Aimer sans masque, de Sarah Serievic : jouer son propre rôle

On parle d’instinct de vie, on pourrait parler d’instinct d’amour. L’amour est l’aventure humaine la plus exaltante. Pourquoi en avons-nous si peur ? Qu’est-ce qui nous empêche d’ouvrir les vannes ? De mon histoire familiale, qui ressemble à tant d’autres dans le fonctionnement émotionnel des protagonistes, vient probablement l’intérêt que je porte au couple et à la guérison des cœurs depuis aussi loin que je me souvienne. Aujourd’hui thérapeute, je sais qu’il est possible de rééduquer les coeurs. Et je porte la conviction profonde que l’amour est le seul rôle de notre vie.

Bien sûr, il n’y a pas de hasard : lorsque l’autre jour j’ai écouté un podcast dont Sarah Serievic était l’invitée, ça a fait tilt par rapport à mon cheminement et mes questionnements au sujet de l’authenticité et de tout ce dont je vous parlais hier, et je me suis dit qu’il me fallait absolument ce livre, dans lequel elle aborde les masques que nous portons, qui ne sont pas les masques qu’on nous impose en ce moment (même si je suis convaincue qu’il y a un lien symbolique parce que l’Univers aime bien ce genre de jeux sur les mots) mais les masques de théâtre : dans la relation amoureuse, chacun joue un rôle, des rôles (comme dans le théâtre antique : un comédien jouait plusieurs rôles) et le but de cet ouvrage est d’apprendre à les reconnaître pour avancer vers l’authenticité : c’est d’ailleurs le nom de l’outil qu’elle a créé, le « théâtre authentique ».

Dans la première partie, « l’amour masqué », Sarah Serievic explique comment les blessures de l’enfance font naître des rôles, qui ont pour fonction de masquer cette blessure et empêcher que quelqu’un appuie dessus : c’est, au premier chef, le fameux triangle de Karpman sauveur/victime/bourreau, dont les rôles tournent et se déclinent, ce qu’on va voir dans la deuxième partie, « l’amour en conscience », où l’auteure analyse les différents masques que nous portons et comment s’en défaire ou en tout cas les jouer en conscience, pour trouver notre être véritable ; ces rôles sont la sauveuse, le romantique, le chevalier servant, la puritaine, le prédateur, l’amazone, chacun se déclinant aussi bien au féminin qu’au masculin. Dans la troisième partie, elle analyse ce qu’elle appelle « la danse des rôles », c’est-à-dire comment dans un couple les rôles changent, chacun réagissant et s’adaptant au rôle du partenaire. Enfin, dans les deux dernières parties, « sortir des rôles pour entrer en amour » et « découvrir le royaume de l’amour », elle explique comment jouer son propre rôle, avec authenticité.

Un essai qui est vraiment venu me chercher là où il le fallait, au moment où il le fallait, pour compléter mes innombrables lectures sur le sujet, avec une approche « théâtrale » qui m’a beaucoup parlé. Le principe de départ, c’est que le couple et l’amour sont un incroyable moteur d’évolution, qui nous aide à guérir, non pas que l’autre soit là pour nous guérir justement mais pour révéler, mettre en lumière nos points sensibles en appuyant là où ça fait mal (sans le faire exprès, le plus souvent). L’ouvrage permet de se poser des questions salutaires : quel est ce rôle que je joue et qui me fait souffrir à mon insu (probablement à mettre au pluriel) ? Qui suis-je authentiquement ?

A l’aide de nombreuses histoires, Sarah Serievic nous montre comment apprendre à aimer de mieux en mieux, en y investissant toutes ses forces. C’est ce à quoi je m’emploie !

