c’est à cause du Truc, il faut bien que je me mette dans l’ambiance, d’ailleurs un des fragments que j’ai écrits s’intitule « la playlist de mes émotions »).  Allez, on va dire que celle que j’écoute le plus, parce qu’elle m’émeut indiciblement, c’est Lo eres todo de Luz Casal.

 

2. Quel est pour vous, la plus grande chanson de tous les temps ?
Très difficile comme question, mais je voue un amour absolu aux Moulins de mon cœur  de Michel Legrand (et à sa version anglaise, Windmills of your mind, qui est la BO de Thomas Crown).

3. Quel est le meilleur morceau pour s’éclater ?
Raspoutine. J’adore sauter partout comme une fofolle, et ce morceau est parfait pour ça.

3. Quel morceau feriez-vous entendre en boucle pendant 3 heures  à votre pire ennemi(e) ?
Quelque chose qu’il déteste, mais elle est con cette question parce que ce n’est pas parce que moi je déteste un truc que ça sera pareil pour mes ennemis. Donc on va répondre dans l’autre sens : si moi on voulait me torturer en me faisant écouter un truc en boucle, c’est facile : il suffit de me mettre Booba ou maître Gims ou Jul enfin vous voyez le genre. Si on veut carrément me tuer : de l’électro à fond (les basses me dérèglent le rythme cardiaque).

4. Quelle chanson ringarde aimez-vous écouter et réécouter ?
Est-ce qu’on peut considérer que ABBA est ringard ou juste vintage ? Allez, on va dire oui, donc tout ABBA, avec une préférence pour The winner takes it all !

5. Quel artiste ou quel style de musique pour partir sur une île déserte qui vous offrirait la possibilité d’écouter à volonté un seul artiste ou un seul style de musique ?
Je pense que j’emporterais des musiques de films, ce qui me permet de tricher vu la variété des musiques de films… Par exemple Chi Mai d’Ennio Morricone, la BO du Professionnel qui m’émeut absolument (mais aussi parce qu’elle est liée à quelque chose… bref…)

Voilà, à vous !

Les plus belles déclarations d’amour en chanson

En ce moment, je ne sais pas pourquoi (enfin si, je sais…) moi qui aimais tant le silence et bien je ne l’aime plus tant que ça, et j’ai besoin de le remplir de musique et de poésie — qui sont finalement une seule et même chose. Le remplir de mots qui m’inspirent, aussi, pour mes textes en cours (il y en a plusieurs). Du coup, je me suis constituée une playlist, et j’ai eu envie de partager avec vous ces quelques titres, qui sont pour moi les plus belles déclarations d’amour…

1. Leonard Cohen, Hallelujah
Il y a quelque temps, pour ce même texte, j’aurais mis la version chantée par Jeff Buckley, que j’aime toujours follement, mais finalement j’aime tellement Cohen…

2. Luz Casal, Lo eres todo
J’ai failli la mettre en premier tant cette chanson est pour moi ce qu’une femme peut dire de plus beau à un homme. Et puis la voix de Luz Casal me met totalement en transe. A dire vrai, quand j’entends cette chanson, j’ai les larmes aux yeux… elle dit absolument tout !

3. Barbara Streisand, Woman in love (paroles de Barry et Robin Gibb)
Mêmes remarques que la précédente. Cette chanson, ses paroles et la voix de Streisand, sont un petit bijou…

4. Edith Piaf, L’Hymne à l’amour
Je n’ai jamais été une très grande adepte de Piaf, et j’ai mis très longtemps à comprendre cette chanson. Mais aujourd’hui, avec les années qui passent, je crois que j’en saisis mieux le sens…

5. Elton John, Sorry seems to be the hardest word
Rien à ajouter…

6. France Gall, La Déclaration (paroles de Michel Berger)
Je ne la mets pas dans la liste parce que France Gall nous a quittés : cette chanson tournait déjà en boucle dans mes oreilles lorsque c’est arrivé. J’en aime absolument les paroles, et j’aime d’autant plus que ce soit Michel Berger qui l’ai écrite pour qu’elle la chante…

7. Scorpions, Still loving you (paroles Klaus Meine)
Scorpions, c’est toute ma jeunesse, et j’ai toujours été bouleversée par cette ballade rock d’une douceur et d’une délicatesse infinie… J’ai de très beaux souvenirs de boums sur cette chanson !

