Yoga, d’Emmanuel Carrère : continuer à ne pas mourir

Puisqu’il faut commencer quelque part le récit de ces quatre années au cours desquelles j’ai essayé d’écrire un petit livre souriant et subtil sur le yoga, affronté des choses aussi peu souriantes et subtiles que le terrorisme djihadiste et la crise des réfugiés, plongé dans une dépression mélancolique telle que j’ai dû être interné quatre mois à l’hôpital Sainte-Anne, enfin perdu mon éditeur qui pour la première fois depuis trente-cinq ans ne lira pas un livre que j’ai écrit, puisqu’il faut donc commencer quelque part, je choisis ce matin de janvier 2015 où, en bouclant mon sac, je me suis demandé s’il valait mieux emporter mon téléphone, dont j’aurais de toute façon à me défaire là où j’allais, ou le laisser à la maison. J’ai choisi l’option radicale et, à peine sorti de mon immeuble, trouvé excitant d’être passé au-dessous des radars. 

Pendant le confinement, j’ai essayé de lire Limonov, un des rares Carrère que je n’ai pas encore lus, et j’ai dû abandonner tant je m’ennuyais, ce qui n’a pas manqué de m’inquiéter : est-ce que j’avais perdu cette précieuse communication avec l’auteur ? Est-ce que ce qu’il écrivait était désormais loin de moi ? Le Royaumequi m’a illuminée, date d’avant les « événements » qui ont chamboulé ma vie (même si j’en ai lu d’autres depuis, Le Royaume reste central), alors peut-être que… Pour savoir, je me suis précipitée sur Yoga et je peux vous dire que le problème venait du personnage de Limonov, qui ne m’intéresse pas du tout, et pas de l’auteur.

Tout commence (puisqu’il faut un commencement) par une retraite Vipassana, début janvier 2015, pas tant pour la retraite en elle-même que dans la perspective d’écrire un livre réjouissant sur le yoga et la méditation. Emmanuel Carrère est heureux, ça va bien dans sa vie et depuis dix ans il n’a pas traversé d’épisode dépressif. Ça ne va pas durer, et c’est au fond de l’Enfer qu’il va plonger, rattrapé par le malheur névrotique qui le pousse toujours à tout foutre en l’air quand il est bien…

Encore une fois, c’est un livre dont il est difficile de parler de manière un minimum ordonnée tant il est foisonnant et riche : happée dès les premières lignes que je vous ai mises en exergue, j’ai lu le roman d’une traite, et j’ai eu, cette fois encore, l’impression de lire une sorte d’âme-sœur, pas au sens amoureux évidemment, mais au sens « existentiel » on va dire, même si je me fais beaucoup moins de nœuds au cerveau. Tout tient en fait dans cette capacité qu’a Carrère à tenir « en même temps » l’écriture et la vie. Il écrit pendant qu’il vit les choses, il analyse tout à commencer par lui-même et est doté d’une hyperconscience éblouissante mais que je sais être épuisante : à des moments on a juste envie d’appuyer sur le bouton off. D’où l’intérêt, on va dire, de la méditation (personnellement pour mettre en pause je préfère peindre ou me promener dans la nature que rester assise immobile) et de la retraite vipassana (je ne vois toujours pas l’intérêt de se tyranniser de la sorte), que nous avions vue avec le roman Sankhara de Frédérique Deghelt. Sauf que nous ne sommes pas dans un roman (et c’est bien, d’ailleurs, ce qui intéresse Carrère : le romanesque du réel et ces faits qui paraissent tout sauf vraisemblables mais sont pourtant vrais), mais que dans les deux cas il se passe un événement grave pendant que le personnage principal est coupé du monde : le 11 septembre dans le roman, et les attentats de Charlie Hebdo ici, qui, s’ils ne plongent pas immédiatement Carrère dans le chaos, sont sans doute un déclencheur.