Aimer sans masque
Sarah SERIEVIC
Le Seuil, 2020

Se (re)trouver

En ce moment, j’ai l’impression de franchir une étape. Ces semaines de confinement, d’arrêt, ont été décisives. Pourtant, j’étais déjà quelqu’un de plutôt introspectif, surtout ces dernières années, mais là j’ai vraiment pu me poser, réfléchir, faire les choses à mon rythme et me (re)trouver. Non qu’il y ait eu de véritable révélation ou métamorphose : ça c’était le travail d’avant, celui autour de ma crise de la quarantaine qui m’a fait prendre conscience que non seulement je vivais une vie qui n’était pas la mienne (c’est encore partiellement le cas, il faut bien remplir le frigo) mais qu’en plus je m’étais convaincue que tout allait bien. Alors je vais être honnête : j’en ai bavé des ronds de chapeau, comme on dit. A enlever toutes les couches de faux moi pour trouver le vrai moi caché dessous et l’extirper de là pour qu’il accepte de se montrer dans la lumière. Ça, c’était déjà là et le confinement m’a surtout permis, en enlevant un élément extrêmement mauvais pour moi dans ma vie, de parachever le travail. Je parle de travail au sens presque « accouchement » car c’est bien ce que j’ai l’impression d’avoir fait  : une seconde naissance par moi-même.

Et là ces derniers temps je me sens toute légère parce que je vois que les choses se mettent en place pour le mieux. En fait, je me sens légère parce que j’ai eu l’intuition de certaines choses très précises et que ces choses se sont effectivement produites donc il n’y a aucune raison que d’autres pas encore réalisées ne le fassent pas aussi. Cette phrase est très mal écrite, elle boîte, mais ce n’est pas très grave, vous voyez ce que je veux dire. Le fait est que je suis enfin vraiment moi, que j’ai confiance en moi et en ce que je suis, intègre et authentique, que je suis capable de faire des projets et non plus avoir de vagues aspirations. Hier soir d’ailleurs j’ai eu une sorte d’illumination : je tournais autour d’une idée depuis quelque temps mais sans savoir par quels bouts la prendre et en faisant des exercices de cohérence cardiaque tout est apparu clairement (je ne dirai pas par magie, mais un peu quand même) (je ne vous en dit pas plus pour l’instant mais ça a un lien avec ma reconversion) (hein hein).

Ce n’est pas la ligne d’arrivée, que non pas, la route est encore longue et pleine de découvertes et de belles expériences. Mais c’est une belle étape : en ce mois de juin, beaucoup de choses se mettent en place, comme une sorte de nouvelle page, nouveau chapitre : on continue l’histoire mais avec des éléments nouveaux. Et je suis très excitée à cette idée !

Masqué, démasqué…

Quelle histoire, ces masques ! C’est le truc dont on ne cesse d’entendre parler ces derniers jours, tout le monde fait une fixette dessus c’est impressionnant.

Mais non, je ne vais pas vous parler de ces histoires de pénurie, de où trouver un masque et comment. Ce qui m’intéresse, c’est la valeur symbolique que je trouve une nouvelle fois absolument passionnante.

Le confinement, en tant que parenthèse nous ayant permis de faire face à nous même, nous a mis à nu. Telle Inanna (pas ma voiture, la vraie déesse) descendant aux Enfers et se défaisant de ses atours de pouvoir, nous nous sommes (plus ou moins) défaits de nos attachements, de nos apparences, de nos faux-self pour entrer dans une certaine authenticité et intégrité. Oui, nous avons enlevé nos masques, qui parfois tenaient très forts à notre visage, comme collés à la glu. C’est pour cela que c’est si difficile pour certains d’entre nous (j’ai fait des recherches : je ne suis pas la seule et de loin) d’imaginer revenir dans une vie de mensonge, dans laquelle nous jouons un rôle qui ne nous convient pas. D’imaginer continuer à faire semblant, et remettre un masque.

Le confinement, en nous secouant, en nous confrontant, en nous empêchant de nous fuir nous-même, nous a démasqués. Combien de gens ont découvert au fond d’eux, bien caché, qu’ils aimaient rester tranquillement chez eux le soir plutôt que de courir sans cesse d’un apéro à un autre ? Qu’en fait ils détestaient la ville et voulaient vivre un peu plus dans la nature ? Que cuisiner est une activité gratifiante et sympa ? Qu’ils pouvaient tout à fait se passer de tous ces trucs qu’ils achètent à longueur de journée ? Combien au contraire ont découvert qu’en fait ils n’aimaient plus leur conjoint, qu’ils détestaient leur vie etc. ?

