Christine de Pizan, de Anne Loyer et Claire Gaudriot : une femme d’exception

Sous son ciel de lit, une petite fille contemple ses rêves. Ils brillent comme autant d’étoiles au firmament de ses désirs. Âme italienne au cœur du Moyen Âge, fille d’un homme de sciences, philosophe et astrologue, Christine de Pizan a hérité de sa passion pour les études.
Et l’érudition, à laquelle elle aspire, lui semble aussi vaste que la voûte céleste où se perd son regard.

Un petit album jeunesse aujourd’hui, qui va nous mener à la rencontre d’une femme de lettres exceptionnelle : Christine de Pizan, malheureusement trop méconnue aujourd’hui.

Christine de Pizan est la première femme de l’histoire a avoir vécu de ses écrits, et même le premier auteur de l’histoire. Née à Venise en 1364, elle a 4 ans lorsqu’elle arrive en France, son père étant devenu l’astrologue du roi. Elle même se passionne pour les études : elle parle 3 langues, apprend la musique, la poésie, mais est bridée dans son désir par le fait d’être une femme. Pourtant, après la mort de son mari alors que leurs enfants sont encore jeunes, elle impose son choix : écrire, et en faire une activité rémunératrice. Et dans ses écrits, elle ne cesse de défendre les femmes contre la misogynie de l’époque.

Cette album est l’alliance de la beauté et de la poésie autour d’une figure inspirante : autant dire que j’ai eu un coup de coeur pour cette petite merveille. Le texte d’Anne Loyer est beau, et les magnifiques illustrations de Claire Gaudriot, nous invitent à un voyage à la découverte d’une femme courageuse, qui prend son destin en main, et redonne la place qu’elles méritent aux femmes.

A découvrir et à offrir !

Christine de Pizan. La Clairvoyante
Anne LOYER et Claire GAUDRIOT
A pas de loup, 2021

Entrez dans la danse, de Jean Teulé

Entrez dans la danse, de Jean TeuléEn moins de deux semaines, on se retrouve avec sans doute mille danseurs dans une cité de seize mille habitants. Mais alors, avant l’automne, tout Strasbourg sera un bal ! cauchemarde Drachenfels. Quand je pense qu’il y a quelques années Érasme avait écrit des strasbourgeois : « La discipline des Romains, la sagesse des Athéniens, la sobriété des Spartiates. » Putain, s’il revenait en ville il ferait une drôle de gueule au milieu des agités du cul. 

Comme je bloque un peu actuellement sur mes lectures, je me suis dit que le dernier Jean Teulé me remettrait peut-être dans la danse (oui, je suis très drôle parfois).

Le roman se base sur un fait historique : une étrange épidémie de danse qui s’est propagée dans Strasbourg, durant l’été 1518. La misère la plus terrible règne dans la ville. Poussés par la famine, les gens mangent leurs enfants, ou les tuent parce qu’ils n’ont plus de quoi les nourrir. C’est ce que vient de faire Enneline, qui, n’ayant plus de lait pour son bébé, le jette à l’eau. Prise de folie, elle se met à danser, sans pouvoir s’arrêter, et entraîne dans sa farandole tout le quartier puis une bonne partie de la ville, au grand désarroi des autorités et de l’Eglise…

C’est avec grand bonheur qu’on retrouve la verve inimitable de Jean Teulé, qui n’a pas son pareil pour nous entraîner à sa suite dans une histoire rocambolesque, invraisemblable et pourtant vraie : le style est vif, la manière de conter souvent drôle et burlesque, tissée de clins d’oeils culturels souvent anachroniques, et en même temps l’ensemble est d’une cruauté assez inimaginable (et certaines scènes donnent un peu la nausée) : ce dont il est question ici, c’est de misère, la famine qui pousse les pauvres jusqu’aux confins de la folie, et la danse jusqu’à la mort devient une espèce de catharsis, l’esprit se noie et le corps s’exprime dans les soubresauts de la folie. Face à des autorités ecclésiastiques qui ne pensent qu’à récolter toujours plus d’argent sur le dos des plus miséreux, à une époque où la Réforme fait son apparition.