Alors je ne vais pas m’étendre sur toute cette traversée de l’Enfer, douloureuse et en même temps sublime car finalement, là où il voulait écrire un livre qui aurait sans doute été anecdotique, l’Univers lui donne les cartes pour un chef-d’oeuvre (j’aime voir les choses comme ça, et lui aussi car il le dit bien : pour un écrivain, tout est matière). Un livre triste à pleurer, beau à pleurer, sombre ô combien, mais aussi puissamment lumineux (et souvent drôle, de par l’autodérision dont l’auteur sait faire preuve) : lumineux sur ce que c’est que d’être écrivain, quand l’écriture fait partie de soi comme le sang qui coule dans les veines, comment ça nous sauve du chaos et du désespoir malgré tout parce que même les malheurs les plus terribles deviennent une histoire et que, au moins, on a ça. Faire de ce qu’on vit une histoire dans laquelle on met de la cohérence. Et sur l’amour, le désir, le seul enchantement qu’offre la vie, parce que finalement le cul c’est plus vrai que la sagesse, et qui est aussi le point aveugle du texte puisque Carrère passe pudiquement sur une séparation qu’on devine mais qui n’est jamais nommée et qui n’est sans doute pas pour rien dans son effondrement. Il s’en explique : le roman est le lieu où l’on ne ment pas, mais où l’on peut gommer ce qui concerne les autres qui préfèrent qu’on ne parle pas d’eux.

Mais l’amour, c’est aussi les jolies pages de la fin, la possibilité de l’amour, et pour ça, ça vaut peut-être le coup de traverser l’Enfer.

Vous l’aurez compris : je n’ai pas perdu mon lien avec Emmanuel Carrère, les articles que j’écris sur ses livres sont toujours les plus longs, et Yoga, comme les autres avant, m’a illuminée, et m’a fait grandir.

Noces suivi de l’Été, d’Albert Camus : la respiration du monde

Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure. Il n’y a qu’un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c’est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l’heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j’aurai conscience, contre tous les préjugés, d’accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c’est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme. 

Pendant que tout le monde relit La Peste, moi j’ai décidé de me replonger dans ce qui est le texte le plus lumineux de Camus : Noces et L’Été  (je suis aussi plongée dans sa correspondance avec Maria Casares mais c’est très long). Je dis le texte, mais en réalité c’est un recueil de court textes que Camus appelle « essais » et qui sont en réalité des méditations poétiques.

Noces comporte quatre textes écrits en 1936 et 1937, dont le plus connu est le premier, le sublime « Noces à Tipasa ». Un texte lumineux, éclaboussant de sensualité, d’odeurs, de couleurs, de chaleur du soleil et de fraîcheur de l’eau. C’est un poème (oui, j’ai décidé de l’appeler poème) d’un lyrisme pur, une épiphanie : Camus est en communion parfaite avec le monde dans un je, ici, maintenant plein, absolu, parfait — tout est à sa place. L’amour et le désir acquièrent une dimension païenne, tout est vivant, solaire, exaltant la beauté et l’harmonie, l’acquiescement à la vie dans un « sanglot de poésie ». Qu’est-ce que le bonheur, sinon le simple accord entre un être et l’existence qu’il mène ? Pour ceux qui connaissent surtout le Camus plus sombre de la maturité et son écriture blanche, ces textes peuvent se révéler une surprise, mais une magnifique surprise. Un déclaration d’amour à la vie.

L’Eté, publié en 1954, est plus empreint de tragique, mais tout aussi sublime : Camus nous entraîne dans un voyage mythologique autour de la méditerranée, d’Oran à la Grèce en repassant par Tipasa, à la recherche du minotaure, d’Hélène et de Prométhée. Tout est sujet à réflexion, à méditation sur l’homme et sa condition, et c’est de là qu’est tirée cette célèbre citation : Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été.

Cette (re)lecture m’a fait beaucoup de bien, surtout, je l’avoue, « Noces à Tipasa » et sa plénitude. C’est assez court, et honnêtement, dans le temps présent, c’est un bonheur !