Bien sûr, certains vont (dans un premier temps et en apparence : la graine est semée, elle va pousser) enfouir tout ça à nouveau bien profondément, faire comme s’ils n’avaient pas vu, remettre leur masque et reprendre la vie telle qu’elle était avant en s’offrant par exemple un peu de shopping. Mais d’autres vont avoir un peu de mal, et quand je dis ça c’est un euphémisme. Parfois ce n’est pas très beau à voir, ce qu’il y avait sous le masque, et il y a tout un tas de cicatrices purulentes à soigner. Mais parfois c’est un trésor, qu’on n’a plus envie de cacher : on n’a plus envie de faire semblant d’être qui on n’est pas pour faire plaisir aux autres, pour être aimé, pour ne pas être rejeté, pour « entrer dans le moule » alors que notre trésor c’est justement de déborder du moule. Bah  non, on n’a plus envie. On refuse de continuer à porter un masque.

Et regardez cette coquine de vie, ce qu’elle fait : elle nous oblige quand même à en porter un, de masque, pour sortir. Comme une espèce de transition, pour ne pas que ces gens qui sortent dans la rue comme ça, nus et authentiques, ça soit trop effrayant. Un masque matériel pour remplacer un masque symbolique. Un qui nous gêne tout de même un peu, désagréable, qui empêche globalement de respirer, de parler, de voir les expressions du visage, mais qui est tout de même indispensable. Un qu’on ne peut pas oublier, mais qu’on peut enlever facilement pour respirer : histoire de nous rappeler que le masque qui tenait le plus fortement à nous, et qui nous empêchait de vivre, on a réussi à l’enlever, qu’on est fort, et qu’on est quand même mieux sans masque — et bientôt, tout le monde pourra enlever le sien !

Amabilia – Tome 2 : Dans la peau d’Iris, de Héloïse et Thomas Raven

AmabiliaCet été, je vous avais parlé du premier tome de cette série, Nue sous le masquealors en auto-édition. Depuis, les auteurs, Eloïse et Thomas Raven, ont signé avec La Musardine et sont désormais édités dans leur collection numérique (avant, je l’espère, une version papier). C’est donc avec beaucoup de plaisir que j’ai retrouvé leur univers feutré et élégant…

Trois mois sont passés depuis qu’Iris a passé la nuit avec Simon. Pourtant, ce qui n’était qu’une aventure d’un soir ne cesse de la hanter…

Dans ce second tome, nous découvrons le quotidien d’Iris, et apprenons à connaître ce personnage si mystérieux dans le tome 1 : son métier, ses aspirations, mais aussi son mari, qui ne parvient pas à effacer le goût de Simon. Peu de paroles, l’essentiel passe par les images, comme une succession de tableaux délicieusement troublants. Du noir et du blanc, sur lequel éclatent des touches de couleur : du rouge, du rose, ceux des lèvres et des ongles d’Iris, ses sous-vêtements. C’est chic, élégant, émoustillant. Les scènes de sexe sont crues, dessinées sans aucune fausse pudeur, et pourtant ce n’est jamais vulgaire. Un vrai plaisir d’esthète !

Encore une fois, j’ai été bouleversée par la sensualité extrême qui se dégage de cet univers tellement raffiné et élégant et en même temps puissamment érotique ! Du très beau travail, vraiment (j’adorerais un jour travailler avec eux !)

Amabilia – Tome 2 : Dans la peau d’Iris
Eloïse et Thomas RAVEN
Dynamite/La Musardine, 2016
(et si vraiment vous voulez du papier, c’est possible en autoédition sur le site de Thomas et Eloïse)

