Les Medicis, maîtres de Florence de Frank Spotnitz et Nicholas Meyer

Les MedicisAll men are capable of murder, under certain circumstances.

Une série sur laquelle je suis tombée par hasard, et qui contient les ingrédients de mon cocktail préféré : argent, pouvoir, politique, complots, trahisons, sexe (encore que finalement assez peu).

Florence, 1429. Giovanni de Medicis vient de mourir empoisonné. Pour ses fils, Cosimo et Lorenzo, la question se pose : faut-il réclamer justice, ou maintenir coûte que coûte les apparences ? De fait, la situation est compliquée, la famille est en pleine ascension, ce qui suscite bien sûr des jalousies.

Pour être honnête, j’ai mis du temps à entrer dans l’histoire. Deux épisodes. Alors qu’à la fin de la saison 1 j’en aurais facilement regardé 20 de plus tant j’étais ferrée. Il faut dire que tout, ici, est somptueux : les décors, les costumes, la reconstitution de l’époque. Quant à l’histoire, c’est un House of cards version renaissance italienne, qui mêle deux temporalités, celle de la jeunesse de Cosimo et celle du présent ou d’artiste il devient de plus en plus machiavélique. Pourtant, aussi fascinants que soient les Medicis, ce ne sont pas les personnages qui m’ont semblé le plus intéressants, mais deux « seconds » rôles totalement époustouflants : Contessina d’abord, l’épouse de Cosimo, qui non contente d’être d’une beauté absolue est une femme de tête dans une société patriarcale ; et puis Marco Bello, l’homme de main de Cosimo, pour lequel j’avoue un crush coupable (d’autant plus étonnant que j’ai plutôt tendance à préférer les aristocrates, d’habitude), qui incarne une loyauté et une honnêteté absolue malgré les circonstances.

La série a néanmoins un gros défaut : elle donne envie de sauter dans un avion pour Florence. Ah, voir le Duomo dont la construction est un des fils rouges de cette première saison, quoi de mieux ?

Les Medicis, maîtres de Florence
Frank SPOTNITZ et Nicholas MEYER
2016 (en cours de production)

Titus n’aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai

Titus n'aimait pas BéréniceSelon les jours, elle cite Captive, toujours triste, importune à moi-même, Peut-on haïr sans cesse et punit-on toujours ? ou Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. Ou encore Je demeurai longtemps errant dans Césarée. Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie… Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour, lance-t-elle pour contrebalancer le sérieux que ses citations provoquent quand elle les jette dans la conversation. 

Si j’étudie plus souvent Molière que Racine, c’est pourtant bien ce dernier que je considère comme le plus grand génie dramatique français (et un des plus grand génies de la littérature française). Ceci expliquant d’ailleurs cela, mais nous en reparlerons. Toujours est-il donc que Racine, je le cite très souvent, comme l’héroïne de ce roman à côté duquel j’aurais bien pu passer, s’il n’avait éveillé mon intérêt par sa présence dans certaines listes de prix littéraires, et notamment le Goncourt…

Titus aime Bérénice, et pourtant il la quitte pour revenir avec sa femme Roma, la mère de ses enfants. Bérénice ne s’en remet pas, et aucune des phrases toutes faites que lui assènent ses amis pour la consoler ne peut l’aider. Mais après avoir entendu une phrase, un vers, qui fait écho en elle, elle se replonge dans les tragédies de Racine, cherchant à résoudre une énigme : comment un homme a-t-il si bien su décrire la passion amoureuse des femmes ? Si elle perce ce mystère, alors Bérénice saura pourquoi Titus l’a quittée…

Avec ce roman, Nathalie Azoulai magnifie le sujet le plus banal qui soit, la rupture amoureuse, tout en rendant un magnifique hommage à la littérature, à sa force, et à l’un de ses représentants les plus illustres. L’hypotexte et son hypertexte ne cessent de se tisser et de s’entremêler à tous les niveaux, dans une presque fusion poétique. Si le récit-cadre nous propose une situation commune, l’essentiel du roman est constitué d’une rêverie biographique sur Racine dont il explore les replis les plus intimes de l’âme, et notamment cette tension permanente entre l’éros, la vie, la passion, le monde, et le thanatos de l’austérité janséniste dans laquelle il a été élevé à Port-Royal ; et c’est bien cette tension, ce tiraillement perpétuel qui permet de saisir l’essence de la sensibilité racinienne, de creuser son âme, car c’est bien par là qu’il devient écrivain, en fondant la pulsion débordante de vie dans la rigueur de la langue et de l’alexandrin. Rêverie sur la vie, sur l’amour, sur la passion, d’une grande sensualité, ce roman est aussi une rêverie sur la langue, corset qui permet à Racine de s’épanouir pleinement dans une fulgurance sublime. Avec lui, on est sous alexandrins comme d’autres sont sous antidépresseurs. La langue se fait chair, il la modèle comme un sculpteur la glaise, la taille comme un diamant pour en révéler toute la pureté.

Un roman sublime à l’image de son sujet, somptueusement écrit, tellement juste, tellement percutant sur la langue, la poésie, la passion amoureuse que c’est du bonheur, en tout cas si on aime Racine, qu’on le tient pour un des plus grands génies de la littérature et qu’on connaît un peu l’histoire du XVIIe ! Je ne sais pas s’il aura le prix Goncourt (édit : non mais il a eu le prix Médicis) en tout cas j’en fais un coup de cœur et vous encourage à vous précipiter chez votre libraire !

Titus n’aimait pas Bérénice
Nathalie AZOULAI
POL, 2015

RL201535/36
By Hérisson