Noces suivi de L’Été
Albert CAMUS
Gallimard

Sankhara, de Frédérique Deghelt : aller en soi

Elle a encore en mémoire cette inadéquation totale à la vraie vie, à la passion, ce qu’elle aspirait à vivre, à être. Mais il y avait néanmoins des moments où elle arrivait à se sentir mieux quand elle allait si mal. Elle peut se souvenir de ces moments où sa lucidité lui pesait tout en la sauvant. Ça ressemblait à un voyage, un immense parcours immobile, une aventure inextricable avec les mots, les phrases, la poésie, le savoir-dire. Tout venait, elle n’avait rien à faire, elle laissait l’écriture s’échapper de son corps, comme un serpent, un reptile alors que quelques minutes auparavant elle s’infiltrait en elle. Être un canal. Elle jouissait de se sentir à sa place. En étant l’écriture. Elle inventait la vie qu’elle n’avait pas encore. Une vie d’écriture qu’elle ne savait pas être sa colonne vertébrale. 

L’autre jour, je me disais qu’il fallait que je relise Les Brumes de l’apparence pour mon projet-sorcières (et pour vérifier certaines choses, car je me demande si ce roman n’a pas eu beaucoup plus d’impact sur moi que je ne le pensais au départ, et n’a pas été l’élément déclencheur d’un truc, mais il me faudrait tout un article pour développer). Et sur quoi je tombe ? Sur le nouveau roman de Frédérique Deghelt : inutile de vous expliquer que je me suis précipitée pour le lire, d’abord parce que j’aime cette auteure, et ensuite parce que mon intuition me disait que, là aussi, j’allais découvrir des choses essentielles en lien avec mes questionnements actuels. Et j’avais parfaitement raison (comme toujours…)

Septembre 2001. Le couple d’Hélène et de Sébastien se délite. Sur un coup de tête et un peu aidée par le destin, elle le plante là et part faire une retraite Vipassana : dix jours de méditation, de silence, sans même avoir le droit d’écrire, elle qui ne fait que ça. Dix jours totalement coupée du monde. Lui, abandonné, démuni, imaginant les pires choses sur le départ de sa femme sans prévenir ni lui dire où elle allait, se laisse envahir par la colère, la rancœur, la jalousie, et les questionnements existentiels. Et le monde tel qu’on le connaissait qui s’écroule…

Un roman qui est donc tombé exactement au moment opportun pour moi, et que j’ai vécu comme une espèce de transformation cathartique à travers le personnage d’Hélène, qui se trouve engluée dans les mêmes questionnements que moi au début du roman : une femme qui a perdu son intégrité, qui a le sentiment d’être une extra-terrestre car elle est incapable de vivre comme tout le monde et notamment dans le travail. Après un court passage dans l’Education Nationale elle a démissionné car elle n’arrive pas à se conformer à ce que la société veut d’elle, un emploi « normal » qui lui permettrait de s’intégrer, et souffre de ce sentiment d’imposture ; elle, le seul moment où elle se sent à sa place, c’est quand elle écrit, mais elle ne s’autorise pas à le faire complètement, elle écrit mais ne publie pas, car quelque chose en elle lui dit que ce qui la plonge dans une profonde joie ne peut pas être son travail : comment cet instrument de torture à trois pieds pourrait-il soudain devenir ce que je vivrais de plus euphorisant ? Sa solution finalement vient de Sébastien : ils s’aiment, se marient, ont des jumeaux, il gagne suffisamment bien sa vie pour qu’elle puisse faire le choix de s’occuper de ses enfants et d’écrire, et il accepte ses lubies. Sauf qu’une solution bancale ne peut pas tenir éternellement, et le couple explose.

La retraite vipassana est alors une solution extrême et cette expérience m’a rappelé la phase centrale de Mange, prie, aime : ne pas pouvoir parler, lire, écrire, être totalement coupée du monde, méditer dix heures par jour lui permet de s’extraire de sa vie et de plonger en elle afin de retrouver (trouver ?) son intégrité. Sa vraie place dans le monde, qui est bien écrire.

Et Sébastien dans tout ça ? La moitié des chapitres lui sont consacrés, et ce qui est intéressant c’est que lui aussi fait un trajet à l’intérieur de lui-même, mais autrement : journaliste à l’AFP, il est totalement dans le chaos du monde, et ce qu’il vit comme un abandon le malmène beaucoup, mais lui permet aussi de faire le point, d’interroger sa place et son métier de journaliste, et son couple. Parce que, parfois, on se perd, et il faut s’éloigner pour mieux se retrouver.