Un roman court, mais riche, sur un événement historique qui demeure néanmoins un mystère, et dans lequel Jean Teulé sème tout de même un peu d’amour, pour que ce ne soit pas complètement désespérant. A lire donc !

Entrez dans la danse
Jean TEULÉ
Julliard, 2018

Le musée de Cluny

Musée de ClunyCela faisait des années que je voulais visiter le musée du Moyen-Age, installé sur le site des thermes gallo romains de Cluny sur lesquels a été édifié plus tard l’hôtel de Cluny. Si je n’y suis pas allée avant, ce n’est pourtant pas faute d’être souvent dans le quartier : c’est surtout parce que, manquant de temps, je privilégie toujours les expositions temporaires. Mais l’autre jour, je me suis décidée.

Lieu chargé d’histoire, essentiellement consacré au Moyen-Age mais dédiant tout de même la dernière partie à la découverte des thermes antiques et de son frigidarium, le musée de Cluny est vraiment un endroit extrêmement agréable, notamment par le fait qu’il n’est pas bondé, et que l’on peut donc visiter tranquillement. L’art religieux domine de manière assez logique puisque pendant assez longtemps l’art a été principalement religieux. On trouve ainsi de nombreuses statues, vitraux, reliquaires, Vierges et représentations christiques. Mais pas seulement : de larges espaces sont également consacrés à l’orfèvrerie, à la vie quotidienne, la chevalerie, la chasse. Et puis, bien sûr, la salle dédiée à la tapisserie si envoûtante de La Dame à la Licorne dans laquelle on pourrait rester des heures. Et, évidemment, le frigidarium.

Une très belle visite que je regrette de ne pas avoir effectuée avant : j’ai tendance à privilégier l’art beaucoup plus récent, et pourtant toutes ces œuvres m’ont beaucoup touchée, inspirée, fascinée (même si j’ai trouvé que ça manquait de livres, alors que le travail de l’enluminure, évidemment, m’aurait passionnée). A voir absolument !

Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge
6 place Paul Painlevé
75005 Paris

Excalibur, de John Boorman

Excalibur_AFFICHETerre et roi sont un. Bois de ce calice, tu renaîtras et la terre avec toi.

Film culte des années 80, Excalibur est sans doute l’une des meilleures variations sur la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, adapté de La Morte d’Arthur de Thomas Malory (1485). C’est surtout un film que j’ai vu très jeune (pas à sa sortie néanmoins, mais disons que la première fois je ne devais guère avoir plus de dix ans) et que j’ai revu plusieurs fois depuis, mais pas depuis très longtemps. Néanmoins certaines scènes sont restées profondément gravées dans mon imaginaire. Et, lorsque vendredi soir je listais les films que je pourrais voir/revoir à l’occasion du mois anglais, celui-ci s’est imposé naturellement.

Lorsque Merlin l’Enchanteur remet à Uther Pendragon l’épée Excalibur, qui lui vient de la Dame du Lac, c’est pour lui permettre d’unifier la Grande-Bretagne, mais la passion d’Uther pour Ygraine, l’épouse du duc de Cornouailles, ruine les espoirs de paix de Merlin : après un siège sanglant, Merlin donne à Uther l’apparence du Duc afin qu’il passe la nuit avec Ygraine ; le Duc mort, Uther et Ygraine se marient, mais lorsqu’Arthur naît 9 mois plus tard, il est remis à Merlin, qui le fait élever en secret par un des vassaux du Roi. Peu après, Uther, pris dans une embuscade et sentant la mort approcher, plante l’épée dans un rocher : seul son légitime héritier pourra la retirer…

Véritable épopée mythique, ce film ne manque pas de scènes fortes et marquantes : la danse quasi-hypnotique d’Ygraine qui séduit Uther comme l’aurait fait Salomé, des scènes de bataille d’une violence absolue, des assauts au son des Carmina Burana (mais dans une orchestration que j’ai trouvée un poil trop rapide) ou de Wagner. Mais, dans l’ensemble, j’ai trouvé que le film avait tout de même beaucoup vieilli, et ne manquait pas non plus de scènes qui paraissent aujourd’hui assez kitsch.