Mardi-c-est-permisBy Stephie

Un monde flamboyant, de Siri Hustvedt

Un monde flamboyantDans sa lettre, Harriet Burden revendique la responsabilité de la création des œuvres qui ont été présentées lors de trois expositions personnelles à New-York : L’Histoire de l’art occidental d’Anton Tish, Les Chambres de suffocation de Phineas Q. Eldridge et, plus récemment, Au-dessous, de l’artiste connu sous le nom de Rune. Le motif qu’elle donne est très simple : « Je voulais voir dans quelle mesure mon art serait reçu différemment en fonction de la personnalité de chacun des masques. » Elle maintient expressément que lorsqu’elle a exposé ses œuvres dans le passé sous son propre nom, peu de gens s’y intéressèrent, mais que son art sous pseudonyme, présenté derrière « trois masques masculins vivants », a suscité l’intérêt tant des marchands d’art que du public, quoiqu’à des degrés différents. Burdent appelle cela « l’effet de majoration masculine » et précise aussitôt que les femmes en sont affectées tout autant que les hommes : […] Toutes les entreprises intellectuelles et artistiques, plaisanteries, ironies et parodies comprises, reçoivent un meilleur accueil dans l’esprit de la foule lorsque la foule sait qu’elle peut, derrière l’oeuvre ou le canular grandioses, distinguer quelque part une queue et une paire de couilles.

Cela fait quelque temps que j’ai terminé ce roman, mais j’ai été jusqu’à présent dans l’incapacité totale d’en parler, tant il a fait sur moi forte impression. Et dire cela, c’est encore un euphémisme.

Il s’agit d’une mystification sur une mystificatrice : le roman prend ainsi l’allure d’une anthologie des carnets de Harriet Burden, rassemblés par l’historien de l’art I. V. Hess, qui y ajoute entretiens, témoignages et considérations personnelles dans les notes. Mais qui est Harriet Burden ? Artiste plasticienne, elle renonce tôt à sa carrière, considérant son travail comme mal compris, et épouse le richissime galeriste Félix Lord. Mais après la mort de son mari, elle décide de revenir sur la scène artistique, mais masquée : elle choisit trois artistes masculins qui vont lui prêter leur nom.

Le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ce roman est « magistral ». Le second est « bluffant ». Siri Hustvedt nous offre avec Un monde flamboyant une oeuvre absolument admirable, tant sur le plan de la forme que du fond. La narration est maîtrisée de bout en bout, utilisant toutes les virtualités du dialogisme : les points de vue se multiplient au gré des témoignages, mais tous ne concordent pas exactement, et chaque locuteur a un avis différent sur les choses, sur Harry, sur le monde de l’art. Cela pourrait partir dans tous les sens, mais cela tient parfaitement, et de manière tout à fait convaincante, car chaque locuteur a vraiment sa voix, son style, sa personnalité.

Quant au fond… j’ai rarement lu un roman aussi érudit et multipliant les références philosophiques, scientifiques, littéraires, et profond. Beaucoup de thèmes ici rendent la réflexion vertigineuse, mais tout finalement se rassemble dans une réflexion sur l’identité et les masques : Harriet multiplie les identités, les pseudonymes/hétéronymes, les avatars, qui font que sa vie elle-même finit presque par ressembler à une oeuvre ; mais si l’on y réfléchit bien, la vie elle-même n’est-elle pas un masque, à commencer par le genre ? Du coup, porter un masque par dessus le masque ne permet-il pas au contraire une plus grande authenticité ?

A chaque page, il y a un sujet sur lequel réfléchir, comme en témoigne mon exemplaire paré de multiples papillons colorés : l’art contemporain, la création, le jugement esthétique, le genre… Siri Hustvedt réussit ici, en outre, le prodige de produire un discours méta-artistique et critique sur des oeuvres qui n’existent pas mais pourraient exister, et à se citer elle-même dans le discours d’Harriet, poussant jusqu’aux limites le brouillage entre le réel et le fictionnel.C’est vraiment fascinant d’un point de vue créatif, et l’une des réflexions qui m’est le plus souvent venue à l’esprit en lisant, c’est qu’elle a sacrément dû s’éclater en l’écrivant.

Bref : Siri Hustvedt ne m’a pas convaincue avec ce roman, elle m’a littéralement cueillie. Ce n’est pas une lecture pour dilettante, mais c’est assurément, un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire, pour moi.

Un Monde Flamboyant
Siri HUSTVEDT
Traduit par Christine Le Boeuf
Actes Sud, 2014

Lu par Leiloona

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By Hérisson