Un magnifique roman donc, qui m’a permis, à travers le personnage d’Hélène, de faire le point sur mes propres clivages (mais une retraite vipassana ne m’apparaît pas du tout comme une solution adéquate pour moi), et j’en remercie donc vivement Frédérique Deghelt. Plus généralement, c’est un roman qui interroge nos choix et le monde dans lequel nous vivons et qui parlera à beaucoup !

Sankhara
Frédérique DEGHELT
Actes Sud, 2020

Méditation de l’amour bienveillant

La méditation est une activité à la mode, et ceux qui la pratiquent (sans nécessairement la lier à une quelconque spiritualité) ne tarissent pas d’éloges sur ses bienfaits. Les scientifiques sont d’ailleurs tout à fait d’accord avec ça : la méditation aurait des effets positifs sur le stress, l’angoisse, la dépression, la concentration, le sommeil, voire le système immunitaire.

Sauf que moi, je n’y arrivais absolument pas. J’ai essayé les méditations guidées notamment, et souvent (à part certaines dans lesquelles j’arrivais parfaitement à plonger) au bout de 5min je commençais à me tortiller en me demandant « quand est-ce que ça se termine ? ». Ce qui est bizarre d’ailleurs : je suis une solitaire contemplative, et je suis capable de rester de longs moments, seule, absorbée dans un paysage, mais la méditation en soi, ça coinçait, à part lorsque je vais à une séance de bols tibétains, et en particulier tout ce qui est du domaine de la pleine conscience.

J’en étais restée là, à me dire que ce n’était pas pour moi, que ça ne servait à rien de se forcer, et puis qu’après tout l’écriture pouvait bien aussi être considérée comme une forme de méditation. Et puis l’autre jour, je suis tombée sur un épisode du podcast Change ma vie dans lequel Clothilde Dusoulier parlait de cette forme de méditation appelée « amour bienveillant ». Et ça m’a intéressée : disons que pour une fois, ça me « parlait ».

Alors la méditation amour bienveillant ou loving kindness, qu’est-ce que c’est ? C’est une « adaptation » de la méditation metta bhavana  du bouddhisme, centrée sur la bienveillance et la compassion. Le principe est donc ici de cultiver une émotion d’amour inconditionnel (c’est-à-dire qui n’attend rien en retour), de bienveillance (c’est-à-dire de vouloir le bien) et de l’envoyer vers soi, vers les autres et vers le monde. Parce que l’amour étant le sentiment le plus pur qui existe, le ressentir est déjà en tirer de grands bénéfices : l’amour que l’on ressent est le seul qu’on peut contrôler, et la méditation d’amour bienveillant permet donc d’en avoir plus et donc de se sentir mieux. D’aimer plus et d’aimer mieux, soi et les autres.

Concrètement, j’ai adapté à ma sauce le fonctionnement de Clothilde. Je fais des séances de 15 min (j’utilise la fonction « méditation libre » de l’application Petit Bambou), enveloppée dans mon châle rose, après avoir allumé une bougie rouge, et mon quartz rose dans les mains :
– je consacre les 5 premières minutes non pas à la pleine conscience comme elle mais à moi, parce que charité bien ordonnée commence par soi-même, avec des pensées positives (en gros, je reprends certains exercices que m’avait proposés mon hypnothérapeute : « j’ai confiance en moi » etc. et j’utilise aussi, depuis que je l’ai, les mantras proposés par les cartes d’Arouna Lipschitz). Il est de toute façon essentiel de commencer par soi.
– la deuxième partie est consacrée à l’amour bienveillant proprement dit : envoyer de l’amour donc, en utilisant des phrases telles que « je te souhaite d’être heureux », « je te souhaite de vivre dans la joie », tout ce que vous voulez et qui fait sens pour vous, l’essentiel étant d’aller lentement et de ressentir vraiment l’émotion. Sur le principe, on commence par le plus facile, les gens qu’on aime (amoureusement ou non), puis on s’adresse à des gens « neutres » (le boulanger, le facteur, un collègue), ensuite des gens qu’on « n’aime pas » si on y arrive (je n’y arrive pas), et à l’univers dans son ensemble. Dans les faits, en ce moment, je me concentre sur une seule personne.
– enfin je termine par des exercices de visualisation