Et puis, j’ai eu quelques déceptions. D’abord, j’ai eu un problème avec la narration : j’ai plus eu l’impression d’une succession d’épisodes que d’une véritable construction narrative (ce qui s’explique par le fait que l’histoire couvre un grand nombre d’années et que les ellipses sont indispensables, mais j’ai trouvé que certaines nuisaient à la compréhension pour peu qu’on ne connaisse pas bien la légende arthurienne, et ce d’autant plus que la version donnée par le film de certains épisodes m’a laissée perplexe). J’ai aussi eu un problème avec le casting, qui m’a semblé un peu manquer de charisme, à part Merlin et Morgane (et encore : dans mon imaginaire, Morgane est brune…). Mais c’est surtout le sens qui m’a échappé : nous assistons à la lutte millénaire du Bien contre le Mal, mais finalement, nous ne savons trop où chacun d’eux se situe, car cette lutte se double de la mort de l’Ancien monde. C’est Merlin qui l’explique à Morgane : « Pour notre espèce, les jours sont comptés. Le Dieu Unique chasse les dieux multiples. ».

Bref, encore une fois, je me dis que l’on ne devrait pas revoir les œuvres qui nous ont marqué, sous peine d’être déçu…

Excalibur
John BOORMAN
1982

Mois anglaisBy Titine, Lou et Cryssilda

Bienvenue au Moyen Âge, de Michel Zink

Bienvenue au Moyen AgeMais surtout, elle nous vient d’un monde révolu. Comme dans les contes, tout paraît à portée de la main et rien ne l’est. Tout s’éloigne quand nous croyons le saisir. Rien de ce que le Moyen Âge exprime, rien de ce que nous croyons en comprendre, rien de ce qui nous touche ou nous rebute en lui, qui ne doive être mis en doute, vérifié, éprouvé. Sa littérature ne veut pas dire ce que nous pensions, elle ne veut pas toucher là où à la première lecture elle nous touche, elle fourmille d’allusions qui nous échappent.

J’ai toujours beaucoup aimé la littérature du Moyen Âge, les romans de la Table Ronde, Tristan et Iseut et toutes ces belles histoires de preux jeunes hommes défendant de graciles jeunes femmes en danger. D’ailleurs, n’eut été un problème strictement linguistique (je lis l’ancien français, mais par contre tout ce qui est étude de la grammaire et autres billevesées me fatigue), j’aurais pu devenir médiéviste. Ou non. Du reste, cela fait un moment que je ne me suis pas plongée dans ces textes, qui ont inspiré d’ailleurs nombre d’oeuvres contemporaines et notamment les sagas comme Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux ou le Trône de Fer, pour ne parler que des plus connues.

Autant dire que c’est avec une joie non dissimulée que je me suis plongée dans ce petit ouvrage de Michel Zink, l’un de nos plus grands spécialistes de la période, et qui rassemble les chroniques qu’il a proposées cet été sur France Inter.

Bienvenue au Moyen Âge, c’est une invitation à une promenade dans la littérature médiévale (essentiellement la poésie au sens large), et une invitation à la lecture car, de fait, on a envie de lire les textes dont nous parle l’auteur. En très courts chapitres, Michel Zink ressuscite pour nous toute une époque, de la séquence de sainte Eulalie à François Villon.

Le style est vif, alerte, l’humour n’est jamais loin, rendant accessible un contenu qui lui est toujours brillant et érudit. Michel Zink a un vrai talent de conteur, et c’est avec beaucoup de pédagogie qu’il nous parle des jongleurs, troubadours et ménestrels, et de ces oeuvres qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la littérature, et dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui ; il raconte, mais aussi questionne La Chanson de Roland et les liens entre l’histoire et la littérature, l’amour courtois et la poésie lyrique, Chrétien de Troyes et l’invention du roman moderne, Joinville, Charles d’Orléans ou encore le Roman de la rose.

Subtile, délicate, pas si simple que ça mais pas si difficile non plus, la littérature médiévale apparaît comme un grand champ de possibles dans lequel butiner. Un trésor à lire d’urgence !

Bienvenue au Moyen Âge
Michel ZINK
Equateurs/France Inter, 2015