8. Michel Legrand, Les Moulins de mon coeur
Je voue un amour sans borne à la version anglaise The windmills of your mind, les moulins à vent de mon esprit, qui correspond parfaitement à mon état actuel. Mais j’aime tellement, aussi, entendre Michel Legrand (et puis son histoire avec Macha Meril, je la trouve tellement belle…)

9. Johnny Hallyday, Je te promets (paroles de Jean-Jacques Goldman)
Lorsque Johnny est mort, comme tout le monde je me suis interrogée sur la chanson que je retiendrais de lui. Et c’était forcément une chanson d’amour. Cela aurait pu être Que je t’aime, mais non. Il y a dans Je te promets des choses qui me bouleversent totalement. Il y a surtout cette phrase : « je te promets la clé des secrets de mon âme », qui est pour moi la plus belle chose que l’on puisse dire à l’être aimé…

10. Jean Ferrat, Que serais-je sans toi (paroles de Louis Aragon)
Evidemment…

En bonus, cette chanson que je viens de découvrir : « Je t’aime » de Michel Sardou. Je ne suis pas une grande fan de Sardou, même si j’apprécie certaines de ses chansons à l’occasion. Mais les paroles de cette chanson (que j’ai lue avant de l’entendre) m’ont totalement bouleversée.

Alors il y en a évidemment des centaines d’autres, et c’est normal puisque le lyrisme, c’est la poésie, la musique et l’expression du sentiment amoureux. Vos choix n’auraient peut-être pas été les mêmes que les miens. Du coup, je suis curieuse : quelles sont pour vous les plus belles déclarations d’amour en chanson ?

La partition intérieure, de Réginald Gaillard

La partition intérieure, de Réginald GaillardL’entame du récit de ces vies aurait pu être aussi celle-ci : « A un commencement, dans un village, entre le silence d’une folle et les quelques notes de musique éparpillées dans l’esprit d’un homme affolé, le tragique de nos vies s’est joué. » Mais je ne suis plus sûr de rien, si ce n’est de la richesse que m’ont apportée ceux que j’ai croisés dans ce village, et plus particulièrement Jan et Charlotte qui me furent si chers. Vivre à leurs côtés fut l’expérience d’un commencement continu avec le sentiment d’être sur une brèche vive, sur le front d’une guerre intestine, intérieure, avançant à mesure que cette ligne fuyait dans l’inconnu du précipice.

Comment résister à un roman, le premier de son auteur, à l’origine poète, qui porte un titre aussi beau ?

C’est en 1969 que Jean, le narrateur, arrive dans le village de Courlaoux, dont il vient d’être nommé curé — ce qui, pour un intellectuel parisien cultivé n’aimant que le tumulte de la ville, est une véritable punition, d’autant qu’on ne peut pas dire que ses paroissiens, dans une France profonde en voie de déchristianisation, soient spécialement accueillants. Mais il finit par s’y faire, et se lie notamment avec Charlotte, une simple d’esprit qui passe son temps dans le cimetière, et Jan, un compositeur néerlandais qui cherche dans l’isolement la grande oeuvre qui est en lui.