Franchement, les effets sont merveilleux : je n’ai aucune idée concernant la bonne réception de mes pensées d’amour (et ce n’est pas le propos) ; par contre moi je me sens vraiment mieux après, apaisée et rayonnante — alors après dans ma vie quotidienne certaines personnes génèrent tellement de négatif qu’elles sapent un peu le travail, mais de mon côté j’arrive mieux à m’en protéger ! J’en suis même à la limite de militer pour l’enseignement de cette pratique dès la maternelle !  C’est devenu une habitude ancrée dans mon quotidien ou à peu près, et c’est très bien ! Et ce qui est « rigolo », c’est qu’en ce moment que le ciel est couvert, et bien j’ai toujours un rayon de soleil qui sort à un moment ou un autre pour venir sur moi, et souvent les pigeons qui roucoulent sur le balcon (cela dit, les pigeons passent leur vie sur mon balcon).

J’ai testé pour vous… un voyage sonore aux bols tibétains

Toujours dans ma période « je cherche la voie de la sagesse et de l’apaisement« , je me suis inscrite l’autre soir à un « voyage sonore aux bols tibétains ». J’avais déjà testé les bols tibétains lors de massages, et je suis fascinée par leur son. Du reste, l’événement avait lieu à 5 minutes à pieds de chez moi, donc je n’avais aucune raison de m’abstenir, d’autant que cela me permettait de découvrir ce lieu, l’espace Ananda, qui propose de nombreuses activités autour du développement personnel.

Le principe est simple : allongé sur un tapis (alors pas assez épais pour y rester une heure, la prochaine fois j’apporterai le mien), la tête sur un coussin et cocooné dans une couverture, dans la pénombre, vous vous laissez guider par la voix de l’animatrice (en l’occurrence une sophrologue hypnothérapeute) et envelopper par le son et les vibrations des différents bols.

J’ai trouvé cette expérience merveilleuse : moi qui ai tant de mal à « déconnecter », qui ne sais pas méditer, je n’ai eu aucune peine à lâcher-prise, j’ai eu l’impression d’être aspirée dans une faille temporelle (l’expérience a duré une heure qui est passée à une vitesse étonnante). On se sent totalement enveloppé par les vibrations des bols, et pour ma part, j’ai eu aussi la sensation d’être enveloppée d’un halo de lumière et de chaleur.

Je suis sortie de là comme régénérée : légère, apaisée, reconnectée avec moi-même, et avec la certitude étrange (en fait c’est un peu comme l’hypnose et j’ai « visualisé » certaines choses) que j’étais enfin arrivée au sommet de la montagne que je gravissais depuis des mois et dont j’avais la pénible impression que plus j’avançais, plus il reculait : alors certains vont peut-être se moquer, mais j’ai l’intuition que maintenant tout va aller bien, et que les choses qui sont bloquées dans ma vie (à peu près tout) vont se débloquer. Comme une bouteille de Champagne.

Pour cette soirée, j’ai renoncé à un événement parisien (enfin, la chronologie des événements est un peu plus complexe), et je ne le regrette pas un instant car je pense vraiment que cette séance m’a fait un bien fou, et je recommencerai, c’est sûr !

J’ai testé pour vous… la méthode Calme de Michael Acton Smith

CalmeNous souhaitons tous acquérir un mental qui nous permettra de rester calme au volant ou dans les transports, quand nous nous rendons au travail le matin sur une route embouteillée ou dans un train bondé. Ce même mental qui nous fera réagir de façon responsable plutôt que sous le coup de l’émotion quand un ami ou un collègue souhaite discuter un de nos choix, l’état d’esprit qui nous permettra de ne pas ruminer le passé ou de ne pas craindre l’avenir au point d’avoir des difficultés à s’endormir le soir. Ne serait-il pas agréable d’avoir tout cela à portée de main ? En réalité, atteindre la sérénité dans notre vie quotidienne, au milieu du chaos, est un des plus grands défis de la vie moderne.

Entendons-nous bien : question calme et sérénité, je pars de très loin : impulsive, sanguine, impatiente, j’en passe, il est très probable que je n’atteindrai jamais la zénitude de bouddha. Pourtant, cela s’était un peu amélioré lorsque je faisais du yoga : j’arrivais un peu mieux à rester flegmatique dans les situations de tension. Il me semble aussi que le Pilates a sur moi un effet bénéfique, sinon il est probable que certaines personnes auraient récemment été étranglées (« tu es bien tendue aujourd’hui », m’a dit ma prof lundi dernier). Du coup, je me suis dit que je ne perdais rien à essayer cette méthode, basée sur la pleine conscience que j’ai découverte dans Flow.

La méthode « Calme », c’est d’abord un livre. Un très bel objet d’ailleurs : une couverture douce, d’un bleu apaisant, de très belles illustrations qui laissent une large place à la littérature et à la poésie. L’ensemble se divise en huit sections. Nous découvrons d’abord l’importance de la nature, et c’est un fait qu’on se sent tout de suite plus calme hors de la ville, pour moi évidemment à la mer ou à la montagne, pas dans les bois car je suis terrifiée par les bestioles (donc niveau zen on repassera, et de toute façon je suis allergique à l’herbe), mais en revanche j’aime énormément regarder et photographier les nuages ; la deuxième section est consacrée au sommeil, et n’a rien de très original, non plus que la suivante, intitulée « voyage » mais plutôt consacrée aux trajets pour aller au travail. Ensuite, on passe au relationnel (évidemment, ce sont bien les autres qui sont responsables de l’essentiel de notre stress) et au travail avec quelques idées intéressantes mais qui ne feront pas de miracle me concernant. Le chapitre suivant concerne les enfants : alors je suis passée très vite sur les conseils pour s’en occuper, mais là encore, quelques points intéressants sur leur rapport au monde. Enfin, le livre se clôt sur un chapitre « créativité » (le plus intéressant selon moi) et « nourriture ».  Chemin faisant, le livre regorge d’activités : écriture, dessin, découpage, pliage… dont certains sont un peu dans la même veine que le happiness jar project puisqu’il s’agit d’avoir des pensées positives.

Bref, un ouvrage plein de bonnes idées, mais rien de vraiment révolutionnaire. Le fait est que, on le voit bien, la méthode est avant tout fondée sur la méditation, présente de-ci de-là dans le livre sous la forme de petits exercices. Mais le problème c’est que moi, la méditation, je n’ai jamais bien compris en quoi ça consistait. Donc, j’ai téléchargé l’application (il y a aussi un site).

Le principe, c’est de vous aider à méditer. D’abord en choisissant une ambiance parmi celles qui sont proposées (j’ai personnellement opté, bien sûr, pour les vagues) puis ce que vous désirez : une méditation guidée (malheureusement elles sont payantes, sauf l’initiation en 7j) ou une plage de méditation, auquel cas vous réglez la durée. J’ai choisi l’initiation en 7j : le problème est que c’est en anglais, mais c’est assez simple, et finalement assez efficace puisqu’il me semble avoir progressé. Maintenant, je reste tout de même sceptique sur la pleine conscience au quotidien : autant méditer une dizaine de minutes par jour je trouve cela bénéfique, autant je ne suis absolument pas convaincue par l’objectif final, à savoir « dresser » son esprit pour qu’il cesse de papillonner à droite et à gauche et toujours se concentrer sur ce que l’on est en train de faire ici et maintenant. En gros : s’empêcher de se mettre sur auto-pilote dans les actions du quotidien et se concentrer dessus. Déjà, je suis écrivain, et le présent n’est absolument pas mon monde, et si mon esprit vagabonde, c’est qu’il est en train de tricoter une histoire, souvent. Et puis, soyons honnête : quel est l’intérêt de faire la vaisselle en pleine conscience ? C’est pénible, la vaisselle, et je ne vois tout simplement pas quel avantage il y aurait à se concentrer dessus, à part de s’ennuyer fermement. Lorsque je suis en train de buller sur la plage, de savourer des huîtres, de… oui bon vous voyez, d’accord, je profite du moment présent. Quand je suis chez le dentiste, je félicite mon esprit d’être capable de s’évader.