Avouons qu’au départ, ce roman avait tout pour me déplaire : le monde rural, un narrateur prêtre, j’aurais pu fuir. Mais j’ai eu raison de ne pas le faire, car je suis très vite tombée sous le charme, d’abord de l’écriture, éminemment poétique, et de la manière dont il interroge le monde. Bien sûr, tout l’aspect (peu marqué au demeurant) strictement « chrétien », au petit goût de Bernanos, m’est passé largement au-dessus : j’ai renié cette religion car elle ne correspond absolument pas à ma vision du monde. Mais justement : le roman va au-delà, et a quelque chose de beaucoup plus spirituel que religieux, et propose à travers le beau personnage de Charlotte une manière d’être au monde. Mais bien sûr, c’est surtout le personnage de Jan qui m’a intéressée, compositeur torturé qui cherche l’absolu et la perfection, et qui pense qu’on écrit mieux à l’abri du tumulte du monde : interrogeant la création, son rapport à la spiritualité et au monde, l’inspiration (J’écris ; je ne prie pas. Et lorsqu’on me dit que l’on peut concevoir l’écriture comme une prière, je réponds que l’écriture, musicale ou autre, est avant tout un travail concret, matériel, sur une matière, qu’elle soit langage, pierre ou son. Toute idée d’inspiration est un oripeau ridicule du romantisme) le roman prend parfois des airs de Tous les matins du monde. Mon seul regret est du coup que l’histoire de Jan n’ait pas été plus développée.

Bref, un roman qui a beaucoup de charme, plein d’humanité et de poésie, et qui mérite vraiment d’être découvert !

La Partition intérieure
Réginald GAILLARD
Editions du Rocher, 2017

1% Rentrée littéraire 2017 — 35/36
By Herisson

Le Dernier Violon de Menuhin, de Xavier-Marie Bonnot

Le Dernier Violon de Menuhin, de Xavier-Marie BonnotLa première fois que cet instrument m’a touché au plus profond, c’était le jour où j’ai vu Menuhin interpréter l’Ave Maria. Quelque chose de très fort. Pas une émotion mais plutôt un appel qui venait de loin et qui ne s’explique pas. Le son de ce génie, son beau visage, fier et noble, empreint de gravité… L’Ave Maria est facile, mais le jouer comme Menuhin est impossible. Chaque note qui naît sous ses doigts est unique, elle vous transporte immédiatement. Il y a comme une douleur dans le vibrato, un lamento qui pénètre lentement la chair. Je devais avoir trois ou quatre ans lorsque je l’ai entendu. Maman me disait que j’avais quitté mes jouets et que j’étais resté devant la télévision, les yeux écarquillés. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas vraiment comment le violon parvenait à captiver un gamin de cinq ans. Peu importe au fond. Le violon me parlait ce langage du coeur et de l’âme, surtout celui de Menuhin.

Un roman choisi à cause de son titre : les romans qui parlent de musique, je ne sais pas pourquoi parce qu’en fait je n’y connais pas grand chose, on tendance a toujours étrangement me toucher…

Rodolphe Meyer, violoniste virtuose qui a eu son heure de gloire, vient de perdre sa grand-mère et d’en hériter une vieille ferme dans l’Aveyron, où il reste bloqué après l’enterrement. Là, avec pour seule compagnie le Lord Wilton, le dernier violon de Menuhin, il fait face à son double, Victor, l’enfant sauvage.

Étrange et déconcertant, ce roman métaphorique, tout en subtilité, interroge la condition d’artiste et la solitude inhérente : la part de sauvagerie en nous à laquelle on ne peut échapper, cette pulsion qu’il faut contrôler pour devenir un génie — comme Menuhin, omniprésent, et dont la trace évidente est ce violon, le Lord Wilton, qui apparaît presque comme un être humain, qui a des pensées et des sentiments. Et une âme, évidemment. Égrenant ses souvenirs devant « l’Autre », parlant magnifiquement de la musique, Rodolphe Meyer apparaît comme un être qui s’est perdu et abîmé dans les illusions, assailli par les fantômes du passé.

Un roman finalement profondément triste et mélancolique, habité par la nostalgie, mais qui joue une jolie petite musique qui parle à l’âme.

Le Dernier Violon de Menuhin
Xavier-Marie BONNOT
Belfond, 2017

 1% Rentrée littéraire 2017 — 26/30
By Herisson