Voilà. Donc je ne serai jamais bouddha, c’est clair, mais je suis en voie d’amélioration (si si). Ce qui n’est pas une raison pour tester mes limites, hein !

Calme. Apaisez votre esprit, changez le monde.
Michael ACTON SMITH
Pygmalion, 2016

No Sex, de Tim Parks

No Sex Tim ParksL’amour attend d’être trahi, peu importe lequel de vous deux est coupable, ensuite c’est le chamboulement, et le vide. Tant pis pour l’équanimité. Le type au journal intime le sait. Mais je ne veux pas de leurs illusions. Je ne veux pas écrire des chansons sur leurs illusions, ou leurs déceptions. Une chanson sur le bonheur est toujours une chanson sur la déception en devenir. Plus le bonheur est grand, plus j’entends les gens pleurer. Je ne veux pas écrire sur eux ni les imaginer.

Un tel titre, aussi catégorique, ne pouvait que m’intriguer, et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas résisté à ce roman lors du salon du livre.

La narratrice, Beth, est bénévole au centre Dasgupta, un lieu de retraite spirituelle où est enseigné le bouddhisme et où les règles sont strictes : pas de sexe, pas de paroles ou de chants. Même écrire est interdit. Mais la découverte du journal intime d’un des étudiants va la pousser elle-même à écrire, et à remettre en marche les moulins à vent de son esprit.

Tout le roman, dont l’action se déroule pendant les dix jours que dure la retraite et se trouve de fait rythmée par les rituels, est centré sur le dilemme de Beth : la vie, ou l’absence de vie. Car, de fait, c’est bien la vie qui est interdite au centre Dasgupta : plus que le sexe, ce sont les relations entre les gens qui sont interdites. De même que tant d’autres choses qui font de la vie ce qu’elle est. Là, on recherche le bonheur par l’ataraxie, l’absence d’émotions. Il faut « tuer les pensées » par la méditation. C’est, évidemment, un moyen commode, surtout pour Beth qui est là depuis de longues semaines, de ne pas se confronter au monde, de s’enfermer dans une bulle protectrice. Mais on ne résout pas un problème en supprimant son énoncé, et un jour ou l’autre le monde, que l’on avait tant voulu fuir, resurgit. Dans le roman, il le fait sous la forme d’un journal intime trouvé par hasard par Beth (encore que le hasard y soit sans doute pour peu de choses : plutôt une volonté inconsciente) et dont l’auteur reste longtemps mystérieux. Et là, tout se remet en marche, les démons du passé de Beth refont surface et petit à petit le lecteur reconstitue le puzzle de ce qui a conduit la jeune femme à vouloir s’enfermer dans le centre, alors qu’elle plonge en elle-même pour affronter les pensées qu’elle a trop longtemps enfouies dans une sorte de déni mortifère. Et se met à transgresser les règles, par désir qu’on lui impose ce qu’elle n’est pas capable de s’imposer elle-même : prendre la porte de sortie.

Très malin, le roman constitue donc un itinéraire spirituel et personnel, où s’affrontent le désir de se protéger du monde et la nécessité d’accepter de revenir à ce monde, quitte à souffrir, mais au moins pour être vivant. Tout ne se passe pas sans peine et douleur dans le flux obsessionnel de la conscience de Beth, et c’est là que le roman se montre particulièrement profond, avisé, analysant avec sensibilité la nature humaine, tout en étant aussi cru concernant le corps et ses fonctions naturelles : ce qui fait de l’humain l’humain. Mais de sexe, finalement, il n’est pas tant question que ça, ou plutôt, s’il est l’enjeu essentiel, c’est parce qu’il est le signe de la confrontation au monde, il est le media par lequel nous avons accès aux autres.

Bref, un roman brillant, profond, qui pose beaucoup de questions et nous invite à réfléchir…

No Sex
Tim PARKS
Actes Sud, 2014